Dossier La Vie Catholique – D’abord le choc : le double meurtre de Camp-de-Masque-Pavé. Et maintenant des questions auxquelles répond Rita Venkatasamy. Pour l’Ombudsperson for Children, il faut comprendre ce qui s’est passé, ce qui a poussé ce jeune à commettre l’irréparable, questionner l’éducation offerte aux jeunes mauriciens et s’intéresser à l’encadrement de ceux qui sont en conflit avec la loi. Nous avons des failles et il faut y remédier, s’insurge notre interlocutrice.Comment est-ce que vous avez réagi en apprenant cette triste nouvelle, en tant qu’Ombudsperson for Children mais aussi en tant que personne ayant une longue expérience auprès des enfants, notamment au Centre d’Éducation et de Développement pour les
Enfants Mauriciens (CEDEM) ?
Je rentrais d’Agaléga … Je me demandais : mais est-ce vrai ? Tout en me disant que si tel est vraiment le cas, c’est horrible ! Ce qui m’a aussi interpellée, c’est que le présumé agresseur est un mineur ! Un mineur qui agresse deux autres mineurs et une grand-mère, ça donne de quoi réfléchir… Qu’est-ce qui s’est passé ? Bien évidemment, j’ai beaucoup de compassion pour cette famille qui a perdu deux de ses membres. Pour ces parents partis en Australie pour travailler pour leur famille. Je me suis demandé : mais dans quel état doit-être cette maman qui se trouve en Australie au moment où ce drame se produit ? Nous savons tous combien c’est dur quand on apprend le décès ou la maladie d’un proche alors qu’on est à des
kilomètres. Mais alors là… Une personne qui est en pleine santé, qui revient de l’école et qui est agressée dans sa maison… Je n’ai jamais vu ça !
Le choc passé, je me suis mise à réfléchir. Je comprends la colère des parents, des habitants de la localité, etc. Cette colère est justifiée. Mais à tête reposée, quand je pense à ce jeune de 17 ans, je ne peux pas m’empêcher de me demander : mais qu’est-ce qui lui est passé par la tête ?
Récemment, mon bureau a initié une enquête sur les enfants en conflit avec la loi dans le pays. J’ai visité le Rehabilitation Youth Center et le
Correctional Youth Center à maintes reprises. J’ai aussi reçu ces enfants à mon bureau également lors d’un atelier de travail. Et nous leur avons donné l’occasion de s’exprimer.
Ce dont nous nous sommes notamment rendu compte, c’est que beaucoup d’enfants à Maurice vont régler leurs problèmes par la violence. Certes, il y a la responsabilité du jeune, mais nous avons aussi le devoir de nous demander : qu’apprenons nous à nos enfants ? Est-ce que le système éducatif à Maurice va former un citoyen responsable capable de gérer ses émotions ? Malheureusement, je ne crois pas que nous apprenions à nos jeunes à contrôler leurs frustrations, à vivre avec leurs déceptions, à développer une certaine résilience.
Quand je regarde ce jeune de 17 ans, je me demande : mais n’y avait-il pas chez lui des indicateurs de son mal-être ? Nous aurons besoin d’un coupable et ce jeune va être blâmé, mais il est essentiel qu’arrive le moment où nous dépassionnons le débat et que nous réfléchissons, que nous nous demandons – en tant qu’adultes et institutions – ce que nous faisons pour promouvoir une citoyenneté responsable.
Finalement, le drame de Camp-de-Masque-Pavé devrait être un électrochoc…
Oui pour toute la population, mais en particulier pour les décideurs. Après les larmes, il faut bien réfléchir au type de société que nous voulons. Je pense d’ailleurs qu’il est grand temps que nous développions dans ce pays une culture de recherche. Par exemple, pour comprendre pourquoi nos jeunes ont tel ou tel comportement. À ce jour, il n’y a que les journaux qui le font, et ils nous rendent bien service en nous disant ce qui se passe dans ce pays et en faisant des analyses à travers des articles d’opinon.
