Lettre Pastorale 2010 – Solidaires avec les Parents

Chers frères et sœurs mauriciens,

Je voudrais partager avec vous ma préoccupation par rapport à l’éducation que reçoivent les jeunes de notre pays aujourd’hui. Malgré de gros moyens déployés, et malgré l’engagement généreux des enseignants dans les écoles d’Etat comme dans les écoles privées, le taux d’échec en fin du primaire (35%), et le taux d’abandon scolaire au cours du secondaire (15%), restent alarmants. 

a)      Pour tenter de renverser ces tendances, il y a eu beaucoup de projets qui ont été élaborés, beaucoup d’initiatives prises, beaucoup d’argent dépensé. Mais malheureusement les choses n’ont pas beaucoup évolué. Que se passe-t-il ? Comment se fait-il que, malgré une scolarisation gratuite offerte à 100% des enfants mauriciens jusqu’à l’âge de 16 ans, près de 50% d’entre eux sortent de là sans aucune qualification académique ?

b)     De plus, l’éducation humaine de nos jeunes laisse à désirer. Plusieurs faits émergent dans l’actualité comme des symptômes inquiétants : taux d’absentéisme scolaire élevé, violence verbale et physique à l’école, circulation de drogue et de pornographie dans les cours de récréation. Comment se fait-il que notre pays, qui a connu tant de succès au niveau du développement économique, donne des résultats si décevants au niveau du développement humain de sa jeunesse ?

2.         Pour expliquer cette situation, trop souvent, nous avons tendance à accuser les parents. On dit par exemple que les parents sont négligents, qu’ils ne s’intéressent pas à l’éducation de leurs enfants ; ou bien qu’ils sont dépassés par les événements et qu’ils démissionnent. Cela est profondément injuste. Car devant le comportement répréhensible d’un enfant, la question n’est pas de savoir à qui la faute, mais avant tout de comprendre que ce type de comportement a souvent pour origine une souffrance chez l’enfant, et qu’il est aussi cause de souffrance pour les parents. Au lieu d’accuser les parents et de les accabler de nos critiques, il faut comprendre leurs difficultés et être solidaires avec eux.

Les parents, il est vrai, ont un rôle clé à jouer dans l’éducation de leurs enfants, et par là, pour le maintien d’une certaine santé sociale dans le pays. Cependant, ce rôle est difficile à tenir aujourd’hui. Nous savons tous qu’aucun enfant ne peut se développer humainement sans amour, et qu’un enfant qui ne se sent pas aimé de manière inconditionnelle par ses parents, souffre profondément. Lorsque cette souffrance s’accumule elle peut s’exprimer dans des comportements à risque, (violence, abus d’alcool, délinquance, fugue etc.). Beaucoup dépend finalement du type de la relation qui s’instaure entre les parents et leur enfant. Mais il faut reconnaître que cette relation est une des relations humaines les plus exigeantes au monde. Car les parents sont appelés à aimer leurs enfants coûte que coûte, envers et contre tout, pour la vie. Il ne s’agit pas d’un amour sentimental ou captatif, i.e., prêt à donner à l’enfant tout ce qu’il désire pour qu’il aime ses parents en retour. L’amour d’un parent pour son enfant entraîne plutôt un devoir d’éducation. Et, pour être éducatif, cet amour doit savoir tour à tour encourager l’enfant ou le sanctionner, lui interdire certaines choses et en autoriser d’autres, le confronter ou lui pardonner, le réconforter et toujours patienter.

Devant une telle exigence, il arrive que beaucoup de parents doutent d’eux-mêmes. Ils sentent quelquefois qu’ils ne correspondent pas au modèle du « bon parent » éducateur. Ils croient qu’ils sont seuls à rencontrer de tels problèmes et ils s’enferment peu à peu dans une solitude et un silence qui masquent peut-être leurs difficultés, mais restent lourds à porter. Or, ne pas avoir de lieu pour partager ses difficultés est comme manquer d’air frais pour respirer. On peut tenir un petit moment, mais après on suffoque. Si nous laissons les parents souffrir tous seuls, et si, de plus, nos préjugés les enfoncent dans un complexe de culpabilité, cette souffrance finira par exploser. Et ce, non seulement dans les cours privées, mais dans la rue.

La seule influence que les parents ont finalement sur leurs enfants est celle qu’ils exercent en continuant à les aimer envers et contre tout, à les aimer en les éduquant. Les enseignants et les éducateurs, les prêtres, les religieux et les religieuses, les autorités civiles, ont le devoir de comprendre et de soutenir les parents quand ils n’en peuvent plus. Il ne s’agit pas, bien sûr, de se substituer aux parents. Leur rôle est irremplaçable. Mais il faut redonner confiance aux parents, les écouter nous parler de leurs difficultés, sans les juger, ni les culpabiliser. Au fond, les parents ne veulent pas démissionner, ils sont seulement désorientés, démunis devant la complexité de leur tâche d’éducateurs dans les circonstances nouvelles de la société moderne. Ils ont besoin de partenaires qui soient solidaires avec eux, qui reconnaissent leur bon sens et croient en leur capacité d’être de bons parents éducateurs. Cette écoute et cette solidarité sont des conditions essentielles pour que des parents à bout de souffle se remettent en route dans ce travail lent et patient de « bâtisseurs d’avenir » au cœur de notre société.

Dans cette lettre pastorale, je voudrais vous proposer à tous de vivre une solidarité concrète avec les parents, autour de la famille ou de l’école, en quartier ou en paroisse. Je ne prétends pas que d’autres sont plus compétents ou plus capables que vous, chers parents. Personne ne possède la recette miracle pour réussir l’éducation de vos enfants. Nous sommes tous logés à la même enseigne et nous sommes démunis devant l’ampleur de la tâche. Cependant nous devons être solidaires et nous entraider dans ce travail d’éducation. Pour cela, nous avons besoin de nous rencontrer, de partager nos difficultés, de réfléchir à la finalité de l’éducation, et de prendre du temps pour approfondir pour nous mêmes la foi et les valeurs que nous voulons transmettre aux jeunes.

1ère Partie : L’Ecole et les Parents

Je voudrais commencer par réfléchir avec vous sur l’éducation que vos enfants reçoivent à l’école aujourd’hui. Votre rôle de parent ne se limite pas à trouver une « bonne école » pour vos enfants. Vous êtes aussi appelés à vous intéresser à l’éducation que votre enfant reçoit à l’école, et à y participer en le soutenant à la maison. Bien sûr, vos enfants auront toujours besoin d’éducateurs comme des enseignants, des catéchètes, des prêtres ou des religieuses, des responsables de mouvements. Mais l’éducation de vos enfants  ne pourra jamais se faire sans vous. Vous en êtes les acteurs incontournables. Et en tant que tels, vous avez des devoirs à remplir et des droits à faire respecter.

