Ce 1er mai, on célèbre la Journée mondiale du Travail. Longtemps monopolisée sur le plan local par des politiciens juchés sur leurs tribunes et clamant à tue-tête promesses et critiques, la Fête du Travail à Maurice a gagné en sobriété. Cette année, pour marquer cette importante journée, LVC a décidé de rencontrer quelques travailleurs manuels. Ceux qui n’ont souvent pas l’occasion de s’exprimer. Ceux qui ne gagnent parfois pas de gros salaires, mais qui travaillent… Heureux au final de pouvoir au moins faire bouillir la marmite, aider leurs enfants à avancer dans la vie… Heureux de vivre, tout simplement. Au fil des pages rencontrez Eddy Palletan le porteur au marché central, Marie-Josée, l’aide-cuisinière, Jimmy Gentil le cordonnier, Cindy Henriette la femme laboureur et Jacques Sooden, le ferblantier.
Eddy Palletan, porteur au marché de Port-Louis : « Ou pa pe kokin ou pe travay »
Eddy Palletan est de ceux qui travaillent d’arrache-pied depuis tôt le matin et cela sept jours sur sept pour que sa famille puisse vivre. Même s’il avoue que le travail est dur, c’est avec sa détermination qu’il s’y adonne depuis près de treize ans. Rencontre. Sa fer 25 an ki mo fer sa metie porter-la. Mo ti
koumanse kan mo tifi ti ena zis 5 an. Avan sa mo ti travay inpe partou partou. Pli souvan mo ti pe travay Grenie, mo ti pe sarie diri, apre grenie inn ferme.Samem mo metie. Mo sarie legim pou marsan bazar. O pi zale mo kapav travay 1 an ankor, si Bondie gard mo lasante bien. Avan sa mo ti pe leve enn er dimatin pou mo al dan lavant kot lasapel St-Antoine me mo laz inn for, aster mo nepli kapav lev sa ler-la.Kan mo travay mo bizin rape. Mo bizin travay vit vit. Mo lazourne li koumans 6 er 30 e parfoi mo fini travay ver enn er edmi. Mo sarie tou bann legim ki bann marsan demann moi sarie. Travay-la pa difisil, zis kan ou pares ki ou trouv travay difisil.
Premie foi ki mo ti vinn la mo ti trouv li difisil, me tou kitsoz bizin aprann. Parfoi kan pena travay mo kapav gagn 300 roupi me kan mo resi travay bien mo kapav gagn ziska 500 roupi. Ena foi kan mo sorti travay mo aste enn ti zafer pou lakaz, lerla mo res enn ti kas dan mo lamin. Mo ena lasans mo bann zanfan inn gran aster. Mo gran tifi Belzik. Mo de lezot zanfan osi travay me zot ankor pe ress ek moi ek mo madam. Nou tou nou kontribie dan lakaz lafin dimoi kan zot gagn zot lapey.
Travay porter dan bazar, se enn metie ki bann zenn pa le fer. Zot onte. Me pourtan ou pa pe kokin ou pe travay, ou pa pe demann personn narie. »
Marie-Josée Médor : Pour l’avenir de mes enfants
Habitante de Ste-Croix, cette Rodriguaise établie à Maurice depuis 1993 travaille comme aide-cuisinière dans un petit restaurant dans la localité. Un travail qui lui permet de subvenir aux besoins de sa famille. Marie-Josée rêve cependant d’un autre destin pour ses enfants. travail consiste à aider le cuisinier dans toutes les tâches et les préparations culinaires. Aujourd’hui, cela fait deux ans que je fais ce métier. Je dois dire que je travaille beaucoup plus maintenant, mais c’est aussi moins fatigant. Avant d’être aide-cuisinière à Ste-Croix, je travaillais comme femme de ménage à Plaine-Verte.
Ma journée commence à 8 heures et se termine à 16 heures. Vu mes heures de travail, j’ai très peu de temps pour avoir une vie sociale, car il m’arrive de bosser aussi le samedi et le dimanche. Tout dépend de la demande. J’ai très peu de temps à passer avec ma famille aussi. J’ai deux fils dont un qui travaille dans une usine tout en suivant des cours. L’autre est à la recherche d’un emploi. J’ai aussi une fille de 10 ans. Je crois que c’est elle qui vit le plus difficilement mon absence. Pour que cette situation ne la stresse pas et ne nuise pas à son développement, mon époux et moi avons décidé de l’inscrire chez les scouts. Mon époux travaille aussi, il est dans la maçonnerie.
