Rencontre avec le père Gérard Sullivan qui, durant des années de sa vie sacerdotale, a eu l’occasion d’accompagner des fiancés/ées ou encore des personnes mariées en leur donnant des clés pour entrer dans cette voie de l’amour.
Riche de vos expériences avec les couples, quelle définition donneriez-vous de l’amour entre un homme et une femme ?
Plus j’avance, plus je découvre que le couple est un mystère. Un mystère d’amour que de voir deux êtres, différents par le genre et aussi de multitudes autres différences : milieu, culture, sensibilité, histoire, qui pourtant décident un jour de relever le défi de vivre et de construire quelque chose en commun.
Avez-vous noté une évolution dans le couple au fil des années ?
Aimer pour la vie est une dimension qui effraie de nos jours. Dans la vie du couple comme dans la vie religieuse et dans d’autres situations. Aujourd’hui, c’est un domaine auquel je suis confronté quand j’accompagne les couples pour vivre un amour qui est censé durer toute la vie. Cependant, au plus profond de chaque être, il y a cette aspiration d’aimer et d’être aimé pour toujours. Or, le prix à payer est un mode d’emploi à appliquer.
Le nombre de divorces nous prouve que l’amour ne rime plus avec le mot « toujours ». Autrefois, l’entourage soutenait le couple et le poussait à se dépasser. Or, aujourd’hui, le langage a changé. L’entourage leur dit : « Profites-en, car les beaux jours ne dureront pas. »
Et c’est avec cette image erronée de l’amour qu’ils entrent dans le mariage.
De plus, tout est jetable, rien ne dure dans la société où on vit. Des slogans vides sont conçus sur le mot « durable », ce qui lui fait perdre tout son sens. Les jeunes n’ont aucune notion de ce qui dure. Pour faire tourner les industries, ils sont habitués à jeter des choses. Si bien que leurs sentiments deviennent aussi « jetables ». Sans oublier que l’amour dans la fidélité n’est plus facile dans ce monde rempli de tentations.
Quel est, selon vous, ce fameux mode d’emploi pour vivre l’amour dans la durée ?
Déjà commencer à aimer l’autre pour lui-même et non pour soi. Il faut apprendre à se décentrer de soi pour mettre l’autre au centre de sa vie, chose qu’on ne sait plus faire. Dans les familles nombreuses, on apprenait autrefois aux plus jeunes l’empathie, le sens de l’autre, la solidarité. Or, de nos jours, cela a été remplacé par l’individualisme et l’égocentrisme. Les parents se donnent des choses qu’ils n’ont pas eues à travers leurs enfants. Pire : ils cèdent à leurs caprices pour compenser le peu de temps qu’ils passent avec eux. Résultat : les repères n’existent plus. Notre société se remplit d’enfants-rois qui veulent être des rois dans la vie de tous les jours. Or, c’est impossible d’être comme cela quand on prétend faire l’expérience de l’amour. L’amour, c’est le don de soi et le Christ vient nous l’affirmer : « Il n’y a pas de plus grand amour que de donner sa vie pour celui ou celle qu’on aime. »
Concrètement, comment le don de soi prend-il sens dans la vie du couple ?
Le couple apprend de ses propres expériences et épreuves de la vie à deux. Parce qu’on aime l’autre, on apprendra à se donner à lui en essayant de sortir petit à petit de son égocentrisme pour rejoindre l’autre dans ce qu’il vit, dans ses joies comme dans ses peines. De nos jours, les couples s’aiment l’espace d’un instant, sous prétexte que les deux ont une profession. Le temps qu’ils vont se consacrer dépendra du temps qu’il leur reste. Même chose pour les enfants. Or, l’amour est le don complet de soi à chaque instant de la vie. Les activités professionnelles ou personnelles ne peuvent y faire obstacle.
Peut-on dire que les multiples problèmes qui assaillent le couple sont dus à une société malade ?