C’est pourquoi, chers parents, il faut se réveiller et prendre conscience de deux maladies graves qui affectent notre système d’éducation aujourd’hui, et donc affectent aussi un grand nombre d’enfants mauriciens. Je voudrais réfléchir avec vous sur les causes de ces maladies, et sur leurs conséquences pour vos enfants, avant de chercher les moyens à prendre pour faire évoluer la situation. Même si, en lisant ce qui suit, vous vous rendez compte que vos enfants ne sont pas directement affectés par ces défaillances de notre système d’éducation, je vous en supplie, intéressez-vous quand même. Soyez solidaires avec les parents dont les enfants souffrent tellement à cause de ces défaillances.

1.1. Première maladie : le taux élevé d’analphabètes malgré une scolarisation à 100%.

1.1.1.      Symptôme

Un premier symptôme de maladie grave dans notre système d’éducation c’est le taux d’échecs chronique aux examens de fin du primaire. Comme nous savons, la grande majorité des 34% de jeunes mauriciens qui échouent au CPE chaque année ne savent ni lire ni écrire après six années de scolarisation. De plus, ceux qui sont reçus au CPE avec des notes très faibles, environ 16% chaque année, abandonnent l’école après deux ou trois années au secondaire. L’expérience montre que ceux-là aussi redeviennent souvent analphabètes, à cause de leur handicap de départ et faute de pratique par la suite. Ainsi, environ 50% de jeunes mauriciens scolarisés pendant 6 à 9 ans se retrouvent en fin de parcours sans aucune qualification, et quasiment analphabètes pardessus le marché.

1.1.2.      Causes.

Quelles sont les causes d’un tel désastre ?

a) D’abord à l’école, le programme d’étude proposé, ainsi que la pédagogie utilisée, ne tiennent pas compte suffisamment de l’enfant, des réalités de son milieu familial, de sa langue maternelle, ni de l’univers culturel où il évolue. Or, nous savons, d’après les statistiques officielles, que le créole est la langue maternelle de 80% des Mauriciens. Il ne s’agit pas d’enfermer l’enfant dans son univers culturel ni dans le réseau relativement restreint de sa langue maternelle. Il s’agit tout simplement de commencer son éducation scolaire en respectant la langue qu’il a apprise sur les genoux de ses parents, de la valoriser, et de le rejoindre ainsi dans son contexte culturel. L’expérience montre qu’un enfant qui se sent ainsi respecté s’ouvre plus facilement par la suite à l’apprentissage des autres langues dont il a besoin pour se développer humainement. Ce diagnostic n’a rien d’original. Il a été fait à Maurice dans différents rapports depuis 1941. Il est soutenu officiellement par l’UNESCO. Il est temps de surmonter les préjugés tenaces qui écartent la langue créole de la place qui lui revient à l’école. Même s’il est évident que cette langue est moins ancienne, et donc moins développée que les autres langues qui ont cours à Maurice, elle se trouve être la langue maternelle de 80% de nos compatriotes. A ce titre elle mérite d’être respectée.

b) A la maison également il y a d’autres facteurs qui sont à l’origine de ce taux d’échec chronique. Beaucoup d’enfants n’ont pas le soutien ou les conditions matérielles nécessaires pour pouvoir étudier. Dans des cas de grande pauvreté, il arrive que les parents n’aient pas les moyens de payer à leurs enfants les livres, les cahiers, les plumes, le sac, et même le petit déjeuner quotidien dont ils ont besoin pour être en bonne forme à l’école. Dans d’autres cas, il peut arriver aussi que l’enfant soit obligé de rester à la maison pour veiller les petits frères et sœurs et permettre ainsi à la maman d’aller travailler et gagner ce qu’il faut pour survivre. Dans les foyers déchirés ou dans les familles monoparentales les enfants sont quelquefois laissés à eux-mêmes, ou sont maltraités. L’atmosphère tendue, le climat de violence ou le laisser-aller dans une famille n’aide pas les enfants à être assidus à l’étude. Les repères dont l’enfant a besoin pour grandir humainement ne sont pas toujours là, car certains parents eux-mêmes les ont perdus et sont désorientés.

c) De plus, dans la société, la prolifération des maisons de jeux, ou de débit d’alcool, ainsi que tous les trafics, petits et grands, qui se répandent aujourd’hui autour de la prostitution, et de la drogue, créent un climat social peu propice à promouvoir l’assiduité au travail, l’intégrité, l’honnêteté, ou le sens du service.

1.1.3.      Conséquences.

a) Pour les enfants qui subissent l’échec scolaire à la fin du primaire, les conséquences sont terribles. Ils commencent leur vie d’adolescent avec le sentiment d’avoir été délaissés. Ce que l’école leur proposait était pour eux incompréhensible, ne les rejoignait pas dans leurs aspirations d’enfant, et leur semblait inutile pour les préparer au monde du travail. Ils se sentent comme pris au piège d’une société qui ne reconnait pas leur univers culturel et ne valorise pas leurs talents. Pendant 6 à 9 ans, ces enfants ont eu souvent comme seul recours de jouer la comédie à l’école pour prétendre qu’ils comprenaient. Ils n’ont jamais eu l’occasion d’exprimer ce qu’ils ressentaient, ce qu’ils pensaient. Personne ne s’est intéressé de savoir s’ils assimilaient quelque chose ou non. Obnubilée par le souci de la performance académique des élèves, l’école peut facilement oublier que l’enfant est avant tout une personne qui a soif de se développer humainement. Comment voulez-vous que ces enfants, mis ainsi sur la touche par le système d’éducation, soient motivés par la suite à participer activement au développement du pays, ou au maintien de la paix sociale?

b) Pour le pays également les conséquences sont graves. Nous répétons comme un mantra que la principale richesse de l’Ile Maurice ce sont ses ressources humaines. Or, environ 50% de ces ressources sont négligées. Le système d’éducation que nous avons hérité n’est pas adapté à leurs besoins, ne les rejoint pas dans leurs aspirations. Ces jeunes sont laissés sur le bord de la route. Une statistique récente donne bien l’ampleur du défi à relever : 70% des emplois créés à Maurice actuellement requièrent chez le candidat le diplôme de HSC ; or 70% des demandeurs d’emploi à Maurice aujourd’hui n’ont pas la HSC.

