Trop souvent ce faux débat débouche sur le pseudo-référendum d’une prise de position pour ou contre cette manière de vivre sa sexualité : « Vous êtes homophobe ou homophile ? ». Il n’existe pratiquement pas de position nuancée, surtout dans les débats télévisés, voire dans les infos de certaines chaînes dites progressistes, et où tout refus du 100% homophile se voit décerner l’étiquette de « conservateur », un peu à la manière des étoiles hitlériennes décernées aux descendants de juifs ou assimilés. Une des raisons vient d’un phénomène de société où n’est jugé intéressant que le propos outrancier, de conviction ou de circonstance, et dont l’utilité réside justement dans sa faculté de choquer et de désarçonner l’adversaire, l’amenant ainsi à sortir, à son tour, une énormité qui servira éventuellement d’argument pour le disqualifier, l’énormité du départ ayant été, bien entendu, habilement oubliée, le plus souvent avec l’aide d’un journaliste complaisant acquis à la cause, d’un côté comme de l’autre.
Et pourtant, il y a bien lieu d’avoir un débat. Cependant, chose rarement pratiquée, il faut au préalable que la personne qui s’y engage ait la conviction raisonnable de ses positions de départ alliée à une humilité qui l’amène éventuellement, sinon à changer de camp, du moins à nuancer ses propos. On peut être contre l’homophobie, sans pour autant cautionner toutes les revendications du lobby gay. Et inversement, on peut récuser l’homophilie militante, sans pour autant organiser des chasses aux sorcières ou des autodafés d’hérétiques.
L’homosexualité n’est pas une question religieuse
Mais avant de poursuivre la réflexion, commençons par affirmer ce qui nous semble logique et élémentaire, mais que le grand public semble ignorer : l’homosexualité ne relève pas du domaine religieux, même si l’appartenance à une religion peut colorer et va certainement influer sur la manière de construire son argumentation, pour ou contre. En cela, l’homosexualité rejoint d’autres thèmes de la bioéthique comme l’avortement et l’euthanasie, pour ne mentionner que ces deux sujets d’actualité souvent débattus dans les mêmes conditions de surdité de départ.
Cela ne veut nullement dire que le croyant n’a rien à dire ou à offrir pour faire avancer le débat. Bien au contraire. Mais il ne peut le faire qu’au titre de citoyen, avec droits et devoirs égaux, mettant en parenthèses les convictions fondées uniquement sur ses textes de référence, comme la Bible, le Coran ou les Vedas. Dans un débat qui regroupe des personnes d’horizons religieux divers, faire appel à tel ou tel texte sacré et à l’autorité qui le fonde ne peut que discréditer le sérieux de l’argument avancé pour le faire chuter dans l’idéologie. Le débat risque d’être clos avant son ouverture.
C’est donc en posant ces paramètres que je vais maintenant essayer de réfléchir, de manière juste et équilibrée, sur cette question. Le lobby gay me trouvera probablement un tantinet homophobe, tandis que les lecteurs littéralistes de la Bible me rangeront certainement dans le camp du laxisme moral. Mais c’est sans doute le prix à payer, et il n’est pas trop élevé, si mes efforts contribuent, de manière modeste mais réelle, à faire avancer le débat ainsi qu’à éclairer tel ou tel, lassé par les batailles rangées que sont souvent les disputes du petit écran où a raison celui ou celle ayant le verbe plus rapide, sonore et envahissant.
L’homophobie est un réflexe d’auto-défense
L’homophobie vient d’un réflexe d’auto-défense de la société fondée en partie sur l’instinct de survie de l’espèce. En effet, il est facile de comprendre que, biologiquement, si la tendance homosexuelle venait à l’emporter de manière dramatique sur le comportement hétérosexuel, la survie de la race humaine serait directement menacée, surtout dans les civilisations ne maîtrisant pas, voire ne connaissant pas, la technologie de la fécondité assistée. Comme certains qui se « marient » de nos jours, mais avec la ferme intention de ne pas procréer du tout.
En passant, notons que l’homosexualité n’est pas la seule (mauvaise) conduite sexuelle à être condamnée dans la Bible : rappelons-nous l’histoire d’Onan, le deuxième fils de Juda, qui meurt pour avoir refusé de féconder sa belle-sœur Thamar, devenue son épouse selon la loi du lévirat, en se retirant au moment d’éjaculer. Son geste est désormais « immortalisé » sous le vocable d’onanisme, coït interrompu, « méthode » de contraception cependant hautement aléatoire, puisque l’homme n’est jamais sûr de pouvoir se retirer à temps lorsque l’orgasme est imminent.
