Que savez-vous de la communauté sino-mauricienne ? La Vie Catholique vous propose cette semaine pour la Fête du Printemps, de mieux faire connaissance avec nos compatriotes sino-mauriciens, leur foi chrétienne, leurs traditions et leur évolution.
Le Père Georges Cheung, sj : « La culture permet de vivre dignement »
Il existe une grande confusion entre foi et culture. Pour mieux éclairer ses lecteurs, à l’approche de la Fête du Printemps, La Vie Catholique a interrogé le Père Georges Cheung, sj, qui évoque comment la culture chinoise se concilie à la foi chrétienne et aussi des difficultés qui en découlent.
Nombreux sont les Sino-mauriciens, de foi catholique, qui célébreront la Fête du Printemps le 8 février. Expliquez-nous comment la foi chrétienne se vit dans la culture chinoise ?
Bien et mal. D’une part, beaucoup continuent à observer certaines pratiques religieuses dites « païennes » : fréquentation de temples ancestraux, offrande de papier argent ou de nourriture aux défunts… D’autre part, ces pratiques sont souvent mal comprises ; cela est vrai également
du culte de certains saints dans la foi catholique.
L’empereur chinois Kangxi demanda au légat papal, Mgr Tournon, s’il pouvait lire les quatre idéogrammes qui trônaient dans la salle d’audience. Lorsque l’évêque avoua son ignorance, l’empereur lui dit : « Vous ne pouvez même pas lire cela, et vous prétendez nous dicter notre conduite ? » Mgr Tournon fut prié de s’en aller, et la Chine se ferma au christianisme. Triste conclusion à la fameuse « querelle des rites chinois », au début du XVIIIème siècle.
Justement, comment définissez-vous la culture chinoise ? Qu’est-ce qui est culture et qu’est-ce qui ne l’est pas ? Pouvez-vous nous donner des exemples ?
Pour beaucoup, la culture, c’est la musique savante, les musées et d’autres choses de ce genre. Toute culture, y compris celle de la Chine, les inclut certainement, mais dépasse largement cela. La culture, c’est tout, absolument tout ce qui permet à un groupe de vivre dignement comme des êtres humains et non pas de survivre comme des animaux : cuisine, langage, humour, outils de travail, loisirs, techniques, etc.
Un groupe humain absolument sans culture, cela n’existe pas, cela ne peut pas exister ! La culture, c’est ce qui nous distingue des animaux, y compris ceux que nous appelons quelquefois « sociétés » telles que les fourmis ou les abeilles, mais cela est une erreur de langage. Les animaux obéissent à leur code génétique, les humains ont des traditions, bonnes ou mauvaises, mais qui se transmettent autrement que par la génétique. Pour faire bref, est culturel ce qui nous distingue du monde animal.
Comment la culture chinoise se concilie-t-elle avec la foi chrétienne ?
Lisez les Actes des Apôtres, et vous comprendrez la difficulté, mais également l’importance de concilier culture et foi. Cela n’a pas été facile pour les non-juifs d’être accueillis par la communauté de Jérusalem. Cela n’est jamais facile de rejoindre une communauté qui confond foi et culture, et impose les deux au nouveau converti. La communauté hébraïque a admis les Grecs avec beaucoup de réticence. Or, cette même communauté a disparu dans l’Église occidentale. Il ne reste que celles issues des grecs. Cela devrait faire réfléchir. Or, la christianisation en Chine a connu des problèmes analogues à ceux de l’Église primitive. Fallait-il devenir juif pour être chrétien ? Faut-il devenir « romain » pour être catholique ? Nous avions naguère à l’île Maurice un triste dicton : lorsqu’un hindou se convertissait, l’on parlait de « sanz nasyon » ! Point besoin de commentaire pour comprendre la confusion entre foi et culture qui continue à nous empoisonner la vie.
Le culte des ancêtres pratiqué lors de la messe du Printemps trouve-t-il sa place dans l’Église ?
Posons la question à l’envers. Pourquoi le culte, ou plutôt l’hommage, aux ancêtres ne trouverait-il pas sa place dans l’Église ? Nous devrions partir du présupposé de bienveillance envers tout accusé : c’est aux accusateurs de fournir la preuve de leurs allégations. Retourner la question, ce n’est pas fuir le problème. Les détenteurs des idées reçues doivent se questionner eux-mêmes, et vérifier l’authenticité de leur foi. Et si l’infidélité à la foi catholique était plutôt du côté des accusateurs ? L’intolérance (allant d’ailleurs jusqu’à la persécution physique, voire l’exécution, pendant l’Inquisition) n’est ni un signe de la présence de l’Esprit- Saint, ni la caractéristique de la pédagogie de Jésus !
