La réforme des procès de nullité : Une présentation de la lettre Apostolique en forme de « Motu proprio » du Pape François, ‘Mitis Iudex Dominus Iesus
Le Pape François a publié le 8 septembre dernier une lettre apostolique qui réforme les procédures canoniques pour les causes de déclaration de nullité de mariage actuellement en vigueur. Cette lettre en forme de « motu proprio » (c’est-à- dire de la propre initiative du Pape), suscite bien des réactions –positives pour la plupart – dans les médias et a aussi mis en lumière la procédure de nullité de mariage souvent méconnue ou incomprise par le grand public.
Ce qui suit se veut être une présentation de cette lettre. Beaucoup de choses sont dites depuis la publication de cette lettre. Des commentaires sur la décision du Pape se font sur la base de ce que rapportent les médias. Je me propose ici de faire une présentation du contenu de cette lettre qui est longue de dix pages : D’abord une présentation des huit points essentiels de la lettre et ensuite les applications pratiques de la lettre dans les tribunaux.
La finalité de la réforme.
La finalité de la réforme est le salut des âmes ! Le Pape le dit au début de sa lettre apostolique. D’où le titre même de la lettre : Le Seigneur Jésus, Juge Clément. C’est la préoccupation du salut des âmes qui est au dessus de toute loi, de tout droit dans l’Eglise. C’est la charité et la miséricorde qui exigent que l’Eglise comme Mère se fassent proche de ceux et celles qui se considèrent comme étant séparés de l’Eglise de par leurs situations matrimoniales complexes et douloureuses. Le récent synode consacré à la famille et celui qui va s’ouvrir à Rome en Octobre prochain sont les signes de cette volonté du Pape de manifester la sollicitude de l’Eglise envers ceux qui se sentent exclus de l’Eglise. La publication de cette lettre au moment où toute l’Eglise Universelle se prépare à célébrer l’Année de la Miséricorde témoigne de ce désir de l’Eglise de se faire proche de ceux et celles qui souffrent d’une séparation.
1ère partie : Les huit points de la réforme
Huit points jalonnent la réforme de la procédure de la nullité de mariage :
- Une seule sentence. C’est une des mesures les plus importantes de la lettre. Dans la procédure actuelle, il faut deux sentences pour qu’un mariage soit reconnu comme étant nul. A ce jour il faut que la sentence de la première instance (pour notre Conférence Episcopale dans l’Océan Indien, la première instance est le tribunal Interdiocésain de Port-Louis) soit confirmée par une deuxième sentence donnée par un tribunal d’appel (notre tribunal d’appel est celui de Rennes en France). Désormais, avec les nouvelles dispositions qui vont être en vigueur, une seule sentence sera nécessaire pour déclarer la nullité d’un mariage. Le juge de première instance pourra donc donner une sentence exécutive.
- Un juge Unique en première instance. A ce jour, en première instance était nécessaire un collège de trois juges pour donner la nullité d’un mariage. (Notre tribunal interdiocésain cependant fonctionne avec un seul juge vu le manque de personnel). La réforme permet désormais qu’en première instance le tribunal soit constitué d’un juge unique sous la responsabilité de l’évêque.
- L’Evêque est aussi Juge. Il l’était déjà cependant ! Petite explication : L’Evêque exerce dans le diocèse trois pouvoirs : le pouvoir législatif qu’il exerce seul. Le pouvoir exécutif qu’il exerce et délègue aussi au vicaire général et le pouvoir judiciaire qu’il délègue au vicaire judiciaire. L’évêque est donc déjà juge dans son diocèse. Avec les nouvelles dispositions, le rôle de l’évêque est renforcé. Il y a une plus grande implication de l’évêque dans la décision.
La réforme qu’apporte le Pape est de traduire davantage l’enseignement du Concile Vatican II qui établit que l’évêque est Pasteur et par conséquent est appelé à manifester la sollicitude du Pasteur envers les fidèles. L’implication directe des évêques dans les causes de nullité est donc comme dit le Pape François « un signe de la conversion » des structures ecclésiastiques. L’implication directe de l’évêque se fera dans le « procès bref » de nullité.
- Le procès bref. C’est une des plus grandes nouveautés de cette réforme. A ce jour il y a un procès dit « ordinaire» qui peut prendre jusqu’à deux ans avant qu’un mariage soit déclaré nul. Le Pape donc institue une « procédure brève ». Mais l’institution de cette procédure brève ne supprime pas la procédure ordinaire. Cette procédure brève aura à être appliquée suivant des critères bien précis que donnent la lettre du Pape. L’évêque aura un rôle important dans la procédure brève de nullité. C’est lui qui décidera de l’issue de la cause dans un procès bref. Le Pape dans sa lettre apostolique invite cependant à la vigilance sur l’application de cette procédure brève car il ne faudrait pas selon lui mettre en question l’indissolubilité du mariage. Et c’est pour cette raison que dans les procédures brèves c’est l’Evêque en personne qui est constitué comme Juge étant dans l’Eglise est le garant de l’unité.