Par ailleurs, la condamnation de l’acte homosexuel dans l’épisode de Sodome n’est pas liée de manière stricte à la fidélité dans le mariage, polygame ou monogame. En effet, aux gens venus en masse pour sodomiser les visiteurs de Loth, celui-ci leur propose ses propres filles – encore vierges, précise-t-il, – pour leur amusement « comme bon leur semble », pourvu que les Sodomites ne commettent pas un tel « malheur ». Loth met ainsi l’importance de l’hospitalité au-dessus des considérations familiales, au-dessus de l’honneur et de l’avenir de ses filles. Tout comme un peu plus tard, l’inceste des filles de Loth est jugé sévèrement, alors que leur prostitution de « substitution », dont nous venons de parler, ne semble pas poser de problème insurmontable.
Dire que l’homophobie vient d’un réflexe n’est pas un jugement de valeur. Car toute peur a ses raisons et ses dérives, qu’il s’agisse de l’homophobie, ou de la xénophobie qui se répand à une vitesse vertigineuse dans de nombreux pays, dont ceux réputés plus « évolués » comme les contrées scandinaves, à en juger par la montée des partis d’extrême droite, voire néonazis. Le « communalisme » à la mauricienne n’est qu’un parmi d’autres, hélas ! Nous ne faisons que reproduire, de manière idiote, ce que nos ancêtres nous ont légué de pire. La protection du ghetto n’est tout au plus qu’un bouclier fragile, éphémère et illusoire.
Amour et relation sexuelle
En quoi le comportement homosexuel pose-t-il problème ou pas ? Pour des raisons pratiques, nous distinguerons deux aspects de ce comportement, même si, dans la réalité, ils sont le plus souvent bien imbriqués l’un dans l’autre : le biologique et l’affectif. Les deux sont étroitement liés, mais l’un n’est pas le synonyme de l’autre. C’est comme le binôme « douleur physique – souffrance ». La douleur physique engendre souvent la souffrance, mais pas toujours ; tandis que la souffrance vient souvent de la douleur physique, et pourtant on peut souffrir sans être physiquement atteint.
Soyons direct. Peut-on aimer quelqu’un du même sexe de manière « légitime » ? La réponse est certainement « oui ». Nous sommes tous appelés à aimer nos parents, nos frères et sœurs, et tant d’autres, qu’ils soient d’un sexe ou de l’autre. Mais peut-on avoir des relations sexuelles avec quelqu’un du même sexe ? Quelle réponse donner à cela ?
Le nœud du problème vient de cette équivalence tacite prônée par le lobby gay entre amour et relation sexuelle. Pour faire bref, l’amour est d’ordre affectif, mais avec des prolongements physiques possibles ; tandis que la relation sexuelle est d’ordre biologique, avec des implications affectives possibles. Mais, comme pour le binôme « douleur physique – souffrance », les deux termes « amour » et « relation sexuelle » ne sont pas des synonymes. Ils sont étroitement liés dans le contexte de l’amour conjugal, mais il peut y avoir un gouffre entre les deux, et ce, malheureusement, même au sein d’un couple qui marche mal.
Oui, on peut très bien avoir de l’amour sans relation sexuelle, tandis que la relation sexuelle sans amour est, hélas !, une réalité trop fréquente, que ce soit dans les bordels ou dans le couple où l’amour a été sévèrement meurtri, voire carrément tué, par l’infidélité, la violence ou l’indifférence. En passant, c’est bien pour cela que le viol par le conjoint a été légalement reconnu, à juste titre, même si le « droit » à l’acte conjugal sexuel par le partenaire est, en apparence, couvert et autorisé par un état matrimonial légitime.
Ayant bien en tête cette distinction entre amour et relation sexuelle, posons les questions sans détour : La relation sexuelle est-elle compatible avec l’amour dans un couple homosexuel ? L’amour homosexuel peut-il revendiquer la relation sexuelle comme son aboutissement « logique » ? Et, troisième question qui se pose de manière encore plus pointue : Est-ce que le couple homosexuel a un « droit » dans l’adoption d’enfants ?
Détermination biologique ou choix ?
