Le jour de mon ordination épiscopale, j’avais parlé du rôle de l’évêque comme celui d’un chef d’orchestre, pas d’un homme d’orchestre. Parce que Jésus, lui-même, compare l’Evangile à une musique qu’il joue sur la place du marché pour inviter les gens à danser. Cette musique de l’Evangile est tellement belle, tellement entraînante qu’il faut plusieurs musiciens, des prêtres, des laïcs, des religieux/ses qui jouent ensemble pour qu’elle puisse résonner dans le cœur des personnes et leur donner envie de danser, et peut-être aussi de rentrer dans l’orchestre, de jouer un instrument eux aussi.Aujourd’hui, en cette fête des vocations, je remercie le Seigneur pour les musiciens qu’il nous a donné pour faire résonner l’Evangile dans la société mauricienne. La musique n’est pas de moi, elle nous est donnée, les musiciens ne sont pas choisis par moi, ils nous sont donnés ; en tant qu’évêque, j’accueille avec gratitude la musique que le Seigneur nous demande de jouer, j’accueille avec joie les musiciens qu’il me donne pour jouer cette musique à Maurice.
Merci pour ces musiciens qui sont Gérard, Eddy, Sylvio, chacun avec sa personnalité unique, chacun avec sa vie donnée au Christ le jour de son ordination, chacun avec ses talents pour faire résonner l’Evangile de manière originale et adaptée aux quatre coins de la société mauricienne.
Même si aujourd’hui nous célébrons le jubilé de quatre d’entre nous, qui ont cette année un chiffre rond pour l’anniversaire de leur ordination, il n’est pas interdit de rendre grâce aussi tous les prêtres qui ont leurs anniversaires d’ordination sans chiffre rond cette année, depuis le 65e anniversaire d’ordination des Pères Adrien Wiehe, Michel Boullé et Jean-Claude Desjardins, jusqu’au 2e anniversaire de notre benjamin, le Père Yudesch.
Comme évêque chef d’orchestre, qu’est-ce que je serais sans tous ces musiciens. S’ils n’étaient pas là pour jouer, le pauvre chef d’orchestre ne ferait que battre la crème et la musique de l’Evangile ne pourrait pas résonner.
De même, chaque prêtre, à sa manière, est aussi un chef d’orchestre sur sa paroisse. Il ne peut pas jouer la musique tout seul, il a besoin des musiciens qui sont aussi les religieuses, des laïcs pour que l’évangile puisse résonner dans le cœur des fidèles et les inviter à danser sur cette musique. C’est un évangile vécu ensemble, dansé ensemble avec des frères et des sœurs, qui peut interpeller, attirer, entraîner d’autres à danser eux aussi, à le vivre eux aussi.
- Jésus voit la foule et il en eut pitié
Regardez Jésus lui-même quand il voit la foule qui a faim et en a pitié ; il aurait très bien pu nourrir la foule tout seul, mais il a voulu associer les 12 apôtres au miracle de la multiplication des pains. Les apôtres eux sont pragmatiques, ils pensent comme des managers « où trouver de l’argent pour nourrir 5000 personnes ? ». Jésus, lui, pense comme une mère de famille, un père de famille, il cherche voir ce que chacun peut faire pour nourrir la famille « combien de pains avez-vous ? ». Et puis, quand on lui dit qu’il n’y a que 5 pains et 2 poissons, il ne se casse pas la tête ; il dit « faites les asseoir sur l’herbe verte ». Jésus en fait invite les apôtres à accueillir les gens, à leur parler, à faire connaissance. Et puis seulement il rend grâce pour les quelques pains qu’ils ont pu trouver et il les invite à partager le peu qu’ils ont avec tous. Les apôtres ont dû partager les pains avec les premières personnes en leur demandant de faire passer le panier et partager eux aussi. Et finalement tout le monde a eu à manger. Ce qui s’est passé, c’est la multiplication des pains, bien sûr, mais c’est aussi la multiplication du partage. Ce n’était pas, comme on dirait aujourd’hui de la solidarité verticale où un seul donne et tous les autres reçoivent, mais une solidarité horizontale où chacun partage un peu de ce qu’il a.
- Des brebis sans berger
La foule qu’il avait devant lui, il la compare à des brebis qui n’ont pas de berger : i.e., il voit en eux non seulement des gens qui ont faim, mais des gens qui cherchent un sens à leur vie et il n’y a personne qui leur donne une direction et qui pourrait les conduire là où ils pourraient trouver un peu de paix, un peu de joie. « Ils sont comme des brebis sans berger ».
Le Pape François à Marie Reine de la Paix nous invitait à développer ce même regard ; il nous a demandé de ne pas nous tracasser parce qu’il nous manque du personnel pour vivre la mission, mais de nous préoccuper plutôt du fait que « tant de nos frères vivent sans la force, la lumière et la consolation de l’amitié de Jésus Christ, sans une communauté de foi qui les accueille, sans un horizon de sens et de vie » (cf. EG 44).
Aujourd’hui demandons à Jésus de nous apprendre à regarder nos compatriotes et à voir comme lui si beaucoup d’entre eux ne sont pas encore des brebis sans berger.
Par exemple, les jeunes
- qui n’ont pas beaucoup de personnes pour les écouter, leur proposer une direction pour leur vie
- qui sont rejetés quelquefois de leur famille et qui dorment dans la rue
- qui ne trouvent pas de travail
- qui deviennent victimes de la drogue ou se laissent entraîner dans des trafics louches.