Mais ce n’est pas tout le temps qu’il a du boulot. Je gagne Rs 7 000 par mois et avec le loyer à payer et les autres dépenses, les fins de mois sont difficiles.J’attends l’âge de la retraite pour prendre du temps et me reposer. Et pourquoi pas participer aux activités proposées par les groupes du troisième âge. Je sais bien qu’il y a beaucoup de gens de cet âge qui travaillent encore, mais moi je souhaite simplement pouvoir profiter de ma retraite. J’aimerais aussi que mes enfants aient un avenir meilleur. Voilà pourquoi mo pe fer tousala zordi. »
Jimmy Gentil, cordonnier : « Mo travay gramatin pou manz tanto »
Assis sur le trottoir, c’est ainsi que Jimmy Gentil gagne sa vie. Cordonnier, il passe toutes ses journées à réparer les chaussures. Son lot consiste
à coudre, enduire de colle les chaussures qui lui sont confiées… et ainsi essayer d’avoir le maximum d’argent pour faire vivre sa famille. Cette famille qu’il aime tant et pour laquelle il fait ce métier. Je connais ce métier depuis longtemps mais ce n’est qu’après un séjour de six ans en prison que je l’ai mis en pratique. Ce travail me permet aujourd’hui de subvenir aux besoins de ma famille.
Depuis 2009, je suis cordonnier à Port-Louis. Ce n’est pas un job difficile, à moins de manquer de volonté, et c’est un métier qu’il ne faut pas laisser disparaître. J’ai essayé de former de nombreux jeunes, mais souvent ils abandonnent pour des raisons futiles. Ils ont peur qu’une jeune fille les voit en
train de faire ce boulot. Pourtant, ils ne sont pas en train de voler. En ce qui me concerne, je commence à partir de 7h30 et la plupart du temps, je termine vers 17 heures. Je travaille quotidiennement, sans heure de déjeuner et mo travay gramatin pou manz tanto.
Il y a les bons jours, on rentre alors à la maison avec Rs 300 en poche. Et puis, il y a des jours où je ne récolte que Rs 50. Ce métier me permet de
survivre mais ce n’est pas facile car je suis le seul à travailler à la maison. Par exemple, j’ai essayé de trouver une assistance pour les frais d’examens de HSC de ma fille… sans succès. Heureusement que j’ai pu économiser et mon petit frère m’a aussi aidé.
Aujourd’hui, mon ambition est que ma fille Veronica trouve un bon emploi. Elle a fait beaucoup de sacrifices dans ses études, monn donn li koudmin, linn donn moi boukou kouraz. »
Cindy Henriette : « Fam labourer », mère-courage
Cindy Henriette est laboureuse à Terre-Rouge, un métier qu’elle exerce depuis quatre ans déjà. Malgré des journées assidues, cette mère-courage s’attelle à la tâche tous les jours afin de pouvoir joindre les deux bouts. Ceci en espérant qu’arriveront des jours meilleurs. Cela fait déjà quatre ans que je travaille comme laboureuse. Avant d’être dans les champs, j’étais à l’usine et sur les chantiers de construction. Ce sont mes enfants (10 et 17 ans) qui m’ont motivée à changer de métier. Grâce à mon travail, je peux passer plus de temps avec eux. Le fait que je commence à partir de sept heures et que je termine à midi et demi me laisse aussi plus de temps pour m’occuper de ma maison. Je travaille tous les jours, même les dimanches. Mais les dimanches, je termine tôt. Je viens juste de récolter les légumes (ndlr : au moment de l’entretien). À neuf heures on rentre à la maison.
Je trouve que toutes les femmes peuvent faire ce métier. Ce n’est pas fatigant et pas trop difficile. Aujourd’hui, grâce à ce travail, je gagne Rs 325 par jour. J’ai deux garçons à la maison et cela me permet de leur apporter un petit quelque chose. Mon époux n’a pas d’emploi fixe, mais parfois, quand il a du boulot, il emmène mon aîné avec lui. Grâce à cela, nous avons un revenu supplémentaire à la maison.