Et la réforme éducative aurait pu être une belle occasion pour améliorer l’encadrement de nos jeunes, ne serait-ce qu’en milieu scolaire…
Je suis pour la réforme éducative, mais je pense que nous devons donner une large place à la citoyenneté. Nous devons dire aux jeunes qu’ils vivent dans un pays formidable. Nous devons leur apprendre à être au service de l’autre, à régler leurs conflits de manière non violente, à s’engager, à aimer…
Encore faut-il que ceux qui ont la responsabilité de transmettre tout cela y mettent du cœur et de la conviction…
Pour cela, il faudrait peut-être même repenser le métier d’enseignant. Que l’enseignant soit d’une part bien rémunéré, mais qu’il ne soit pas sélectionné simplement avec le HSC en poche. Il faut être très sélectif et connaître la motivation profonde de cette personne. N’importe qui ne peut pas être un enseignant. Il faut des personnes qui ont cette vocation.
Par ailleurs, on ne doit pas lancer des projets que pour amuser la galerie, des projets cosmétiques, comme je les appelle. Nous avons des travailleurs sociaux dans les écoles, mais quel est, précisément, le travail qu’ils font ? Comment évaluons-nous leur efficacité ?Dans le cas de ce jeune homme de 17 ans, il est urgent de réfléchir. Et ce n’est pas le premier cas mineur qui tue à Maurice… Ce cas n’est pas isolé, comme pourraient le penser certaines personnes. Il y a tellement de violence. Le problème des enfants en conflit avec la loi me préoccupe beaucoup et c’est pourquoi le Bureau de l’Ombudperson a initié tout un travail.
Et ce problème, s’il s’accentue, aura de lourdes répercussions sur la société de demain.
Oui, et d’ailleurs, est-ce que les Centres de réhabilitation qui accueillent ces jeunes sont réellement des Centres de réhabilitation ? C’est une question que je me pose sérieusement. Comment font-ils ce travail ? Est-ce que leur droit à l’éducation est respecté ? Quand une personne commet une faute dans la société, elle doit être punie. Mais les choses ne doivent pas s’arrêter là. Encore moins s’arrêter à une proposition d’appliquer la peine de mort. C’est une solution simpliste qui ne résoudra rien.
Quels sont les pouvoirs de l’Ombudsperson pour faire avancer les idées mentionnées plus haut ?
L’Ombudperson Act nous permet d’initier des enquêtes sur des sujets que nous jugeons importants ou par rapport aux plaintes que nous recevons. Nous avons d’ailleurs le droit de convoquer des personnes au Bureau et celles qui ne répondent pas à ces invitations peuvent être poursuivies par la loi et être sanctionnées par une amende. Cette règle s’applique à tout le monde. Nous avons aussi la possibilité de faire des rapports et des recommandations. Et souvent, les décideurs politiques prennent en compte ces recommandations.
Et par rapport à ce cas précis (ndlr : le drame survenu le vendredi 26 février), que pensez-vous pouvoir faire ?
Comme il y a une enquête policière, je ne peux rien faire. La loi est très claire à ce sujet. Pour l’instant, je ne peux que m’assurer que ses droits soient respectés.Ceci étant, je compte aussi rencontrer d’autres jeunes pour discuter avec eux. Les inciter à participer à des débats de fond. Il faut leur donner la parole. Écouter les idées qu’ils ont pour changer la situation et en même temps les empower.
Propos recueillis par Martine Théodore-Lajoie
Drame à Camp-de-Masque – À qui la faute ?
La peine capitale pour l’agresseur, voilà ce qu’ont demandé plusieurs personnes après le drame de Camp-de-Masque-Pavé. Une demande qui refait surface à chaque fois que la société mauricienne est ébranlée par un crime sanglant. Mais est-ce que cela va résoudre nos problèmes de criminalité ? Non, disent les personnes interrogées, qui proposent d’autres solutions.
