L’implémentation d’un musée de l’esclavage refait surface en ce 1er février qui marque le 184e anniversaire de la commémoration de l’abolition de l’esclavage. Pourquoi un musée ? En quoi il peut concerner toutes les composantes de la population ? Daniella Bastien, anthropologue, nous donne un éclairage.
- L’implémentation d’un musée de l’esclavage à Maurice est grandement attendue. En quoi un musée qui recrée le passé peut être utile pour une nation qui veut regarder l’avenir ?
D’abord, l’ouverture d’un musée fait partie de la politique culturelle d’un territoire afin de conserver un patrimoine et le diffuser au plus grand nombre. Dans le cas du musée de l’esclavage, c’est un impair dans notre histoire culturelle de ne pas en avoir un. Et surtout, la lenteur administrative et politique pour qu’il fasse partie de notre paysage malgré la recommandation de la Commission Justice et Vérité.
Quand on pense à un musée c’est souvent le passé qui s’étend devant nous. Mais, essayons de voir en cet espace, un potentiel d’innovation, un espace qui parlerait à nous, êtres du XXIe siècle. Justement, ce musée peut être un lieu qui ‘regarde vers l’avenir’. Par exemple à travers des ateliers avec des élèves et étudiants afin d’aiguiser leur jugement critique, leur réflexivité, leur ouverture aux autres. L’animation muséale apporte du dynamisme à un musée : des nouveaux parcours de visite peuvent être proposés, des artistes, musiciens, conteurs peuvent être invités à ‘lire’ les collections présentées. En somme, un musée devrait être un espace de vie. Un lieu de rencontres, de questionnements, d’apaisement et de renouvellement de la pensée. Dans ce sens notre futur musée de l’esclavage nous offre cette possibilité de transmettre un pan de notre histoire et aussi de s’en approprier avec les outils que nous offre notre époque.
- La perception veut que l’esclavage concerne seulement les Créoles. Le 1er février, ce sont les associations créoles qui se mobilisent et qui donnent de la voix. Est-ce que ce musée peut fédérer toutes les composantes de la population afin que tous se sentent concernés ?
Ce musée de l’esclavage exposera la traite négrière, d’où sont venus les esclaves, en quel nombre, où ont-ils été affectés. Ce sera une expérience inédite pour chaque visiteur. Chaque objet, chaque image aura une signification particulière pour la personne en face. En ce sens, le musée en tant que lieu est ouvert au monde mais chaque individu y trouvera une réponse particulière, allant du questionnement identitaire à la réconciliation avec un passé, ou simplement une pure contemplation d’un moment marquant dans notre histoire. Bien sûr que tous les Mauriciens devraient se sentir concernés par ce musée car l’esclavage, tout comme l’engagisme et la société de plantation sont des moments fondateurs de notre histoire. Par contre, on ne devrait pas s’attendre à ce que tous les Mauriciens aient le même rapport au lieu et en tant qu’anthropologue, je reste attentive aux différents discours qui tendent à un morcellement de la mémoire.
- Selon vous, est-ce que nous arriverons à bâtir cette nation arc-en-ciel dont nous parlons si souvent ?
Nos ancêtres sont tous venus d’ailleurs. Nous avons bâti un pays, avec une histoire souvent difficile, mais aujourd’hui plus que jamais, dans ce monde globalisé, il est important pour nous d’avoir des lieux de mémoire dans notre espace insulaire. Le musée de l’esclavage a le potentiel d’établir cette dialectique entre histoire et mémoire. Je parlais plus haut du morcellement de la mémoire. Quand on parle de nation « arc-en-ciel », n’est-ce pas justement une expression qui irait dans ce sens ? L’arc-en-ciel est beau, synonyme d’espoir mais les couleurs ne se mélangent pas. Elles restent cloisonnées et dans un ordre précis. Le contenu de ce musée de l’esclavage pourrait certainement célébrer notre vivre-ensemble car la résilience des esclaves ainsi que la résistance des marrons, sont inscrites dans notre imaginaire commun.
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