1.1.4.      L’introduction du créole à l’école.

Quels moyens prendre pour faire évoluer la situation ? Comme j’ai déjà eu l’occasion de le dire publiquement, un premier pas à faire me paraît être l’introduction du créole à l’école comme langue d’enseignement optionnelle, et aussi comme matière optionnelle dans le programme d’étude. Pour bien comprendre l’enjeu de cette mesure, distinguons avec soin les deux aspects de la question.

a) En ce qu’il s’agit de l’introduction du créole comme langue  d’enseignement, entendons-nous bien. Il ne s’agit en aucun cas d’imposer le créole comme unique langue d’enseignement pour tous les enfants mauriciens au primaire. Il faut reconnaître qu’au moins 20% des Mauriciens n’ont pas le créole comme langue maternelle. De plus, même parmi les 80% qui l’ont comme langue maternelle, il y en a qui, par choix, parlent le français à la maison et préfèrent que l’enseignement de leurs enfants se fassent à travers une langue internationale. Le créole, comme langue d’enseignement, devrait donc non pas être imposé à tous, mais être proposé comme une option sérieuse, à ceux et celles qui le désirent et qui en ont besoin. Il est nécessaire pour l’enfant qu’on utilise sa langue maternelle pour commencer l’apprentissage des compétences de base, « lire, écrire et compter ». Je dis bien « commencer », car il ne s’agit pas non plus d’enfermer les enfants qui opteraient pour le créole, dans le réseau relativement restreint de cette langue. Pour se développer humainement, il faut aussi qu’ils apprennent d’autres langues, comme le français ou l’anglais, et deviennent capables d’étudier les autres sujets en utilisant ces langues. Or, précisément, le fait de commencer dans sa langue maternelle épanouit l’enfant psychologiquement, et lui donne une confiance en lui-même. Cela lui permet, par la suite, d’apprendre plus facilement les autres langues qui lui sont nécessaires pour élargir ses horizons et de mieux assimiler les autres matières. Ainsi la proposition d’utiliser le créole comme langue optionnelle d’enseignement ne concerne que les quelques premières années du primaire. Il faudra ensuite élaborer la pédagogie qui convient pour permettre à l’élève de passer du créole à une langue internationale pour le reste de son apprentissage.

b) Quant à l’introduction du créole comme matière optionnelle dans le programme d’étude, il y a deux raisons qui motivent cette démarche. D’abord, pour pouvoir introduire le créole comme langue d’enseignement, il faut bien que les futurs enseignants arrivent à maîtriser cette langue, avec sa grammaire, sa graphie, sa syntaxe, son histoire aussi. Pour cela il est essentiel que le créole, comme langue, soit introduit dans le curriculum dès le primaire. Mais il y a aussi une autre raison. Tout Mauricien, de quelque origine qu’il soit, a aujourd’hui la possibilité d’étudier à l’école la langue de ses ancêtres et la culture qui va avec. Il me paraît juste et dans la ligne du respect des droits humains fondamentaux, que les créoles aussi aient la possibilité d’étudier la langue qui a été forgée par leurs ancêtres dans les circonstances terribles de l’esclavage. Connaître ses racines culturelles, les apprécier à leur juste valeur, est une condition essentielle de tout développement humain. L’introduction du créole et des « études créoles » dans le curriculum scolaire, aurait l’avantage non seulement de respecter le droit de nos frères et sœurs créoles, mais aussi de combler un vide, et de rétablir un certain équilibre social à l’école comme dans la société mauricienne.

c) Pour un mauricianisme authentique.

Ces deux mesures, si elles étaient adoptées, demanderaient une préparation minutieuse pour être mises en pratique. Il faudrait produire de nouveaux manuels, former les enseignants, et surtout élaborer la pédagogie nécessaire pour faire faire aux élèves le passage nécessaire du créole à une langue internationale. Ces défis ne seront relevés qu’à la condition d’être convaincu de l’importance capitale du respect de la langue maternelle de l’enfant pour que celui-ci s’épanouisse et se développe humainement. Etre convaincu aussi du droit des parents qui souhaiteraient que leurs enfants puissent tout simplement mieux connaître leurs racines culturelles et la langue qui va avec. Ces convictions ont leur source dans un humanisme authentique, profondément attaché au respect de l’autre dans sa différence culturelle, ou tout simplement dans l’amour du prochain, surtout de celui qui, tombé au bord de la route, a de la peine à se relever. Il n’y aura jamais de mauricianisme digne de ce nom sans ce respect et cet amour.

1.1.5.      Le soutien à apporter aux parents en difficulté.

Pour remédier au taux élevé d’échecs en fin du cursus primaire d’une réforme scolaire ne suffit pas. Il faut aussi apporter un soutien aux enfants qui ont des difficultés d’apprentissage, ainsi qu’à leurs parents qui sont dépourvus et ne savent pas trop comment aider leurs enfants à la maison. Ce soutien doit être en fait un accompagnement, lequel peut prendre plusieurs formes. Déjà, autour de certaines écoles primaires ou secondaires des expériences intéressantes ont été tentées. Dans certains cas des enseignants à la retraite sont sollicités pour mieux repartir les élèves de la classe selon leurs niveaux et mieux cibler l’attention à leur accorder. Parallèlement, d’autres volontaires visitent les parents pour les écouter et les encourager. Dans un autre cas, l’école elle-même offre aux élèves la possibilité de faire leur « homework » à l’école et d’être accompagnés par des enseignants s’ils ont des difficultés. D’autres écoles proposent des sessions formelles de formations aux parents, et les invitent à participer à certains programmes d’éducation aux valeurs proposés à leurs enfants.

Dans plusieurs collèges catholiques, des centres d’écoute ont été également mis sur pied. Là, des enseignants formés professionnellement sont disponibles pour écouter et accompagner les parents en difficulté. Cela permet aux parents en souffrance de se dire librement dans un climat de confidentialité et de respect. Il existe aussi un programme scolaire, « Les Amis de Zippy », qui a été introduit dans les écoles primaires catholiques depuis 2009 pour aider les jeunes enfants à gérer les difficultés de la vie. On remarque que les enfants discutent de ce programme avec leurs parents et qu’ainsi, naît un meilleur dialogue à la maison.

La proposition du ministre de l’Education de prolonger le temps scolaire de 75 minutes pour le « Enhancement Program », qui cherche à donner une attention plus ciblée aux élèves en difficulté, me semble aussi une initiative pleine d’espérance. Il faut l’encourager et tout faire pour qu’elle réussisse. Ce temps pourrait aussi servir peut-être à des rencontres plus informelles entre parents et enseignants. Et qui sait si un jour parents et enseignants accepteraient de travailler ensemble autour de l’école afin de mieux servir les jeunes qui leurs sont confiés. Déjà, un programme dans ce sens se met en place autour de certaines écoles ZEP. Des mamans sont invitées à se regrouper dans des « clubs » ; et là, une formation leur est offerte pour les rendre capables de participer à l’éducation de leurs enfants au sein de l’école.

