Nous avons parlé dans notre dernière rencontre de social distancing que j’appellerai plutôt physical distancing. Nous avions rappelé que tous les sentiments humains sont invisibles et s’expriment par la parole et par le geste. C’est une combinaison de la parole et du geste qui peut mieux exprimer ce que nous ressentons, d’où le danger de vouloir éviter le toucher, le contact corporel.
Nous avons déjà attiré l’attention sur le danger de la pure communication virtuelle. Nous rêvons d’une apesanteur qui nous délivrerait du poids du monde et de l’impact des relations physiques sur nos vies. Restant dans le domaine virtuel chacun pourrait, libre comme l’air, aller d’un château en Espagne à l’autre sans poser pieds sur terre. Communiquer sans rencontrer, sans toucher ou être touché. Nous voici en grand danger. Saturés de discours publicitaires, notre imaginaire est sans cesse conduit à rêver une existence autre que celle qui nous enracine dans le plus élémentaire de notre condition terrestre.
Le christianisme nourrit précisément un sens tactile de l’existence. La foi chrétienne exige le toucher. On peut reprocher au christianisme d’avoir plus écarté le toucher que de l’avoir promu. Dans la scandaleuse histoire des prêtres pédophiles le toucher a été perverti au profit de prédateurs couverts par une institution silencieuse et coupable.
Malgré ces perversions il nous faut rappeler que le toucher tient une position cruciale dans la foi chrétienne. Jésus touche et se laisse toucher. Il touche pour guérir non seulement dans un geste ritualisé. Il impose les mains. Il touche les yeux, met les doigts dans les oreilles et touche la langue (Mc 7). Jésus se laisse toucher dans la foule, mais aussi dans cette scène dite de l’onction de Béthanie. La femme pècheresse apporte un flacon de parfum et se plaçant aux pieds de Jésus elle les essuyait avec ses cheveux, les couvrait de baisers et répandait sur eux du parfum (Lc 7, 37-38).
A travers cette scène nous voyons que Jésus décale ce qui dans l’ordre religieux se définit par le toucher en terme d’interdit. Ce qui serait banni de l’humanité se trouve non seulement réintégré mais rendu digne par l’amour. Jésus renverse la catégorie socioreligieuse de l’intouchable.
Nous pourrions aussi parler des apparitions de Jésus après la résurrection à Marie Madeleine et à Thomas. Jésus invite Thomas à enfoncer ses doigts dans sa plaie. Le toucher reste de l’ordre du possible et du permis.
Bien que le toucher ait été mis de côté bien souvent par les écrivains chrétiens, le toucher dans le christianisme n’est frappé d’aucun interdit. Le corps est bien le lieu de naissance de la parole croyante. Le corps se laisse affecter, parle à Dieu, mais aussi parle de lui. Rien de notre existence n’a lieu hors de notre condition charnelle et sensible. Le monde qui nous est donné à sentir et à gouter palpite de rencontres sensibles et parlantes. Qui refuse cette dimension charnelle ne pourra se rendre libre.
Laisser un commentaire