Y a-t-il le danger qu’un rite d’ordre culturel puisse empiéter ou encore contredire la foi chrétienne ?…
Il faut d’abord préciser que le rite est souvent culturel et religieux. Sans doute sommes-nous trop influencés par la tradition française de la séparation d’inspiration laïque, et pensons-nous pouvoir la réaliser. S’il est utile de distinguer ces deux plans dans la réflexion, en pratique, les choses sont beaucoup plus complexes et imbriquées. Un peu comme la chair et le sang. Qui peut les séparer dans le corps d’une personne, sauf à la tuer ?
L’hommage aux ancêtres en est un exemple quasi parfait. Il peut être un rite familial, social et culturel ou alors devenir un geste superstitieux, voire idolâtrique. Mais la deuxième possibilité ne dépend pas du rite lui-même. Elle vient de notre relation à nos ancêtres. Si j’entretiens une relation magique avec eux, si la place qu’ils occupent est une négation de Dieu, alors même une simple gerbe de fleurs déposée sur leurs tombes (par exemple pour la célébration bien « catholique » du 2 novembre) sera de l’idolâtrie. Si, en revanche, mes ancêtres sont des liens qui me rattachent à Dieu, des témoins de la miséricorde de Dieu, s’ils sont des « Jean le Baptiste » indiquant le Christ comme le seul digne de notre regard, alors pétards et nourriture ne seront pas des obstacles, mais un geste de notre humanité qui rejoint Jésus, celui qui a épousé notre nature humaine par amour.
La foi chrétienne est-elle incompatible avec l’astrologie chinoise ?
Sait-on au juste ce qu’est l’astrologie chinoise ? Est-ce la sœur jumelle des programmes d’horoscope sur certaines radios qui nous polluent l’environnement sonore ? Prenons une comparaison. Lorsqu’un médecin vous dit qu’en raison de votre histoire familiale, vous risquez d’attraper un infarctus vers l’âge de quarante ans, est-ce de l’astrologie ? Bien sûr que non, cela repose sur la science… La science, c’est la noblesse même ! Et lorsqu’un psychanalyste vous fait explorer votre inconscient, qu’en est-il ?
L’astrologie chinoise n’est pas une affaire de prédiction de votre emploi du temps. Être influencé par notre environnement ne signifie pas que notre « destin » est bloqué, décidé d’avance. Bien comprise, cette astrologie nous aide à connaître nos traits de caractère. Elle ne prédit pas ce que nous allons faire, mais sur ce que nous pourrions faire, étant donné notre personnalité.
Les prédictions d’événements ne sont qu’un sous-produit, une exploitation de naïfs par des batteurs de cartes sans scrupules, comme les objets pieux qu’on achète près de la grotte de Lourdes. Nous n’allons quand même pas interdire le pèlerinage à Lourdes pour quelques bidons d’eau miraculeuse vendus dans les parages…
Propos recueillis par Sandra Rousseau
Découverte – Le Centre « Ming Tek » vous ouvre ses portes
Proposant des activités qui cadrent avec la culture chinoise, le Centre Ming Tek fait partie intégrante de la communauté sino-mauricienne de l’île. Au menu : danse, cours de mandarin, école maternelle. Le Centre est aujourd’hui un lieu où se croisent plusieurs générations. Le Centre Ming Tek est né de l’envie du Père Paul Wu qui était, à l’époque, l’aumônier de la Mission Catholique Chinoise. L’objectif : proposer un lieu et des activités à la communauté catholique et chinoise de l’île. C’est en 1980 que le Centre voit le jour et plusieurs cours sont alors dispensés pour motiver les jeunes, tant sur le plan académique que sportif ou théâtral.
Aujourd’hui, le Centre accueille de nombreuses personnes qui s’y rencontrent pour, notamment, déposer les enfants à la maternelle, ce qui, en 1980, se faisait… sous le tamarinier dans la cure de la Cathédrale. Administré par la Mission Catholique Chinoise, le Centre a comme perspective d’offrir aux jeunes de multiples activités. À l’époque déjà, des tournois de volleyball et basketball réunissaient les plus grands équipes de l’île qui s’affrontaient sur le terrain de volleyball. Mais à cause du bruit, les tournois on cessé.