1.2. Deuxième maladie : une trop grande compétition.

1.2.1. Symptôme

Un autre symptôme de maladie grave dans notre système d’éducation est plus subtil. Ce sont les « leçons particulières ». A partir d’un besoin qui, à l’origine, était celui de l’enfant, s’est développée progressivement une véritable école payante, indépendante de l’école gratuite, mais organisée la plupart du temps par les mêmes enseignants, et fonctionnant dans les mêmes salles de classe, après les heures de l’école gratuite. Cette école parallèle profite bien sûr aux enseignants, arrange les parents qui travaillent jusqu’à tard, mais finit par abrutir les enfants. Car ces leçons dites « particulières » n’offrent aucune attention particulière à l’enfant. Elles regroupent dans la même salle 40 à 50 élèves et insistent plutôt sur la répétition et le « par cœur ». Elles ne développent en rien la capacité de raisonner chez l’enfant. De plus, elles privent l’enfant de toute activité gratuite, comme le sport, la musique, le théâtre ou la lecture, activités tellement importantes pour son développement humain.

1.2.2.      Causes

D’où vient cette aberration ?

a) En grande partie de l’hyper-compétitivité de notre système d’éducation. Au primaire on en est arrivé à négliger le développement humain de l’enfant, au profit d’une course effrénée au résultat d’examen. Cette course est encouragée par le fait que, de ce résultat, dépend l’admission de l’enfant dans un « bon » collège secondaire, i.e., un collège reconnu capable de produire un « bon » nombre de lauréats. Ainsi, au secondaire également, l’attrait pour les bourses d’Etat en fin de parcours est tel qu’il encourage le fonctionnement d’un même type d’école payante parallèle à l’école gratuite, (les « leçons particulières ») afin de doper les étudiants pour la course aux « bourses d’Etat ». Cette course aux résultats est nocive pour l’élève, parce qu’elle bloque toute tentative d’humaniser davantage l’éducation gratuite.

b) Au-delà de l’hyper-compétitivité du système, une autre cause de la prolifération des leçons particulières réside dans une espèce d’illusion qui finit par s’incruster dans l’esprit de beaucoup de gens. On est arrivé à accepter comme une évidence que celui ou celle qui obtient quelques points de plus aux résultats de l’examen est « meilleur(e) » que celui ou celle qui a quelques points de moins. Cette illusion attise l’appétit pour la première place à tout prix et détourne ainsi l’éducation de sa vraie finalité. A cause de cette compétition malsaine, toute l’attention des parents et des enseignants se concentre non pas sur les moyens à prendre pour développer la personnalité humaine de l’élève, mais plutôt sur les stratégies à adopter pour obtenir ces quelques points de plus que les autres à l’examen.

1.2.3.      Conséquences

a) Cette attitude est malheureusement si profondément ancrée qu’elle entraîne quelque fois des conséquences peu édifiantes dans les comportements de parents ou d’enseignants. Par exemple, tel enseignant qui ne donne des « leçons » qu’à un nombre très réduit d’étudiants s’est vu offrir par un parent une forte somme d’argent pour qu’il refuse de donner la même « leçon » à un élève concurrent de son enfant. Ou bien encore, des enseignants qui, par leur manière de donner des « leçons », se sont forgé une réputation de « faiseurs de lauréats », ou de « faiseurs de classés », ont été surpris l’une ou l’autre fois faisant pression sur des enfants brillants qui n’avaient nul besoin de « leçon particulière », pour qu’ils prennent quand même des « leçons » avec eux, afin qu’ils puissent compter cet enfant brillant parmi les lauréats ou les classés, « produits » par eux.

b) Ce détournement de l’éducation qui la corrompt et la réduit en une simple course aux résultats peut aussi être très grave pour l’étudiant. On entend souvent se plaindre des employeurs qui, ayant recruté des jeunes avec de brillants résultats scolaires, parlent de l’inadaptation de ces jeunes aux besoins de l’entreprise. Ceux-ci ne savent que répéter ce qu’ils ont appris par cœur, mais ont peu développé une certaine confiance en eux-mêmes, une capacité de relations, un esprit créatif, une habilité à prendre des initiatives, ou à résoudre des problèmes inédits. Nous avons eu un exemple flagrant récemment lorsqu’une entreprise a voulu recruter d’un coup un bon nombre de jeunes ayant leur diplôme de HSC pour travailler dans des « call centres ». Plusieurs d’entre eux, malgré leurs qualifications scolaires, se révélaient incapables de faire le travail demandé et même de profiter de la formation interne.

1.2.4.      Comment remédier à l’hyper-compétitivité du système ?

Il est inutile de vouloir lutter directement contre les abus que renferme le système actuel de leçons particulières, sans en même temps lutter contre ce qui est à l’origine de tels abus, c’est-à-dire l’hyper-compétitivité de notre système d’éducation.

a) C’est pourquoi je pense qu’il est du devoir de tout citoyen de bonne volonté de soutenir les différentes mesures que se propose de prendre actuellement le ministère de l’Education et qui vont dans ce sens : par exemple, l’introduction du « continuous assessment » au primaire ; l’interdiction progressive des leçons particulières, (pour le moment elles sont interdites jusqu’en 4ème ; souhaitons qu’elles le soient jusqu’en 6ème) ; le remplacement du CPE par un examen national à la fin de la F III ; l’introduction d’un type de « remedial education » gratuit et mieux ciblé, organisé par l’école, après les heures de classes ; l’introduction de propositions d’activités, telle la musique, le théâtre, le sport, le dessin etc. avec une participation parentale et communautaire.  Soutenir ces mesures, ce n’est pas seulement les approuver, mais user de son initiative, donner de son temps pour contribuer à ce qu’elles réussissent et apportent quelque chose de valable au développement humain des enfants.

b) Cependant ces mesures risquent de rester lettre morte si l’on ne s’attaque pas sérieusement à la haute dose de compétition inhérente au système. Ce qui donne au CPE cette compétitivité malsaine, c’est que l’accès aux soit disant « bons » collèges secondaires dépend du résultat que l’élève obtiendra à cet examen. Or, les collèges sont jugés « bons » non pas parce qu’ils donnent une éducation de qualité, mais parce qu’ils produisent le plus grand nombre de « lauréats ». Cette perception est illusoire, car elle ne veut pas reconnaître le fait que le collège qui donne le plus de lauréats n’est pas nécessairement le collège qui donne l’éducation de meilleure qualité, mais tout simplement le collège qui s’est arrangé pour faire admettre chez lui les meilleurs élèves.