- Les familles qui n’arrivent pas à s’entendre et qui se divisent
- Les parents qui sont harassés par leurs enfants toxicomanes qui volent tout dans la maison quand ils sont en manque
- Les personnes qui aujourd’hui sont en train de perdre leur travail ou la moitié de leur salaire et qui ne savent plus comment joindre les deux bouts
- « Donnez-leur vous-même à manger »
Qu’est-ce que Jésus veut nous dire ?
Les apôtres croient que Jésus leur demande de trouver du pain pour la foule, la quantité qu’il faut. Mais en fait, Jésus veut leur dire autre chose : donnez-leur un peu d’affection, un peu de considération, prenez du temps pour les écouter. Montrez-leur qu’ils sont aimés, qu’ils ont de la valeur à vos yeux, qu’ils ont une dignité, qu’ils sont des frères/sœurs, et qu’ils veulent accueillir simplement, avec des petits moyens mais avec beaucoup d’amour.
Et les gens sont sortis de là « rassasiés » nous dit l’Evangile : rassasiés non seulement parce qu’ils ont eu du pain à manger mais parce que pour une fois, ils ont été pris en considération, ils n’ont pas été traités comme un problème qui est gênant mais comme des personnes que l’on accueille avec respect comme des frères, des sœurs.
- « Pais mes brebis ! »/ nourris mes brebis
Après sa résurrection, la dernière fois que Jésus rencontre Pierre au bord du lac, il demande à Pierre par 3 fois, « m’aimes-tu » et par trois fois il ajoute « pais mes brebis », i.e., nourris les brebis, donne-leur toi-même à manger.
Qu’est-ce que Jésus veut nous dire par son invitation répétée à nourrir les gens ? Comment pouvons-nous nourrir les brebis ? Qu’est-ce qui est vraiment nourrissant pour nos frères et sœurs qui ont faim ?
Un peu plus loin dans la rencontre avec Pierre, Jésus explique. Il lui à Pierre :
« Quand tu étais jeune, tu mettais toi-même ta ceinture et tu allais où tu voudrais ».
« Quand tu seras devenu vieux, un autre te mettra la ceinture et te conduira là où tu ne voulais pas aller ». Et l’Évangéliste ajoute : « Il signifiait par là le genre de mort par lequel Pierre devait glorifier le Seigneur ».
Au début, Pierre était très dévoué envers Jésus. Il le suivait partout ; il était heureux de voir comment Jésus attirait les foules, faisait des miracles, donnait ses enseignements, pouvait tenir tête aux autorités et prendre la défense des petits. Il pensait que Jésus était le grand leader que le peuple attendait et qu’il allait renverser le pouvoir en place et que tout le monde vivrait mieux. Mais voilà que Jésus a été arrêté, condamné à mort, crucifié. Pierre est découragé et il ne sait plus comment suivre Jésus – car Jésus semble avoir perdu la partie devant les autorités. Pierre est perdu.
Alors, pas plutôt ressuscité, Jésus revient vers lui avec douceur. Il lui explique comment ce ne sont pas de grandes actions spectaculaires qui transforment les hommes et les femmes, et les remettent debout ; ce qui réconforte les gens, ce qui leur donne du courage, ce qui les nourrit vraiment, c’est de découvrir qu’ils sont aimés, de rencontrer quelqu’un qui se met à leur service jusqu’à donner sa vie. Jésus dit à Pierre « laisse-toi conduire là où tu ne voudrais peut-être pas aller spontanément, apprends à aimer toi aussi comme je t’ai aimé jusqu’à donner ma vie pour toi. Laisse-toi conduire dans cette manière d’aimer. Ne cherche pas des actions d’éclat qu’on accomplit de loin ; rends toi proche des gens, aime les simplement ».
- De fait, la Bonne Nouvelle de l’Evangile c’est que nous sommes aimés à la folie par un Dieu qui s’est fait proche de nous, de tous ceux qui souffrent, qui nous fait miséricorde, qui déploie la puissance de son amour dans notre faiblesse. Le Pape François nous rappelle qu’« avec l’Evangile nous sommes dépositaires d’un bien qui humanise, qui aide à mener une vie nouvelle. Il n’y a rien de mieux à transmettre aux autres que la Bonne Nouvelle, celle du service qui va jusqu’à donner sa vie, un service, une manière de servir avec amour qui remet debout celui que l’on sert mais aussi celui qui se met au service »
La Bonne Nouvelle de l’Evangile résonne concrètement dans cette manière humble d’aimer, de servir jusqu’à donner sa vie, c’est cela qui remet debout les personnes accablées comme ce jeune délinquant à Paris, c’est cela qui réveille en lui le désir de servir à son tour, de danser sur la musique de l’Évangile.
« Parfois nous perdons l’enthousiasme pour la mission, nous dit le Pape François, en oubliant que l’Evangile répond aux nécessités les plus profondes des personnes, parce que nous avons tous été créés pour ce que l’Evangile nous propose, l’amitié avec Jésus et l’amour fraternel ».
« Nous disposons d’un trésor de vie et d’amour qui ne peut tromper, d’un message qui ne peut ni manipuler ni décevoir, d’une vérité qui ne se démode pas parce qu’elle répond aux attentes les plus profondes des cœurs ».
Conclusion
En cette fête des vocations prions pour nos contemporains qui sont encore comme des brebis qui n’ont pas de berger. Prions pour que le Seigneur appelle des jeunes qui seront disposés à annoncer l’Evangile, non pas un évangile théorique mais un évangile vécu humblement comme Jésus, l’Evangile de celui qui ne cherche pas à être servi mais à servir et donner sa vie. Tant et tant de personnes cherchent cette musique de l’Evangile, non seulement pour l’écouter, mais aussi pour la jouer et pour danser dessus. J’espère et je prie pour que des jeunes se portent volontaires pour faire résonner cette musique dans l’île Maurice d’aujourd’hui.
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