« Le Centre est aussi un lieu où on célèbre la messe en chinois pour toutes les personnes qui ne comprennent pas le français ou le créole. Un projet approuvé par le Cardinal Jean Margéot. Aujourd’hui, la messe est célébrée tous les dimanches par le Père Georges Chung à 9 heures »,
explique Cyril Ah Kim, directeur du Centre. Et à ce jour, le Centre compte près de 125 élèves pour la maternelle, environ 150 autres pour la danse chinoise. Le Centre Ming Tek est aussi un lieu où des cours bibliques, de mandarin sont proposés. Il y a aussi une bibliothèque proposant des livres en chinois, anglais et français.
Le Centre gère aussi la logistique pour la Mission Catholique Chinoise, comme pour les retraites, le Family Fair, le Family Day, les pèlerinages, les rencontres des guides les samedis, etc. « Nous avons aussi eu la chance de participer à diverses émissions de la MBC et de présenter des numéros de danse. La troupe a déjà été en France, en Chine, à la Réunion et à Rodrigues pour plusieurs prestations. Il n’y a pas d’âge pour faire partie de l’école de danse, on est ouvert à tous. Les admissions pour la danse se font en janvier et pour l’école maternelle, c’est comme pour tout établissement de ce type. Notre plus grand succès reste les représentations sur la vie du Père Laval et la représentation de la parabole du fils prodigue. Nous organisons ces spectacles tous les deux ans et si tout se passe bien, on prévoit un spectacle l’année prochaine », nous confie Cyril Ah Kim.
Le Centre organise aussi plusieurs activités pour rassembler les familles.
Ainsi dans le cadre de la Fête du Printemps, la Mission Catholique Chinoise organise 12 messes partout dans l’île. Elles ont commencé depuis le 24 janvier, et ce, jusqu’au 21 février. Sans oublier une messe spéciale le 8 février à la Cathédrale qui sera diffusée à la télévision. Une messe à laquelle toute la communauté catholique est conviée.
Christopher Sainte-Marie
L’hommage aux ancêtres
L’hommage aux ancêtres est une expression de reconnaissance pour la bonté et les vertus de l’ancêtre, mais aussi une manière de démontrer l’affection filiale envers eux, le profond respect et la gratitude pour tous les sacrifices qu’ils ont consentis pour le bien-être de leurs enfants. Cette cérémonie est célébrée à la fin de la messe du Printemps.
C’est un acte de vénération et non d’adoration. Les prières s’élèvent vers Dieu pour le bien-être de l’âme des parents décédés et aussi pour tous les défunts qui ont été oubliés par leurs familles ou ceux qui n’ont pas de descendance. Durant cette messe, la lecture choisie est celle du Livre de Siracide (7, 27 -28) : « De tout ton cœur, fais honneur à ton père. Et n’oublie pas les souffrances que ta mère a endurées pour toi… » L’hommage aux ancêtres rejoint aussi le 4ème commandement de Dieu : « Tu honoreras ton père et ta mère » (Lev 19,3). Le no 2199 du catéchisme de l’Église catholique affirme, par ailleurs, l’importance de rendre honneur, affection et reconnaissance aux aïeux et aux ancêtres.
Cette cérémonie est également une manière de maintenir les valeurs morales de la famille et de la société, de renforcer l’unité de la communauté par la fidélité à la tradition. Et d’encourager les enfants à toujours avoir un cœur reconnaissant pour leurs parents.
À travers cette cérémonie, l’Église encourage l’inculturation de la culture chinoise dans la foi chrétienne. Ce jour-là, les fidèles offrent de l’encens, des fleurs, des fruits, du vin et des friandises. Ces offrandes représentent respectivement la prière qui monte à Dieu, l’amour, l’affection, la joie, et tout le travail accompli par leurs ancêtres et la transmission de leur savoir-faire.
Communauté chinoise et diocèse de Port-Louis – La force discrète
Quelle a été, et quelle est la place des membres de la communauté chinoise dans l’Église catholique de Maurice ? Incursion dans le livre « À l’aube de la Mission Catholique Chinoise à l’île Maurice 1873-1945 », de Mgr Amédée Nagapen et réflexion avec Simon Wong, responsable notamment du groupe Living Waters. La très grande majorité des membres de la communauté sino-mauricienne est catholique. Cette situation est le résultat d’une christianisation des Chinois quand ils arrivèrent dans l’île dans les années 1800 et 1900. Notamment à travers le mariage.