C’est pourquoi je soutiendrai volontiers la proposition récente du Ministre de l’Education, faite pour tenter de désamorcer, ou du moins réduire,  l’engouement malsain pour cette course abrutissante aux premières places. Au lieu d’ouvrir la course aux bourses d’Etat à tous les élèves de tous les collèges de l’île en même temps, comme c’est le cas actuellement, il propose d’offrir un certain nombre de bourses à chacune des régions scolaires de l’île. Il est évident que pour pouvoir se qualifier pour une bourse d’Etat, il faudrait que l’élève puisse atteindre un niveau minimum à l’examen. Cette mesure aurait au moins l’avantage de disperser la compétition et donc de la réduire. De plus, avec le développement des universités à Maurice, on donnerait davantage de bourses locales, et on réserverait les bourses d’Etat pour des universités étrangères, à ceux et celles ayant déjà un premier diplôme universitaire. Plus la compétition sera ainsi réduite, plus les études universitaires à Maurice seront ainsi rendues accessibles à tous les étudiants de bon niveau, moins les parents auront intérêt à « doper » leurs enfants avec des leçons particulières pour une course qui aura perdu son intérêt.

Ce dont les parents ont besoin pour être fidèles à leur vocation c’est qu’on les aide à viser le  bien de leur enfant sur le long terme, et non pas simplement son succès immédiat à des examens. En d’autres termes, ils ont besoin de retrouver le cœur de leur vocation de parent, qui consiste à s’engager pour le développement humain intégral de leur enfant, et à y participer de tout leur cœur.

2e Partie : Le développement humain de l’enfant comme visée de l’éducation.

Que nous soyons parents, enseignants, prêtres, religieux, religieuses, ou responsables de mouvements de jeunes, nous sommes tous appelés à faire œuvre d’éducation. Sachant combien les parents ont un rôle de pivot dans l’éducation de leurs enfants, nous sommes appelés à être solidaires avec eux et à les soutenir activement. Pour nourrir cette solidarité et la rendre plus active, je voudrais réfléchir avec vous sur les grandes lignes d’une éducation vraiment humaine, celle qui vise avant tout le développement humain intégral de l’enfant, celle que les parents cherchent à réaliser à la maison, celle qui doit être la première préoccupation de l’école, celle que l’Eglise aussi cherche à promouvoir. Quelles sont les ingrédients de ce développement humain que doit viser toute éducation

2.1. Le développement de l’intelligence.

Le développement humain d’une personne c’est d’abord le développement de son intelligence, de sa capacité de raisonner, de réfléchir, de se renseigner et de se faire un jugement. Le but de l’éducation, ce n’est pas simplement d’entraîner l’enfant à mémoriser ce qui est écrit dans les livres, ou ce que dit l’enseignant, afin de pouvoir le répéter comme un perroquet à l’examen. La mémoire est nécessaire et doit être développée mais elle n’est qu’un soutien pour l’intelligence, et son développement n’est pas le but premier de l’éducation. D’autant plus qu’aujourd’hui avec les moyens modernes d’information et de communication, les données sur n’importe quel sujet sont disponibles au bout de quelques « clics ». Ce qu’il s’agit d’apprendre c’est plutôt comment trouver l’information, comment la trier, l’évaluer, s’en servir, et non pas s’en gaver.

De plus, grâce à ces mêmes moyens de communication et d’information, les jeunes sont confrontés à une multiplicité de modèles de pensée ou de mœurs, dont certains, de qualité douteuse, sont privilégiés subtilement par les média et la publicité. Dans ce contexte, il est d’autant plus urgent que les jeunes soient entraînés à réagir de manière critique par rapport aux media. Les parents ont un rôle primordial à jouer dans ce domaine, et ils en sentent bien l’importance. Mais ils sont souvent démunis par rapport aux moyens à prendre. Ils ont besoin d’être soutenus, guidés pour qu’ils puissent initier leurs enfants à la façon de prendre de la distance, de réfléchir, et ainsi de former leur jugement. Il n’est pas sain de laisser les jeunes se contenter de quelques impressions, ou de quelques slogans volés au hasard d’une émission. Ils ont intérêt à apprendre les règles du débat démocratique, à être initiés à l’art de se faire une opinion, de présenter leur point de vue et de respecter celui des autres.

Ici, l’école aussi a un rôle évident à jouer. Mais le joue-t-elle vraiment ? Pour avancer sur ce point, ce n’est pas de réforme, ni de programme ni même de moyens financiers dont nous avons besoin, mais de la volonté de ceux et celles qui, chacun dans sa discipline, peuvent s’adresser à l’intelligence raisonnante de l’élève et l’aider à la cultiver. Sans cet apprentissage du raisonnement critique, le jeune est très vulnérable. Il peut facilement se laisser berner par ses propres passions, ou par les illusions qui lui sont vendues par une publicité sans scrupule.

2.2. Le développement d’une liberté responsable.

Le développement humain d’un jeune c’est aussi le développement de sa liberté responsable, de sa capacité de choisir avec discernement. Depuis très tôt les parents peuvent éduquer la liberté de leurs enfants en leur proposant des choix. L’enfant répugne souvent à choisir. Il veut tout avoir. Or apprendre à choisir librement, c’est consentir, pour acquérir quelque chose, à renoncer à autre chose ; ou bien, pour obtenir un avantage, accepter un inconvénient. Un enfant ne peut accéder à un minimum de maturité humaine s’il n’a pas été entraîné à accepter les limites de son pouvoir, et la nécessaire pauvreté qu’entraînent les choix inévitables que nous avons à faire.

Les enfants ont aussi du mal à être patient. Ils veulent tout avoir, tout de suite. Apprendre à attendre, à respecter les rythmes de sa vie, à ne pas brûler les étapes, à se donner le temps de la maturation fait aussi partie de l’éducation à l’exercice d’une liberté responsable. Faire sa vie comme on fait un chemin, se fixer un but et y aller « ti pas, ti pas », comme on dit chez nous, est fondamental. C’est ainsi que l’enfant développera un rapport libre aux biens matériels, à l’argent et à la sexualité. L’enfant à qui on n’a rien refusé et qui a toujours obtenu tout ce qu’il voulait tout de suite, est finalement un enfant très exposé. Il peut facilement devenir « accro » à l’un ou l’autre de ces plaisirs faciles et mortifères que ne se priveront pas de lui vendre les nombreux « colporteurs » qui restent aux aguets pour capter le marché des jeunes en les manipulant de manière scandaleuse.

Pour cet apprentissage de la liberté humaine, les jeunes ont moins besoin de maîtres que de témoins : leurs parents à la maison, des enseignants à l’école, des prêtres, des religieuses ou des catéchètes en paroisses, des éducateurs dans des mouvements qui manifestent par la qualité de leur vie qu’une personne humaine peut vivre heureuse sans être accrochée aux plaisirs illusoires que nous vante trop souvent une publicité agressive. De vrais éducateurs doivent se tenir auprès des jeunes comme des tuteurs qui les aident à rester debout dans leur dignité d’homme et de femme, à lever les yeux au-dessus des images et du tapage de foire qui les entourent, pour réaliser qu’il y a un sens plus profond à la vie qu’il vaut la peine de découvrir. Ils ont besoin d’adultes qui soient prêts à les accompagner gratuitement dans leur recherche de la direction qu’ils veulent donner à leur vie.