Je dois avouer que je fais cela pour ma famille, même si mon époux n’aime pas trop quand je travaille le dimanche. Me se mo lobligasion sa, mo oblize vinn travay. Ce vrai qu’au début cela n’a pas été facile car j’avais l’habitude de gagner plus, mais j’ai appris le métier et aujourd’hui, je m’en sors mieux. Ce que je souhaite, c’est une amélioration de ma situation actuelle. Je vis au Crownland de Bois-Marchand et je voudrais tout simplement avoir une maison à moi. Je ne sais pas combien de temps je pourrai faire ce métier, je souhaite seulement que Dieu me préserve et pourquoi pas, que je puisse peut-être un jour me mettre à mon compte. »
Jacques Sooden : Ferblantier : un métier d’avenir
Jacques Sooden est connu pour son savoir-faire, mais aussi son savoir- vivre. Cet habitant de Pailles souhaite aujourd’hui que les jeunes s’intéressent à un métier qui a de l’avenir. J’ai commencé à travailler lorsque j’avais 15 ans et à ce moment-là, je gagnais Rs 25 par semaine. C’est grâce à une famille chinoise qui m’a recueilli quand j’étais enfant que j’ai appris ce métier. J’ai été à l’école jusqu’à la STD V uniquement et après, je devais travailler. Je dois admettre qu’au début, ce n’était pas facile, il n’y avait pas de machine sophistiquée. Tout se faisait à la sueur de notre front. Mais j’ai
pu persévérer et je suis devenu un ouvrier. Pour aller travailler, je me lève à quatre heures du matin et j’arrive au travail à six heures et demie. Je rentre chez moi à 17 heures.
On peut croire que le métier a périclité, mais non. Quand vous faites du bon travail, vos clients restent fidèles. Avant il n’y avait que les chinois qui vendaient des boulettes, mais maintenant c’est un métier pratiqué par d’autres communautés. Et moi, je suis celui qui fabrique les récipients pour préparer les boulettes, mais aussi les moules à gâteau, des tirelires et même des malles. Je ne comprends pas pourquoi les jeunes ne s’intéressent pas à ce métier. Je gagne en entre Rs 5 000 et Rs 6 000 par semaine quand il y a du travail. Cela me permet de vivre décemment. Mon fils est à l’étranger depuis 17 ans. Avec mon salaire, j’achète les provisions et je règle les factures. Madam pa kone ki ete enn laboutik. Aujourd’hui, j’ai 75 ans, et j’attends que quelqu’un prenne la relève. Mon grand souhait est aussi d’aller au Canada voir cette famille chinoise qui m’a accueilli et qui vit
là-bas maintenant. »
Rapport du NRB – Certains attendent depuis 33 ans
Bénéficier d’une révision salariale, une aubaine pour les employés. Et si ceux du gouvernement profitent régulièrement du PRB, tel n’est pas le cas des employés du secteur privé – sauf discrétion de la compagnie. Ainsi, certains emplois dont les salaires sont fixés par le National Remuneration Board (NRB), n’ont pas bénéficié de révision salariale depuis belle lurette. Pour certains secteurs, la dernière révision salariale remonte à 33 ans. En voici un aperçu :
Dernière révision Non révisé depuis
Industrie du sel 1983 33
Industrie du sucre (Travailleurs agricole) 1983 33
Entreprises exportatrices 1984 32
Maison de retraites 1984 32
Les employés des écoles secondaires privées 1984 32
Les travailleurs de l’industrie du thé 1984 32
Les travailleurs non-agricoles de l’industrie sucrière 1985 31
Les agents de sécurité 1986 30
Les travailleurs des écoles pré-primaires 2000 16
Les journalistes et ceux travaillant 2001 15
pour les périodiques
Le commerce de couture 2001 15
Les employés des commerces de distribution 2004 12
Les éleveurs de bétail 2008 8
Les avocats et les notaires 2010 6
Les travailleurs domestiques 2010 6
Chômage – 58 % des chômeurs sont des femmes
Selon les chiffres officiels du Bureau des Statistiques concernant le taux de chômage à Maurice, ce sont généralement les jeunes et les femmes qui sont les plus touchés. En 2014 et 2015, le taux de chômage a aussi légèrement augmenté.
Au quatrième trimestre de 2015:
- Des 46 600 chômeurs, 42 % étaient des hommes et 58% des femmes.
Soit 19 700 et 26 900 personnes respectivement.
- Environ 47% des chômeurs (22 100 personnes) étaient âgés de moins de 25 ans.
- 13% des chômeurs (environ 6 000 personnes) ne détenaient pas le Certificat d’études primaires (CPE) ou l’équivalent. Alors que 28% (13 000 personnes) n’avaient pas
le Cambridge School Certificate (SC) ou l’équivalent. - 21% des chômeurs (9 600 personnes) étaient à la recherche d’un emploi depuis
plus d’un an. - 31% (14 600) étaient à la recherche d’un premier emploi.
- 11% des chômeurs étaient des chefs de famille.
- 11% vivaient dans des ménages sans travailleurs salariés.
Le taux de chômage a légèrement augmenté entre 2014 et 2015. 7,9% de la population était au chômage en 2015, contre 7,8% en 2014.
Textes et photos : Christopher Sainte-Marie
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