- L’appel au siège Métropolitain. Toute sentence donnée en première instance va automatiquement en appel. Telle est la pratique à ce jour. Avec la réforme, l’appel ira au siège métropolitain (c’est-à-dire à l’archevêque). Notre Conférence Episcopale dans l’Océan Indien n’ayant pas un siège métropolitain, les appels se feront toujours au tribunal de Rennes en France.
- Le rôle de la Conférence Episcopale et la gratuité des causes. C’est une autre nouveauté de la réforme. Le Pape a toujours manifesté le désir de renforcer le rôle des conférences épiscopales. Avec cette réforme, il concrétise en partie ce désir. Les Conférences Episcopales sont appelées à traduire dans le concret la sollicitude de l’Eglise envers ceux et celles qui vont une demande de nullité de leur mariage. Il est demandé aux Conférences Episcopales de s’assurer de la gratuité des procédures de nullité de mariage.
- L’appel à Rome. Le principe de l’appel à Rome –plus précisément au tribunal de la Rote Romaine est maintenu.
- Les Eglises Orientales. Le Pape apporte aussi une révision des procédures de nullité pour les Eglises Orientales et réforme donc le Code de droit Canonique des Eglises orientales.
2èm partie : Applications pratiques de la réforme
La réforme apportée par la lettre apostolique a des conséquences pratiques. Il me semble opportun de les signaler.
- Révision du Code de droit Canonique
Avec la réforme, la partie du Code de droit canonique consacrée aux causes en déclaration de nullité de mariage est modifiée. Les nouvelles dispositions regardent les cc. 1671-1691.
- L’entrée en vigueur de cette réforme
Quand prend effet cette nouvelle disposition de la loi ? Depuis la publication de la lettre, plusieurs personnes se posent cette question.
Le droit établit que la loi entre en vigueur trois mois après sa promulgation. Le Pape dans sa lettre décrète que cette réforme prend effet le 8 décembre 2015. Donc, toutes les causes introduites à partir de cette date feront l’objet de la nouvelle disposition. Toutes les causes qui sont déjà introduites et qui seront introduites avant le 8 décembre 2015 tombent sous la législation actuelle toujours en vigueur.
- Procès ordinaire ou procès bref ?
La réforme qui prévoit un procès bref ne supprime pas le procès ordinaire. Dans l’application de la lettre, c’est le Vicaire Judiciaire qui recevant une demande écrite de reconnaissance de nullité aura à décider si la demande sera traitée par un procès ordinaire ou par un procès bref (c. 1676.2). Pour prendre cette décision, il aura à tenir compte des critères donnés par les nouveaux règlements (cf. Art. 14. 1).
Pour un procès ordinaire, ce sera au vicaire judiciaire de donner la sentence. Dans la pratique, la durée d’un procès ordinaire est appelée à diminuer vu qu’une seule sentence est désormais nécessaire.
Pour un procès bref, c’est l’évêque en personne qui, après que toutes les parties concernées auront été écoutés, donnera lui-même la sentence. Quand le tribunal est interdiocésain comme c’est le cas pour notre Conférence épiscopale, c’est l’évêque du lieu où le mariage a été célébré qui donne la sentence. Celle-ci aura à être brève et motivée. Si l’évêque donnant la sentence n’arrive pas à la conclusion que le mariage est nul, la cause sera introduite en procès ordinaire pour un éventuel appel.
Les modalités pour faire appel
La possibilité de faire appel demeure pour les parties concernées par une demande de nullité. Pour notre tribunal interdiocésain, l’appel pourra continuer à être fait au tribunal de Rennes. Mais existe la possibilité de faire directement appel au tribunal de La Rote à Rome. Cette démarche est cependant plus longue.
La gratuité des causes
Il a beaucoup été question dans la presse comme dans l’opinion publique que cela coûte « chère » pour avoir la nullité de mariage et du coup les nullités de mariage ne seraient accessibles qu’à certaines personnes.
En ce qu’il s’agit de la pratique actuelle dans le tribunal Interdiocésain de Port-Louis, toute personne, au moment où elle dépose une demande de nullité, remet la somme de Rs. 1500. (mille cinq cents roupies) pour introduire une cause en première instance. Cette somme sert pour tous les besoins administratifs. Quand une cause va en appel, le tribunal de Rennes demande 100 euros (soit Rs 4000. -quatre mille cinq cents). La totalité de cette somme est envoyée au tribunal de Rennes. Le tribunal de Port-Louis demande Rs. 500 (cinq cents) pour les frais postaux d’envoi de la cause à Rennes. Il est dans la pratique de notre tribunal d’accorder la gratuité de la cause pour les personnes qui en font la demande.
La Formation permanente
Le Pape François dans les nouvelles règles qu’il met en place est bien conscient que ceux qui travaillent dans les tribunaux nécessitent une formation adéquate. Il invite les évêques à mettre sur pied des structures de formation permanente (cf. Art. 8.1) pour former le personnel du tribunal : ceux qui font le premier accueil, ceux qui mènent l’enquête et qui font l’écoute pastorale. Le Pape nous dit que cette formation permanente est nécessaire pour tous ceux qui collaborent à la recherche de la vérité du lien du mariage.
Georgy Kenny, Vicaire Judiciaire du tribunal interdiocésain de Port-Louis
Laisser un commentaire