2.3. L’ouverture aux autres.

Le développement humain c’est aussi le développement de la capacité du jeune de s’ouvrir aux autres, pour la rencontre gratuite. Ni la formation de son jugement, ni l’éducation de sa liberté ne peut se faire dans l’isolement.  Non seulement la découverte de l’amitié et du soutien inestimable qu’elle apporte, mais aussi la rencontre d’autres jeunes différents de lui par la culture, la classe sociale ou la religion, est un élément incontournable de l’éducation dont le jeune a besoin pour réussir sa vie dans la société mauricienne d’aujourd’hui. Il doit faire l’apprentissage du respect à avoir pour ces différences culturelles qui l’entourent. Alors il pourra découvrir l’enrichissement mutuel que l’accueil de ces différences apporte.

2.4. Le sens du service.

Par ailleurs, pour la maturation humaine d’un jeune, il est essentiel qu’il puisse être confronté à la misère humaine. Il doit être entraîné à s’ouvrir aux plus démunis avec respect et sans condescendance. Alors il découvrira que s’il a quelque chose à leur apporter, il a, lui aussi, beaucoup à apprendre d’eux sur les valeurs fondamentales de la vie humaine.  En donnant de leur temps et de leur attention gratuitement aux autres, les jeunes apprennent à se décentrer par rapport à eux-mêmes, et peuvent découvrir ainsi un sens profond à la vie. Là encore, pour cette éducation, les jeunes ont besoin de rencontrer des éducateurs qui  croient à la valeur du service, et qui les aiment suffisamment pour cheminer avec eux et les faire découvrir cette dimension essentielle de leur humanité : l’amour gratuit.

2.5. L’amour gratuit au cœur de l’éducation des enfants.

Pour travailler vraiment au développement humain intégral d’un enfant il faut l’aimer gratuitement. Il y a quelque chose de gratuit au cœur de toute éducation digne de ce nom. Sans un engagement personnel, sans un don désintéressé de soi-même pour le bien de l’enfant, l’éducation est dévoyée, et devient manipulation. Dans la première partie (pp.9-20) de la Lettre Pastorale de Carême de l’an dernier, je vous invitais à développer quelques attitudes qui traduisent en pratique cette gratuité. Je vous y réfère volontiers.

En parlant du travail, le Pape Jean-Paul II disait « le travail est avant tout « pour l’homme »  et non l’homme « pour le travail » »[1]. Ce qui indique que le but du travail n’est pas simplement la production du maximum possible de biens ou de services pour faire gagner le plus d’argent possible à l’entreprise. Le travail est fait d’abord pour promouvoir le développement humain des travailleurs : leur savoir faire technique, bien sûr, mais aussi leurs talents particuliers, leur créativité, leur sens de la responsabilité, de la solidarité avec leurs camarades afin qu’ils puissent non seulement mieux servir l’entreprise, mais aussi et surtout s’épanouir comme homme dans leur travail.

De même,  en parlant de l’école, on pourrait dire que « l’école est faite pour l’élève et non pas l’élève pour l’école ». Ce qui revient à dire que le but de l’école n’est pas simplement de faire en sorte que l’élève obtienne le meilleur résultat possible à l’examen et contribue ainsi à la réputation académique de l’établissement.  Mais plutôt l’école est faite pour « éduquer » l’élève, c’est-à-dire voir chaque enfant comme un être unique, avec ses forces et ses faiblesses, aider chacun à se développer humainement à son rythme. La réussite d’un élève ne se mesure pas simplement à ses résultats d’examen. Les parents comme les enseignants doivent veiller à ce que l’enfant consente à faire un effort soutenu, adopte une discipline de vie, soit assidu au travail, développe un sens de la responsabilité, s’ouvre aux autres et soit capable de travailler en équipe. L’éducation n’a pas pour but de rehausser le blason de l’école ou de servir l’ambition de la famille. Elle doit viser seulement le développement humain de l’enfant. Celui-ci doit sentir qu’il est aimé de manière inconditionnelle, dans sa famille comme à l’école, même si ses résultats scolaires ne sont pas brillants.

Aimer un enfant tel qu’il est, avec ses limites et ses forces, et non pas tel que nous rêverions qu’il soit, est la seule façon de l’éduquer vraiment. C’est à l’ombre de cet amour gratuit qu’il apprendra à se connaître lui-même et à s’aimer lui-même. Cette sagesse est mille fois plus pertinente pour la réussite d’une vie humaine que les meilleurs résultats académiques au monde.

3ème Partie.   L’Eglise au service du développement humain intégral.

3.1. Dieu appelle l’homme à se développer « intégralement ».

Selon la foi chrétienne, le développement humain des jeunes est leur vocation fondamentale. « Dans le dessein de Dieu, chaque homme est appelé à se développer, car toute vie est une vocation »[2]. Parler de développement humain comme d’une vocation, c’est d’abord reconnaître que nous recevons notre vie humaine comme un don de Dieu. Il nous la confie et nous appelle à la développer. Si Dieu nous confie la responsabilité de développer la vie qu’Il nous donne, Il a certainement quelque chose à nous dire sur le sens de cette vie, sur l’intention qu’Il avait en nous créant. C’est pourquoi l’Eglise insiste tellement pour que le développement humain soit « intégral », c’est-à-dire qu’il respecte l’intégralité du dessein de Dieu, celui qu’Il avait en nous créant et qu’Il nous révèle pleinement en Jésus Christ. « Toute l’Eglise », nous dit le Pape Benoît XVI,  « dans tout son être et tout son agir tend à promouvoir le développement intégral de l’homme, quand elle annonce, célèbre et œuvre dans la charité ».[3]

Ce dessein de Dieu confirme les grandes lignes du développement humain que nous avons évoquées plus haut (le développement de l’intelligence, de la liberté responsable, de l’ouverture aux autres et du sens du service).  Mais il nous indique aussi son origine – l’appel de Dieu – et sa finalité : accomplir notre destinée d’enfant de Dieu dans une communion avec Dieu notre Père et entre nous comme des frères. La révélation chrétienne situe ainsi le développement humain dans le cadre merveilleux de notre création à l’image de Dieu, et de notre destinée d’enfant de Dieu. A la lumière de la foi, l’engagement des parents pour le développement humain intégral de leurs enfants apparaît alors comme leur réponse à la confiance que Dieu leur fait en les invitant à participer à cette œuvre de développement humain qui conduit finalement au bonheur éternel de leur enfant.

