Nous avons au sein du diocèse de Port-Louis et même à La Réunion une Mission catholique chinoise qui organise chaque année la célébration des messes spéciales aux couleurs et rites chinois dans le cadre de la fête du Printemps. Ce processus d’inculturation à l’oeuvre au sein de l’Église fait-il perdre quelque chose de son intégrité au message chrétien ou s’est-il, au contraire, enrichi de nouvelles formes d’expression susceptibles de vivifier l’Eglise ? Le père Pascal Chane Teng, vicaire du diocèse de Saint-Denis, La Réunion, répond à nos questions.
- Pourquoi est-ce nécessaire de marquer religieusement les évènements culturels de la vie de l’homme
La culture, c’est tout ce qui construit l’être humain dans sa manière de vivre, de penser, etc. Dans la culture, il existe la dimension religieuse. En effet, pour un chrétien et un catholique, Dieu nous a créés à son image et à sa ressemblance, Il a donc imprégné en nous son image. Voilà pourquoi nous sentons que nous serons heureux en vivant une relation, une alliance avec Lui. Pour garantir cette amitié, Dieu nous a rejoints et s’est révélé de manière plus précise par Jésus grâce à la culture juive : c’est l’Ancien Testament, c’est Noël. Jésus est né et s’est épanoui dans sa culture juive.
Une culture humaine est donc capable de révéler Dieu parce que Dieu l’a voulu ainsi dans son processus de révélation. Alors nous aussi nous utilisons notre sensibilité culturelle chinoise pour manifester notre foi.
Par exemple, un équilibre et un dosage sont à inventer de manière régulière entre l’intégration de la culture chinoise et l’organisation de la messe : procession des offrandes chinoises, recours aux bâtonnets d’encens, chants chinois avec chants anglais et français. Autrement dit, dans la messe, il serait inopportun de parler chinois tout le temps car au quotidien, nous ne parlons pas chinois. Et en même temps, nous mettons en pratique l’inculturation, qui signifie l’intégration de la culture (chinoise) dans notre manière de vivre la foi.
A travers ce vécu, le but ne sera pas de faire un spectacle aussi beau soit-il, mais le défi profond sera de manifester et d’aider à vivre le salut de Dieu aujourd’hui en se posant la question : de quoi ai-je besoin d’être sauvé ?!
2 – Quelle est la place du culte des ancêtres dans la culture chinoise ? Pourquoi est-il intégré a la messe du Nouvel an chinois ?
La culture révèle mon identité profonde. Dans la culture chinoise, notamment celle du sud de la Chine d’où sont originaires nos ancêtres, le culte multi-séculaire des ancêtres s’est maintenu de façon remarquable et persistante. Ainsi, depuis les années 1980, de multiples autels pour les ancêtres ont été reconstruits avec l’aide des Chinois d’outre-mer. En se promenant par exemple dans la région de Meizhou en pays hakka, il est fréquent de pouvoir admirer les magnifiques boiseries sculptées et dorées qui accueillent les tablettes des ancêtres . De plus, si elles n’ont pas été détruites, les tombes ancestrales communes à un village ou des villages ont été également rénovées. Autour d’elles sont organisées aujourd’hui les cérémonies annuelles comme celle de Qingming, ou fête des morts du mois d’avril.
L’hommage aux ancêtres a donc été logiquement intégré à la messe, non sans mal. Dans l’histoire de la mission catholique en Chine, suite à la querelle des rites chinois qui a duré 300 ans environ, le culte des ancêtres a eu du mal à être officiellement accepté, il a été même condamné par l’Eglise. Il a fallu attendre le courageux pape Pie XII et sa décision du 8 décembre 1939, Plane compertum est, pour une reconnaissance officielle du culte des ancêtres, avec des correctifs à apporter dans sa mise en oeuvre liturgique catholique : pas d’offrandes de viande, pas de dépense onéreuse, etc, et se tourner vers Dieu qui est la source de toute vie. D’un point de vue théologique, le culte des ancêtres est justifié par la communion des saints fêtés le 1er novembre, les ancêtres étant les saints anonymes de nos familles.
A Maurice, l’hommage aux ancêtres se vit après la messe. A la Réunion, il se déroule pendant la prière eucharistique au moment de la mémoire des défunts. Devant une tablette en bois de letchis préparée à la Réunion et sculptée en Chine, un groupe de jeunes et d’aînés s’avance avec les bâtonnets d’encens pour s’incliner devant la tablette placée aux pieds de la Croix.
3 – Comment le Réunionnais vit-il sa pluralité : Français/Réunionnais/chrétien/imprégné d’une culture chinoise.. ?
La réponse n’est pas facile car il serait risqué de généraliser une analyse qui s’avère très très nuancée : il y a autant de réponses que de personnes et de situations ! Ici, tout le monde est et sent naturellement français. En même temps, la société française permet aujourd’hui de célébrer plus ouvertement et plus facilement ses origines.
Tout en étant fier d’être français, certaines personnes vivent une sensibilité chinoise plus ou moins marquée, cela dépend encore une fois du vécu de la personne. Des familles auront à coeur de préparer la fête du Nouvel An chinois en famille, d’organiser un réveillon, d’aller à la pagode ou de participer à la messe avec sa tonalité franco-chinoise, etc. D’autres, au contraire, travailleront ou ne feront rien de spécial.
Car à la Réunion, la fête du printemps n’est pas un jour férié comme à Maurice.
Avec l’essor culturel et économique de la Chine, il est aujourd’hui plus aisé d’être sensibilisé à la culture chinoise et de voyager sur la terre des ses ancêtres, où la recherche généalogique est également devenue courante. D’autant plus que certains villages du sud de la Chine où reconstitués les livres généalogiques depuis les années 80 et les ont transmis à leurs familles d’outre-mer.
Mentionnons aussi le fait qu’être métissé n’est pas facile à vivre d’un point de vue identitaire, même dans la société très métissée de la Réunion. Pour diverses, raisons, la personne a pu être rejetée ou n’a pas été aidée à bien vivre ses racines chinoises, traversée par le sentiment de la honte. Dans ce cas, c’est le modèle culturel réunionnais ou français qui domine, volontairement ou involontairement. La réconciliation avec soi-même reste un défi du monde insulaire qui se présente comme « pluriel ».
La justification du culte aux ancetres dans la messe du nouvel an chinous par la fete de tous les saints du 1er nov est nouveau pour moi. Je croyais la trouver dans le texte extrait du livre de Siracide. Un autre point est la co existence des rites effectués dans les pagodes par les chinois catholiques, y compris les moins jeunes. N’ a t il pas un « conflit »?
« Bonjour !
Vous avez aussi raison : le livre du Siracide peut également justifier l’hommage des Ancêtres.
En ce qui concerne la coexistence des rites effectués par les Chinois catholiques, je peux vous renvoyer au document de la Mission Catholique chinoise de Maurice qui aborde cette question délicate, analyse publiée vers les années 2 000 et inspirée du document de la conférence des évêques de Taiwan. »
P. Pascal CT