Agnès Utchanah, 15 ans, collégienne : « Que les jeunes se confient »
La nouvelle de ce double meurtre à Camp-de-Masque Pavé a beaucoup choqué cette jeune fille. « Je suis choquée que quelqu’un de si jeune ait pu faire quelque chose de si dramatique pour une raison banale. » Pour elle, le dialogue entre jeunes et adultes est essentiel. « Il faut que les jeunes se confient davantage aux adultes et que ces derniers les aident en ce qu’il s’agit de la gestion de leurs sentiments. » Avec les amis, Agnès explique que les conversations ont surtout été axées sur les commentaires lus sur Facebook. « De voir que certaines personnes disaient que la jeune fille a mérité ce qui lui est arrivé, et que le garçon est un bon garçon, cela nous a beaucoup énervés. »
Owen, « Upper Six », bientôt 18 ans : « Quelle image ! »
Dégoûté, voilà le sentiment qui a habité Owen quand il a pris connaissance du drame du vendredi 26 fé-vrier. « Ce jeune donne une mauvaise image de la société mauricienne, mais aussi de la jeunesse mauricienne. » S’il dit ne pas avoir trop de temps – HSC oblige – de s’intéresser particulièrement à ce drame et qu’il s’est surtout renseigné via la radio, le jeune homme est toutefois contre la peine de mort. « Tou dimounn ena drwa viv. Sirtou ki sa garson-la, li ankor bien zenn. ».
Joëlle, enseignante au primaire : « Besoin d’une attention particulière »
Pour cette enseignante et mère de famille, la nouvelle du double meurtre a été un choc. « J’ai d’abord pensé que c’était un adulte qui avait été interpellé. Je suis tombée des nues quand j’ai appris que c’était un adolescent. » Aussi, elle se demande aujourd’hui quel sera l’avenir du pays si les jeunes vont ainsi à la dérive car, « l’avenir du pays appartient aux jeunes ». Pour cette enseignante qui côtoie régulièrement des enfants et leurs parents, force est de constater qu’il y a de gros problèmes au sein des familles. « Je rencontre beaucoup de cas où les parents sont divorcés, où il y a des cas de violence, de drogue… Et cela touche toutes les catégories de personnes, toutes les communautés. » Ainsi, se demande-t-elle, « dans quelles réalités vivent ces enfants ? Quels modèles ont-ils en face d’eux ? »
D’ailleurs, souligne-t-elle, beaucoup de jeunes qui se retrouvent au Rehabilitation Youth Center et au Correctional Youth Center « sont issus de broken families ». Des parents drogués, divorcés… « C’est normal, quelque part, qu’ils soient révoltés contre la société. » Dans le cas du drame à Camp-de-Masque-Pavé. Joëlle ne peut s’empêcher de penser au garçon de 17 ans. « On le décrit comme très réservé. À mon avis, ce genre de personne mérite une attention particulière. » Parlant des responsabilités des parents, Joëlle précise qu’elle ne tient pas à jeter la pierre à ces
derniers, mais que « la réalité d’aujourd’hui fait que ce n’est pas toujours facile d’être à côté de ses enfants ». Aussi suggère-t-elle que les familles apprennent à dégager du temps pour dialoguer, pour passer de bons moments ensemble. Un temps qui peut, par exemple, être pris sur l’attention allouée à la technologie. « La technologie aujourd’hui a pris le pas sur le dialogue », remarque-t-elle.
Cette enseignante fait aussi ressortir le poids de la peer pressure, sur le comportement des jeunes. « Beaucoup d’enfants réagissent d’une certaine manière à la maison et autrement avec les amis. Il est important de dire à nos enfants que si vos amis ne vous acceptent pas comme vous êtes, ou si on vous demande de faire des choses pour être accepté, cette ‘amitié’ ne vaut pas la peine. »
À l’école, elle suggère la réintroduction des classes de valeurs morales. Alors que de manière générale, elle note aussi un grand manque d’activités pour les jeunes. « Quand ils n’ont rien à faire, ils traînent les rues et peuvent être des proies. » Enfin, l’Église, selon-elle, « devrait saisir les occasions pour parler de valeurs aux jeunes ».
Jacques Lafitte, animateur en « Gestion des conflits » : « Sans une cellule familiale stable, il y a l’éducation de la gare »
Tout en qualifiant d’horrible le drame qui s’est joué à Camp-de-Masque-Pavé, Jacques Lafitte estime qu’il est crucial de s’interroger sur ce qui s’est passé dans la tête du jeune homme de 17 ans. « On dit que c’était une personne sans histoires, qu’il était renfermé… » Pour notre interlocuteur, il est probable que ce jeune n’arrivait pas à gérer ses pulsions, ses émotions, « ce qui l’a amené à disjoncter ». Un problème qui, selon Jacques Lafitte, peut
trouver son origine au sein de la cellule familiale.