3.2. Le développement humain blessé par le péché.

A la lumière de cette révélation, les obstacles et les difficultés que nous rencontrons dans l’œuvre exigeante de l’éducation humaine des enfants, apparaissent alors comme les traces des blessures du péché en nous. Par exemple, tout ce qui tend à manipuler les jeunes plutôt qu’à les éduquer, à attiser leur soif de plaisirs éphémères, plutôt qu’à les faire réfléchir sur ce qui conduit à un bonheur durable ; tout ce qui tend à susciter chez eux un appétit désordonné pour une consommation futile, à se servir d’eux comme d’un marché qui rapporte de l’argent ; tout exercice autoritaire de l’autorité qui ne respecte pas profondément leur liberté et n’éveille pas leur conscience ; tout laxisme aussi qui leur laisse la bride sur le cou sans prendre le temps de les écouter et de les accompagner avec amitié et patience. Tout cela nous éloigne du respect pour la personne de l’enfant et de la gratuité, sans laquelle il n’y a pas de vraie éducation. Négliger le développement humain intégral de l’enfant est une éducation qui fait fausse route. Non seulement elle ne fait pas confiance à Dieu, mais aussi elle blesse profondément la dignité humaine des jeunes.

3.3. Jésus sauve le développement humain intégral

Les parents comme les éducateurs sont appelés à reconnaître avec clairvoyance et humilité ces traces du péché qui détourne l’éducation de son but. Mais ils sont appelés également à mettre leur espérance en Jésus qui nous sauve.  Pour continuer la route avec courage et patience malgré les obstacles et les blessures qui freinent notre marche, nous pouvons nous appuyer sur la fidélité du Christ qui nous a aimés jusqu’au bout, qui nous accompagne, nous éclaire et nous soutient. Nous croyons que pour Jésus, tout homme (quelque soit ses talents, sa culture ou sa religion) et tout l’homme (i.e. toutes les dimensions de la sa vie) sont importants. Il s’intéresse à notre vie de parents, avec ses hauts, ses bas, ses joies, ses peines. Il tient à promouvoir le développement humain de nos enfants dans toutes ses dimensions, jusque et y compris leur plein accomplissement dans la communion avec Dieu.

C’est lui, Jésus, qui nous donne la pleine lumière sur notre origine, sur notre destinée et sur le chemin à prendre pour atteindre le bonheur qu’Il nous promet. Cette lumière n’est pas simplement une théorie ; elle vient de son témoignage de vie, lui qui est à la fois homme et Fils de Dieu. Venu marcher sur notre terre, Il participe à notre combat pour le développement intégral de tous les humains et nous garantit la victoire.

3.4. L’Evangile, guide pour le développement intégral de l’homme

C’est ainsi qu’on peut comprendre comment « l’Evangile est un élément fondamental du développement humain»[4].

Ancrée dans cette foi, et stimulée par cette espérance, l’Eglise aujourd’hui, comme Saint Paul jadis, « ne rougit pas de l’Evangile, car il est une force de Dieu pour le salut de tout homme qui croit » (Rm.1, 16). Elle n’hésite pas à proposer l’Evangile à ses fidèles comme à tous les hommes. Car elle est convaincue que la vision chrétienne du développement intégral de l’homme, en affirmant et en justifiant la valeur inconditionnelle de la personne humaine et le sens de sa croissance, aide efficacement à travailler au développement humain intégral de tous les hommes.

C’est pourquoi il est tellement important que dans toutes les familles chrétiennes les parents prennent du temps pour lire l’Evangile avec leurs enfants, et apprennent progressivement à entendre dans cet évangile Dieu lui-même qui leur parle comme un Papa, qui les éclaire, les soutient, les accompagne dans leur tâche d’éducateurs.

C’est pourquoi aussi il est si important que l’Evangile soit enseigné aux chrétiens dans les écoles. Il existe dans le curriculum de la S.C. et de la H.S.C. un sujet appelé « Bible Studies » qui offre aux élèves une bonne introduction à la lecture de la Bible et à une première compréhension du texte. Il faudrait que ce sujet soit accessible dans les écoles à tous les chrétiens ainsi qu’aux autres qui s’y intéresseraient. Or, pour pouvoir enseigner le « Bible Studies » en HSC, un diplôme universitaire est nécessaire. Mais l’Université de Maurice n’offre pas encore les cours d’études bibliques qui permettraient d’obtenir ce diplôme. Il me semble nécessaire que l’Université de Maurice ouvre un département de « Christian Studies » pour combler ce vide.

Cependant une simple étude des textes de l’Evangile ne suffit pas pour profiter pleinement de la richesse du message qu’il contient, et le mettre en pratique dans la vie quotidienne. C’est pourquoi dans les écoles catholiques comme dans les autres écoles, les chrétiens doivent avoir accès à des classes de catéchèse. Dans ces classes, l’Evangile reste la référence, l’inspiration première, mais il est mis davantage en relation avec les différents aspects de la vie des jeunes d’aujourd’hui, afin qu’ils puissent se laisser guider par lui, et accéder au bonheur qu’il promet. D’autres lieux, appelés « Espace Jeunes », existent aussi dans certaines paroisses où une catéchèse du même ordre est proposée aux jeunes. Avec des horaires plus souples, et une organisation plus conviviale, ces « Espaces » peuvent permettre aux parents de participer à l’animation de ces temps de formation, ce qui est précieux.

4e Partie : Un peuple en marche

4.1. Des parents sont déjà en route : vous pouvez les rejoindre.

Je voudrais aussi remercier les nombreux parents qui se sont déjà mis en route dans les paroisses, souvent à l’occasion de la première communion ou la confirmation de leurs enfants, pour faire un chemin ensemble dans la redécouverte de leur foi. Le « réveil des parents » dont je parlais dans la lettre pastorale de 2009 se confirme et s’amplifie. Au cours des différentes assemblées régionales auxquelles j’ai participé à la fin de l’année dernière, j’ai pu constater combien les parents apprécient le fait de se rencontrer et de partager leurs difficultés dans une atmosphère fraternelle. Chacun se rend compte qu’il n’est pas seul à avoir des problèmes avec ses enfants, qu’il n’est pas jugé, mais soutenu au contraire. Cela leur donne des ailes. Alors des pas significatifs sont faits, de nouvelles habitudes sont prises en famille, par exemple, prendre des repas avec les enfants sans la TV, ou prier en famille, se détendre en famille, ce qui permet plus d’écoute et d’échanges entre parents et enfants. Plusieurs aussi trouvent du temps pour écouter la parole de Dieu avec les enfants, ce qui soude la famille à un niveau profond. Ils disent combien ces petits pas ont été source de bonheur pour leur famille.

