Père Goupille : " Nous avons peur pour notre pays"

Nous reproduisons ci-dessous une interview du père Philippe Goupille, président du Conseil des Religions, parue le jeudi 16 mars 2023 dans le journal Le Mauricien.

 

  • Actuellement, sur les réseaux sociaux, circule une vidéo montrant des jeunes d’un des collèges les plus cotés de l’Etat proférant des paroles insultantes envers une section de la population. Quel sentiment vous anime face à cette attitude de jeunes élites alors que Maurice fête ses 55 ans d’Indépendance ?

 

Comme nous l’avons dit dans notre communiqué de presse du Conseil des Religions, nous nous sentons très concernés par le fait que quelques pyromanes menacent de mettre le feu à l’arc en ciel mauricien. L’arc en ciel de par sa nature est extrêmement fragile et nous sommes bouleversés de constater que malgré tous nos efforts nous assistons à un retour vers ce que l’auteur libanais Amin Maalouf décrit comme les « identités meurtrières ». Pour mémoire, Amin Maalouf est un écrivain libanais qui a décortiqué le mécanisme derrière la division du Liban sur fond de conflits d’ordre religieux et culturel. Nous avons peur pour notre pays quand nous voyons combien l’harmonie sociale peut partir en morceaux ! Le Liban n’a toujours pas retrouve la paix sociale ! Il faut donc faire attention à ne pas tomber dans les mêmes excès ici à Maurice.

 

  • D’aucuns sont d’avis qu’il n’y a pas de quoi fouetter un chat, qu’il vaut mieux éteindre la braise que de la raviver en en parlant. Etes-vous d’accord ?

 

La science de la psychanalyse nous enseigne que nous portons tous des blessures, des préjugés, même des traumatismes qui parfois restent ancrés dans notre inconscient.

 

Nous n’en sommes même pas conscients. Ce sont ces pulsions qui peuvent ressortir à certains moments de nos existences. Il faut absolument en parler et les regarder en face.

 

Autrement nous ne serons jamais libérés. D’ailleurs il y a un certain Jésus de Nazareth qui a dit «  tout ce qui est caché sera dévoilé ». Pouvoir exprimer nos souffrances, comprendre nos pulsions de destruction voilà le chemin essentiel vers la libération. Il ne sert à rien d’étouffer la braise. Il faut faire la lumière. Il faut profiter de cette occasion au contraire pour inviter nos éducateurs et nos formateurs à aller en profondeur sur les causes réelles de ces violences verbales. Nous devons avoir le courage de « faire la vérité » sur nous-mêmes et sur notre société mauricienne. A notre avis, ce qui s’est passé n’est pas un évènement anodin. Il est symptomatique d’un mal être plus profond qu’il vaut bien mieux regarder en face.

 

  • Etes-vous d’avis qu’il faut sanctionner un tel acte ? Pourquoi ?

 

Les sanctions comme les punitions font partie des moyens dont les éducateurs se sont toujours servis pour maintenir la discipline. Nous avons tous connu cela dans nos écoles et collèges. Mais je suis convaincu que les sanctions ne suffisent jamais. Il faut apprendre en même temps à écouter battre le cœur d’un adolescent pour l’aider à grandir vraiment. Ecouter battre le cœur d’un humain c’est aller beaucoup plus loin que de l’entendre d’une oreille distraite. L’écoute réelle demande du temps. Il faut à tout prix éviter de juger, de conseiller trop vite. La vraie écoute demande que nous puissions nous dépouiller pour ainsi dire de nos préjugés et de nos manières de voir pour entrer vraiment en communion avec l’autre. Cette écoute est la base aussi du dialogue inter religieux. Nous sommes tous pressés et nous n’avons souvent pas le temps. Alors la vraie rencontre risque d’être bâclée. J’ajouterai aussi que les sanctions doivent toujours être complétées par l’accompagnement fraternel et j’oserais dire aussi spirituel.

 

  • On a souvent dit que la jeune génération est moins sectaire, plus ouverte, vivant naturellement la différence et s’épanouissant dans la pluralité. A quoi attribuer cette perte des valeurs ? Est-ce le système éducatif qui fait défaut, sont-ce les parents ? Où situer les failles ?

Je crois qu’il est difficile de généraliser et d’accuser les parents ou le système éducatif. Il faut avoir le courage de faire route ensemble pour mieux comprendre les jeunes d’aujourd’hui et le contexte dans lequel ils vivent et grandissent. Pouvons-nous suggérer des rencontres régulières entre parents, formateurs et éducateurs pour évaluer ensemble comment nous allons nous entraider à transmettre les valeurs morales dans un monde en constante mutation et dont nous ne maitrisons pas tous les rouages. Me revient a l’esprit le celebre adage « if you want to teach English to John, you have to learn who is John ». J’ai le sentiment moi, en tant qu’homme religieux, que je ne sais plus très bien qui est « John » aujourd’hui! Je pense que je ne suis pas le seul à le constater !

 

  • Les changements doivent venir de quel côté ? Quels changements ?

 

Parmi les possibilités je signale que nous allons lancer ce mois-ci l’aile jeune du Conseil des Religions. C’est un parcours que nous proposons en lien avec tous les pays africains.

 

Nos représentants ont participé à des sessions récemment avec tous les pays d’Afrique afin de proposer un programme adapté aux aspirations des  jeunes qui voudrait s’engager dans la consolidation de l’harmonie sociale. Nous n’avons pas de recette magique mais nous croyons qu’il est important d’ouvrir des espaces de formation qui vont au-delà du programme académique et de la course outrancière aux bourses d’études dans un système de compétition qui n’est pas forcement ce qu’il y de meilleur pour créer la fraternité entre les jeunes de nos collèges.

 

  • Qu’attendriez-vous comme réactions des autorités ?

Il me semble qu’elles mesurent la gravité de la situation et que nous devons leur faire confiance. Mais il est important aussi que l’opinion publique s’exprime mais dans le respect et la sérénité. C’est un problème social qui, comme nous l’avons dit dans notre communiqué de presse est enraciné dans notre histoire parfois mal connue et souvent mal assumée.

 

C’est dans cette direction que nous devons nous entraider à faire d’un moment de crise le tremplin pour un temps d’opportunité. C’est ce que certains appellent le « kairos ».

 

Dans la « crise » vient l’opportunité de reconstruire en profondeur. Surtout il ne faut pas perdre l’espérance !

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