Je ne dirai pas une société malade, mais plutôt une société moderne qui a perdu ses repères et ne sait pas comment les retrouver. De nos jours, c’est une réelle course pour vivre l’instant présent à fond. L’intensité de la rencontre prime. On est dans la dictature de l’instantané. Tout se passe tout de suite. On brûle les étapes. Dans les minutes qui suivent, les couples sont au sommet de la relation, dans leur plus grande intimité, quitte à renvoyer l’autre à la poubelle le lendemain. Or, le tout, tout de suite n’existe pas en amour.
Doit-on comprendre que les couples confondent amour et passion ?
L’état amoureux est une période éphémère durant laquelle les couples se laissent emporter par leurs émotions. Ce n’est pas la bonne période pour prendre des décisions. Malheureusement, de nos jours les décisions importantes sont prises à la hâte et non au moment opportun. De ce fait, de nombreuses crises en découlent. Les psychologues tirent la sonnette d’alarme : il ne faut pas confondre l’état amoureux et l’amour. Le véritable amour ne réside pas dans les sentiments, mais dans la décision de s’aimer avec ses défauts, malgré les nombreux tiraillements. Personne n’est d’humeur égale tous les jours. Les pépins et les difficultés font partie de la vie. Il faut savoir les affronter. Cela produit en nous l’humilité, la résilience, la patience, le pardon. Cela invite à mourir à soi-même et à ses attentes pour pouvoir vivre un amour durable. Il faut aussi se dire que l’autre est là pour me relever quand je tombe. Le piège, c’est de rêver qu’ailleurs l’herbe est plus verte.
Donc, l’amour se construit et se développe petit à petit…
Cette notion se perd de plus en plus. Aujourd’hui, on apprend à conquérir, à posséder, à tout régler dans un instant. Or, l’amour, c’est faire confiance à l’autre. Autrefois, la relation du couple était graduelle. Il y avait le temps de la rencontre, de l’initiation, de l’apprivoisement, de mieux se connaître, de se faire confiance. Pour vivre un amour durable, il est important de rentrer tout doucement dans cette approche de l’autre.
J’aime bien la phrase du pape quand, l’an dernier, il invitait les couples à utiliser les mots : « s’il te plaît ; merci et pardon » dans leur relation. « S’il te plaît » est important parce que l’autre est un mystère, une planète à découvrir. Il faut faire attention à ne pas l’aborder avec un « caterpillar » mais avec beaucoup de précautions et de respect. Il faut ouvrir la porte pour y entrer tout doucement.
« Merci » parce que l’autre est un cadeau qui m’est donné. Le regard de l’autre sur soi le révèle. Le regard de l’un continue à créer l’autre. Pour cela, il est important de lui dire « merci » et de rendre grâce à Dieu pour ce merveilleux cadeau qui n’est surtout pas à être accaparé comme un objet. « Pardon » parce qu’on ne sait pas aimer, on fait des bêtises par ignorance et maladresse. Dans la prière que Jésus-Christ nous a appris à adresser à Dieu, source de tout amour, le mot « amour » ne figure pas, mais en revanche, il y a deux fois le mot « pardon ».
Le pardon tient donc une grande place dans la relation de couple…
Le pardon est la forme la plus terrestre, voire la plus concrète, de l’amour au quotidien. Seule la personne qui m’aime ou que j’aime peut me blesser ou être blessée. D’où l’importance de se pardonner dans un couple, comme Dieu nous pardonne.
Je reviens sur cette belle phrase que vous aviez citée plus haut : « Le regard de l’un continue à créer l’autre. » Pouvez-vous nous en dire plus ?
Depuis notre naissance jusqu’à notre mort, notre création ne sera jamais finie. Pour continuer notre création, Dieu met quelqu’un sur notre route. Dans le couple, c’est le regard et les paroles d’amour et de confiance qui permettront de continuer à créer l’autre. Ce processus s’étale dans le temps.
Propos recueillis par Sandra Potié
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