- Les premiers Chinois
Ainsi, racontait Mgr Nagapen dans son ouvrage « À l’aube de la Mission Catholique Chinoise à l’île Maurice 1873-1945 » : « L’absence de femmes migrantes en empêchant l’installation de familles entières chinoises, contribua inévitablement à la formation de couples mixtes. Ce furent ces foyers sino-mauriciens qui les premiers entrèrent en contact avec l’Église catholique, pour constituer l’embryon de la mission chinoise au XIXème siècle. »
Dans cette île Maurice d’alors, ces mariages sont contractés dans un contexte particulier, précise l’auteur. Car, « ces filles créoles ou de couleur appartenaient à la génération que venait d’évangéliser le Bienheureux Père Jacques-Désiré Laval. Par conséquent, les mariages mixtes entre Chinois et Mauriciennes donnèrent naissance à des enfants qui furent promptement portés sur les fronts baptismaux. »
Bon nombre de maris chinois finirent aussi par se tourner vers le catholicisme, mais non sans avoir à faire face à deux principales contraintes, relate
Mgr Nagapen. « D’abord, le catéchisme préparatoire au baptême était dispensé en français, les manuels d’instruction religieuse étaient imprimés dans cette langue, un médium que les migrants ne connaissent guère ; et pas de personnes connaissant la langue chinoise disponibles pour assurer leur catéchuménat. Puis, pour l’assistance à la messe et à la pratique religieuse, une barrière incontournable les arrêtait, car les boutiques ouvraient très tôt, dès 6 heures le matin, et ne se fermaient qu’à 21 heures le soir, et ce même les dimanches et les jours fériés. »
Pour Simon Wong, l’étendue de la christianisation de la communauté chinoise a aussi été influencée par les enfants des couples chinois et des couples mixtes. « Même pour les parents qui venaient les deux de Chine, il était important que leurs enfants fréquentent des institutions où on apprenait l’anglais et le français. Ces parents voulaient que leurs enfants s’intègrent à la société mauricienne. Et en fréquentant ces écoles, ils se sont aussi tournés vers le christianisme et ces enfants ont été baptisés. Il y a beaucoup de familles où les enfants étaient baptisés et pas les parents. »
- L’encadrement et l’essor des vocations
À propos de cet élan de conversion, Mgr Nagapen précisait d’ailleurs, que « de telles conversions d’adultes ou de tels baptêmes d’enfants en passablement grand nombre florissaient dans un milieu porteur passablement propice, mis en place dans le diocèse, plus particulièrement dans la capitale, à partir de l’épiscopat de Mgr William Scarisbrick o.s.b (1872-1887). À peine arrivé dans son diocèse, ce pasteur prit les moyens appropriés pour initier un ministère d’évangélisation auprès des Chinois, ministère qu’il confia aux lazaristes, appellation que l’on donne
aux religieux de la Congrégation de la Mission, fondée par saint Vincent de Paul en 1625 ».
Plus tard, poursuit Mgr Nagapen, « la minorité catholique au sein de la collectivité chinoise manifesta un dynamisme que révélaient divers symptômes. Le plus frappant demeurait la remarquable santé morale et spirituelle des familles. Celles-ci ruisselaient de foi et de générosité, comme le dénotait le paramètre des vocations sacerdotales et religieuses qui s’épanouirent ». En effet, de nombreuses familles chinoises ont en leur sein un ou plusieurs membres ayant fait le choix de consacrer leur vie au Seigneur.
Pour Simon Wong, ce choix du don total est aussi un trait qu’on retrouve dans les familles chinoises. « Les enfants sont élevés dans le respect de la discipline, le sens du travail et de l’effort (…) Ainsi, même en matière de foi, l’engagement est vécu à fond. »
- Aujourd’hui
Pour Simon Wong, même si le nombre de Chinois a grandement diminué à Maurice, passant de 30 000 à environ 15 000, en raison notamment du départ des jeunes vers d’autres pays, les Chinois engagés dans l’Église continuent à être animés par les valeurs transmises par leurs parents. Ainsi, « si nous avons moins de prêtres et de religieuses, c’est parce notre communauté connaît les mêmes problèmes de vocation que connaissent les autres composants de l’Église, nous avons aussi des laïcs, des couples qui se donnent pleinement à l’Église ». Un engagement qui se traduit via l’adhésion de plusieurs sino-mauriciens à des mouvements d’Église, tels que Living Waters, les scouts, etc. Mais aussi à leur souci d’aider financièrement le diocèse et le pays, quand ils sont installés à l’étranger, comme le fait par exemple Trait d’Union Maurice-Canada.
Martine Théodore-Lajoie
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