Mgr Maurice E. Piat a développé un élément abordé par Mme Shenaz Patel, dans son article intitulé « Katiak Charlie » dans le Week-End du 11 janvier 2015. Nous reproduisons ci-dessous le texte de Mgr Piat qui a été publié dans l’édition de Week-End du 18 janvier 2015.
Je remercie vivement Mme Shenaz Patel pour son excellent papier paru dans Week-End du dimanche 11 janvier 2015 intitulé « Katiak Charlie ». J’ai beaucoup apprécié sa manière de nous inviter à ne pas rester sur l’émotion et l’indignation – tout à fait légitimes – suscitées par le massacre atroce des journalistes de Charlie Hebdo et de la tuerie d’otages qui a suivi. Elle invite à aller plus loin pour chercher à comprendre « ce qui se passe en profondeur », à analyser et identifier ce qui nourrit une telle violence. En même temps, elle reconnaît l’extrême complexité de cette recherche.
Je voudrais ici attirer l’attention sur un élément de cette complexité qu’elle analyse si bien par ailleurs. En se posant la question de savoir s’il est légitime ou non de critiquer les religions, de les soumettre à la satire, Mme Patel affirme « Vu leur place et leur influence dans la conduite des affaires des hommes et du monde, elles doivent pouvoir être soumises, comme toute autre chose, à l’examen, à la question, à la critique, critique qui peut notamment s’exprimer par l’arme puissante qu’est la satire ». Je me permettrais de proposer ici une distinction qui pourrait apporter une nuance importante à cette affirmation. Autant il me paraît légitime de « soumettre à la satire » les hommes religieux ; autant il me paraît très offensant de critiquer l’objet même de la foi religieuse de qui que ce soit. Les hommes religieux sont tous faillibles et si un journal dénonce un de leur travers sur le mode de l’humour, cela peut rendre service. Cette critique, surtout si elle porte à rire, est saine. Car seul l’homme a la capacité de rire. Or, selon P. Berger, un sociologue américain, cette capacité lui vient d’une conviction profonde: celle de croire que tout travers humain peut finalement être redressé, que tout homme qui tombe peut finalement se relever.
En revanche, je pense qu’il y a un grand respect à avoir pour ce qui fait la foi des personnes, pour les symboles religieux qui expriment cette foi, pour les personnes historiques à l’origine de cette foi (comme Jésus, Mahomet, Bouddha, etc.). Toucher à ce qui fait la foi de quelqu’un, c’est toucher à une partie de lui-même, à ce qui l’identifie profondément. Par contre, l’interroger sur son comportement social, même s’il prétend que ce comportement s’inspire de sa foi, revient en fait à lui rendre un service.
A un chrétien qui l’interrogeait sur cette question, le Mahatma Gandhi avait répondu avec sa finesse habituelle « I like your Christ, but I don’t like your christians because they are so unlike your Christ ».
C’est pourquoi, il n’y a pas eu seulement des jihadistes à s’offusquer des caricatures de Mahomet publiées par Charlie Hebdo. Beaucoup de personnes d’autres religions et des musulmans modérés, y compris les responsables de la Grande Mosquée de Paris, avaient protesté contre ces caricatures des prophètes parce que cela les heurtait dans leur foi. De même, pour une raison analogue, des chrétiens mauriciens se sont indignés quand dans un journal du dimanche, le jour de Pâques, on s’est servi du plus grand symbole chrétien, la Croix du Christ, comme support pour se moquer d’un politicien en perte de vitesse. En France, également, comme le fait remarquer Mme Patel, les autorités ont interdit un spectacle qu’ils considéraient antisémite et l’opinion s’est indignée devant une caricature insultante d’une ministre de la République.
Je reconnais que cette distinction n’est pas toujours facile à faire. Mais les gens qui cherchent honnêtement à la faire, sont plus libres au fond parce que plus respectueux de la liberté d’autrui. Toute vitale que soit la liberté d’expression dans une société, je ne pense pas qu’on puisse la revendiquer comme un droit absolu. Car ce serait s’exposer à ne pas respecter la liberté d’autrui.
Mgr Maurice E. Piat
Evêque de Port-Louis
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