« Sans une cellule familiale stable, il y a l’éducation de la gare », rappelle notre interlocuteur. Aussi, il souligne qu’il est essentiel que les familles sachent jouer leur rôle d’éducateurs. Des éducateurs connectés à ce que vivent les jeunes aujourd’hui et non pas tentés de « face modern challenges with obsolete tools ».
La réaction d’une partie de la population l’a aussi interpellé. « Tout de suite, on parle de peine de mort. C’est de l’hystérie collective. Cette situation aurait bien pu dégénérer. Et ce comportement est aussi le résultat d’une saturation quant à la dérive du law & order à Maurice. Voyez le nombre d’accidents de la route, de crimes crapuleux… » Les réactions sont alors d’ordre émotionnel et pas rationnel. Idem poursuit-il, pour le comportement du garçon de 17 ans. « Ce crime arrive quelques jours à peine après la proclamation de la sentence de Jayraj Sookur, condamné à 60 ans de prison. Et voilà que quelqu’un commet ce crime atroce. Se laissant guider par ses émotions et occultant les sanctions. »
Dean Rungen, travailleur social : « Les jeunes ont besoin de se confier »
« Je sympathise avec les familles, que ce soit celle des victimes ou celle du garçon de 17 ans », déclare Dean Runghen, tout en se disant atterré par ce drame. Il espère aujourd’hui que ces deux personnes hospitalisées bénéficient d’un accompagnement psychologique approprié. Pour ce jeune travailleur social, il est urgent d’instaurer des classes de valeurs humaines dans toutes les écoles du pays. « Il faut aussi que chaque établissement ait un travailleur social et un psychologue. » Ceci en soulignant que « les jeunes ont besoin de se confier et d’être écoutés, et ce n’est pas toujours facile pour eux de parler à leurs parents ». La drogue, le sida, les étapes de la vie humaine et affective, doivent aussi être des sujets fréquemment abordés à l’école. Tout en étant d’avis que les familles doivent apprendre à mieux communiquer, Dean Runghen estime aussi « qu’il est important que les écoles attirent les enfants » et qu’il faut revoir le système en ce sens.
Anne-Lise, enseignante au secondaire : « Le manque d’éducation »
L’éducation, voilà le problème, selon Anne-Lise. « Notre système éducatif manque de valeurs humaines. Si dans les collèges confessionnels il y a les valeurs humaines, tel ne semble pas être le cas dans tous les collèges d’État. Le manque d’éducation est aussi au sein des familles. Difficile pour les deux parents qui travaillent d’avoir du temps pour leurs enfants. C’est que disent les enfants. » Pour Anne-Lise, il est urgent de résoudre ces problèmes mais aussi de donner une large place à l’éducation sexuelle et affective. « Ce qui aideraient les jeunes à gérer leurs sentiments. »
MTL
Nos familles mauriciennes seront en paix quand nos hypocrisies disparaîtront.
Nous faisons semblants d’êtres des frères. Les éloges pleuvent aux élections générales que nous sommes un peuple intelligents, que nous prônons pour la paix, après nous ne faisons que protégés nos montagnes en oubliant les plus faibles, les veuves, les parents qui doivent gagner leurs vies a la sueur de leurs fronts, les fils intelligent et frustrés, les adolescents qui perde leur repères. Ne soyons pas hypocrites, nous savons trop bien que des groupes de jeunes frustrés de tous communautés confondues font surface de jour en jour.
Les questions restent posées ; Est-ce-que la peine de mort résoudra les problèmes de notre société ? Ou devons arrêter de croire qu’il y a seulement une partie d’élites et que les autres doivent êtres écrasées et se soumettre à la bassesse.
«Même si tu vois quelqu’un commettre un péché ou un crime, ne te crois pas meilleur que lui, car tu ignores de quoi tu es capable. Nous sommes tous fragiles, mais chacun doit se dire qu’il est le plus fragile de tous.»
(Du livre l’Imitation de Jésus Christ)