4.2. Des parents appellent d’autres parents.

Les parents qui se sont mis en route et ont pris goût au chemin, parlent aussi des autres parents qu’ils connaissent et qui seraient heureux de participer. D’où le grand appel qui a résonné dans ces Assemblées Régionales : « il nous faut aller vers les parents qui sont loin ». Cette visite des parents par des parents, là où elle se pratique, se révèle très fructueuse. Ceux qui sont visités sont touchés, et la proximité avec d’autres parents les réconforte. D’autre part, les parents qui visitent se sentent appelés à un changement de regard par rapport aux familles en difficulté, par exemple les familles monoparentales ou recomposées. Ils y découvrent de vraies valeurs, surtout dans le courage et l’énergie déployée par ces parents pour réussir l’éducation de leurs enfants, malgré leurs difficultés. Ces visites sont aussi quelque fois l’occasion de rencontrer de grandes détresses humaines. La rencontre avec la souffrance, même si elle est éprouvante, peut aussi déclencher chez ceux qui se laissent toucher, une disponibilité nouvelle pour accompagner gratuitement leurs frères et sœurs en détresse.

4.3. Des parents se ressourcent en lisant l’Evangile.

Les parents qui se sont ainsi mis en route expriment un grand désir de continuer le chemin.  Mais comment ?  Parmi tous les moyens possibles, il en est un, fondamental, qui est à la portée de tous les parents. Il s’agit de la lecture priante de l’Evangile, qu’on appelle la « lectio divina ». Dans plusieurs paroisses, beaucoup de parents la font déjà dans de petits groupes de voisinage, en suivant la méthode des « 7 étapes » proposée dans le livret « Parole de Chaque Jour ». Ce contact fidèle avec la Parole de Dieu transforme les personnes, consolide les familles, crée une solidarité dans le quartier. Il  faut croire que la Parole de Dieu parle aux gens. Lorsqu’on prend la peine de l’écouter, elle devient un guide et un soutien précieux dans le travail d’éducation de nos enfants. Moyennant un petit soutien de la part du prêtre ou d’animateurs formés, les parents sont tout à fait capables de se mettre ensemble pour écouter la Parole de Dieu. Ce pourrait être une bonne résolution de Carême à prendre, et à tenir même au-delà du Carême.

4.4. Des personnes vivent déjà une solidarité avec les parents : vous pouvez les rejoindre.

Plusieurs autres initiatives témoignent que beaucoup de personnes sont déjà engagées sur le chemin de la solidarité avec les parents. Je vous en donne quelques exemples pour vous inviter vous aussi à faire un pas dans cette direction pendant le Carême.

a)      Les Ecoles Complémentaires et leurs fidèles éclaireurs ont déjà soutenu beaucoup d’élèves et de parents dans des endroits défavorisés. Cette initiative, qui répond à un vrai besoin, a fait école ailleurs.

b)     Dans certains endroits, des enseignants à la retraite ou des personnes qui ne travaillent pas se mettent à la disposition des maîtres d’école, soit pour aider les élèves plus faibles à acquérir les compétences de base (lire, écrire, compter), soit pour aider dans les cours de rattrapage après les heures de classe.

c)      Des enseignants et des maîtres d’école ont pris l’initiative d’aller visiter des parents chez eux. Ces rencontres sont très appréciées car elles permettent de développer une meilleure compréhension et une meilleure collaboration entre parents et enseignants.

d)     D’autres personnes mettent leurs talents à la disposition des élèves pour organiser, après les heures de classe, le sport ou des activités comme le théâtre, la musique, le dessin et la peinture.

e)      Certains se rendent aussi disponibles pour organiser, à l’école, ou dans des centres communautaires, des débats bien structurés sur des sujets d’actualité, ou ayant trait à la vie des jeunes.

f)       Des parents, formés au préalable, (à travers les cours d’EVA par exemple) donnent de leur temps pour assurer des cours d’éducation sexuelle dans les écoles ou dans des centres communautaires.

g)     D’autres, qui en ont l’expérience, se portent volontaires pour encadrer des jeunes dans un service social. Ils les accompagnent et les aident à évaluer leur expérience.

h)     Il y a aussi des entreprises qui sont disposées à recevoir des élèves pour leur faire découvrir l’un ou l’autre aspect de leur activité économique, ainsi que les métiers qui vont avec.

i)       Dans d’autres endroits, des grands-parents accueillent leurs petits enfants avec leurs amis dans leur maison pour leur permettre de faire leur « homework » en attendant l’arrivée des parents du travail.

j)        Last but not least, des parents se portent volontaires pour assurer la catéchèse des enfants, au primaire comme au secondaire, à l’école, en paroisse, ou même quelque fois dans les maisons. Ce service est d’une importance fondamentale pour le développement intégral de l’enfant.

Conclusion.

Travailler pour l’éducation humaine des enfants en famille, à l’école, en mouvement ou en paroisse nous invite tous à nous interroger sur le style d’autorité qu’il convient d’exercer pour promouvoir vraiment le développement humain de l’enfant. Devant les grandes exigences du rôle d’éducateurs, nous voudrions parfois arriver à maîtriser les « savoir faire » de la pédagogie moderne et pouvoir les appliquer dans chaque cas afin de ne pas être pris en faute.

En fait cela est une illusion. Il n’y a pas de recette. Que nous soyons parents, enseignants, animateurs de mouvement, prêtre, religieux ou religieuse, rappelons nous que ce n’est pas le pouvoir que donne la maîtrise d’un savoir qui fonde l’autorité morale de l’éducateur. Ce qui « fait autorité » auprès du jeune c’est plus simplement le respect que l’adulte lui témoigne comme personne humaine douée d’une conscience morale ; c’est aussi la confiance qu’il lui fait en croyant qu’il est capable d’agir de manière responsable. Ce respect et cette confiance permettent au jeune de ne pas subir sa vie, mais de devenir acteur de sa propre histoire. Ainsi, parents et éducateurs seront auprès des jeunes, des éveilleurs de conscience et des éducateurs de leur liberté.

C’est de cette façon que Dieu lui-même a éduqué son peuple tout au long de l’histoire du salut. Dieu a toujours voulu que l’homme entre librement dans l’alliance qu’Il lui propose. Il ne l’a jamais forcé. En l’invitant, Il lui promet un bonheur sans pareil s’il accepte l’alliance avec confiance. En même temps, Il n’hésite pas à le mettre en garde contre les conséquences malheureuses qu’entraîneraient les déviations qui le tentent. Cette « autorité », à la fois ferme et respectueuse que Dieu exerce à notre égard, a sa source dans l’amour gratuit et inconditionnel qu’Il nous porte. C’est finalement cet amour qui nous sauve. De même, l’amour gratuit et désintéressé qu’un parent ou un éducateur porte aux jeunes est pour eux le signe vivant de l’amour que Dieu lui offre et qui peut le sauver.


[1] Laborem Exercens, No. 6

[2] Paul VI, Populorum Progressio, No. 15

[3] Caritas in Veritate, No.11

[4] Benoît XVI, Caritas in Veritate, No.18

 

Event Date:

2017-04-26 12:02:29

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