Ma réflexion m’amène à conclure par la négative. Non pas pour des motifs religieux dont j’ai déjà dit qu’ils ne sont pas directement pertinents. Mais pour une cohérence et une rigueur dans le raisonnement. Encore une fois, sans les dissocier de manière absolue, nous considérerons l’amour comme étant principalement du côté affectif, tandis que la relation sexuelle sera vue du côté biologique, avec les liens évidents dans la vie pratique.
Le penchant homosexuel peut être attribué à un comportement acquis ou à une détermination génétique. Un premier point concerne le pourquoi d’un comportement homosexuel : s’il est vraiment fondé sur la génétique, on ne peut que l’accepter, quitte à trouver un modus vivendi par la suite pour que les relations humaines restent vivables, pour l’individu, pour ses proches et pour la société.
Si, en revanche, c’est un choix de l’individu qui le fait opter pour l’homosexualité, il nous paraît évident que le libre arbitre dont nous disposons nous permet d’adopter ce comportement ou de le refuser. Bien entendu, entrent également en jeu d’autres éléments dans le vécu concret qui peuvent aider ou grever la faculté de faire un choix libre et responsable.
Dans la réalité, les choses ne sont peut-être pas aussi nettes et tranchées. Il y a sans doute un peu des deux, ce qui rend la réflexion ainsi que le discernement plus difficiles. Mais restons pour l’instant dans cette opposition théorique entre l’inné et l’acquis. Nous disions plus haut que la détermination biologique ne nous laisse pas de choix puisque c’est « comme ça », et que nous n’y pouvons rien y changer. Soit.
Cependant, si nous « obéissons » à la biologie en acceptant ses contraintes, au nom de quoi pouvons-nous revendiquer une liberté dans la suite (bio)logique, à savoir la procréation ? Si un individu est biologiquement prédéterminé à l’homosexualité, il l’est autant pour la procréation. Obéir à la première contrainte et récuser la deuxième, c’est de l’incohérence, c’est le signe que toute discussion est académique, puisque la seule chose qui intéresse, c’est de faire « ce qui me plaît ». Pour prendre une comparaison (qui vaut ce qu’elle vaut), on ne peut exiger qu’une rue se transforme en impasse ou en sens unique, mais se garder un droit de l’ouvrir à la circulation ou d’y rouler en sens inverse quand on en a envie. Autrement dit, revendiquer le droit au comportement homosexuel élimine de facto le droit à la procréation, assistée ou non.
Car la procréation « naturelle », c’est-à-dire non assistée, dans l’espèce humaine, est la reproduction sexuelle. L’espèce humaine ne se reproduit pas comme les algues ou les bactéries, par greffe ou par marcottage. Le clonage vient sans doute brouiller quelque peu les donnes, mais dans la discussion autour de l’adoption par des couples homosexuels vise des enfants « normaux », c’est-à-dire conçus de manière ordinaire par la fusion des gamètes femelle et mâle, donc le fruit d’une relation hétérosexuelle, assistée ou pas.
L’enfant est un sujet, non un objet
Si l’homosexualité est le résultat d’un choix, la conclusion ne sera pas différente. En plus, il n’existe pas de « droit » à l’enfant. C’est un abus de langage terrible, car parler de « droit » à l’enfant réduit celui-ci au rang de marchandise. C’est l’enfant qui a des droits sur ses parents, car il n’a rien demandé pour venir au monde. Et la moindre des choses, c’est que l’enfant ait un père et une mère, biologiques et affectifs.
Certes, l’on citera souvent, à tort, les cas d’enfants orphelins, de père ou de mère. D’autres « arguments » feront état des pères ou des mères indignes. Mais tout cela est accidentel, et nous ne pouvons pas ériger l’accident, même s’il est de plus en plus fréquent, en norme. Ce n’est pas parce que l’ébriété au volant devient de plus en plus fréquente que l’on doive l’ériger en « conduite normale » sur nos routes. La réponse juste aux accidents, c’est de les réduire en traitant les causes.
En conclusion, redisons nos convictions sur la question. Il faut certes réduire, jusqu’à les faire disparaître, les inégalités sociales et matérielles dues à l’orientation sexuelle de l’individu : droit au travail, au logement, aux soins médicaux, pour n’en mentionner que quelques-uns. Mais il faut un minimum de cohérence surtout par rapport à l’adoption : l’enfant n’est pas un droit, un dû, ou encore un chien de compagnie. C’est l’enfant qui a des droits sur les adultes et la société, des droits que les adultes et la société doivent respecter, que cela leur plaise ou non.
L’enfant est un sujet à respecter, non pas un objet, même précieux, à collectionner.
Georges Cheung sj
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