Nous reproduisons ci-dessous une interview de Mgr Alain Harel publiée dans Le Mauricien du 15 octobre 2014.
Monseigneur Alain Harel, évêque du vicariat apostolique de Rodrigues, représente la Conférence épiscopale de l’océan Indien (CEDOI) au Synode spécial extraordinaire sur la famille qui se tient à Rome et qui prendra fin ce week-end. Depuis plus d’une semaine, les cardinaux et évêques représentant les conférences épiscopales du monde entier se penchent sur « Les défis pastoraux de la famille dans le contexte de l’évangélisation ». Le chantier de travail est grand. Pour beaucoup de catholiques, la situation des divorcés remariés est la question qui retient l’attention et ils s’attendent à obtenir une réponse à ce sujet. Dans l’entretien qu’il a accordé au Mauricien avant son départ le vice-président de la CEDOI, donne son opinion sur cette question. « Si nous attendons des réponses spectaculaires à ce sujet nous serons peut-être déçus. Beaucoup de catholiques attendent effectivement une réponse directe qui redonne espoir aux divorcés remariés comme s’il s’agissait d’une question purement académique », dit Mgr Harel en insistant sur « le rôle de l’Église en tant que mère et enseignante ». L’Évêque de Rodrigues fait aussi état des préoccupations des responsables de l’Église dans la région des îles de l’océan Indien.
Les réalités sociales, économiques et culturelles ne sont pas les mêmes dans nos îles ; comment est-ce que les responsables de l’Église dans la région arrivent à réconcilier ces diversités dans le document de la CEDOI que vous présenterez à Rome sur la famille dans l’océan Indien ?
D’abord, je voudrais souligner que la tenue de ce synode a été précédée d’une vaste consultation dans tous les diocèses du monde. En effet, Rome a envoyé à tous les évêques un questionnaire axé sur « les défis pastoraux de la famille dans le contexte de l’évangélisation » et qui comprenait une trentaine de questions couvrant les aspects de l’Église. Chaque diocèse a envoyé sa remontée vers Rome et c’est à partir des réponses obtenues que le secrétariat du Synode a préparé un document de travail qui sera à la base des discussions à Rome. S’agissant de la région de l’océan Indien, chaque Église locale a eu des consultations avec les forces vives sur les thèmes qui ont été transmis. Vous avez parfaitement raison de souligner la diversité dans nos îles. En effet, chaque île a sa propre histoire et son identité. Ceci dit, le vent de la mondialisation souffle également sur nos îles à travers les moyens modernes de communication. C’est tout à fait vrai que le monde est devenu un village global, ce qui se passe dans le pays le plus éloigné de nous est connu dans la seconde d’après dans nos îles. Aucune île ne peut vivre d’une manière isolée et cette mondialisation a un impact direct sur la vie des individus et des familles dans la région. Il y a des similitudes dans le mode de vie, ce qui fait qu’il y a beaucoup plus de points communs que de différences entre nous aujourd’hui. Dans le contexte de nos îles, à la sortie de l’esclavage qui a été un grand drame, les familles étaient séparées, disloquées et ont vécu dans des conditions extrêmement difficiles. Avec un courage extraordinaire, les descendants d’esclaves ont affronté les défis et sont arrivés à construire des familles. Dans le contexte moderne, il y a une nouvelle vague de défis à relever pour les familles dans nos îles. Tout en ne biffant pas nos différences, concentrons nos efforts sur nos préoccupations communes et travaillons à consolider ce que nous avons en commun.
Depuis une année, les médias catholiques parlent de ce Synode, créant ainsi beaucoup d’attentes parmi les catholiques à travers le monde. Y a-t-il des enjeux sur lesquels, selon vous, ce synode devrait s’attarder ?
La famille est la base même de la société. Si la base est malade, c’est toute la société qui est affectée. Dans la ligne de Vatican II, l’Église doit être au service de la société et je pense que notre souci au cours de ce synode c’est de voir comment l’Église rejoint les besoins des familles et les aide à grandir pour les amener à jouer pleinement leur rôle dans la société. Il y a une série de situations dans le contexte contemporain qui fragilisent les familles et nous devrons être préoccupés par la santé de nos familles. Voici quelques questions qui interpellent l’église : les différentes formes de violences engendrant des relations de plus en plus tendues ; l’augmentation du nombre de divorces ; un nombre inquiétant de grossesses précoces ; les maladies sexuellement transmissibles ; la précarité financière à cause du chômage et de la cherté de la vie ; la migration ; les relations difficiles parents/enfants à cause du manque de dialogue ; et les familles recomposées. La transmission de la foi devient également difficile dans ce nouvel environnement.
Même si les discours des hommes d’Église ont beaucoup évolué sur la question du divorce, la doctrine de l’Église n’a pas changé ; que peut-on attendre de nouveau sur cette question au bout de ce synode ?
La situation des divorcés remariés qui ne peuvent recevoir la communion est la question qui intéresse le plus les médias dans ce synode parce qu’elle fait débat à l’intérieur de l’Église. C’est vrai qu’il y a beaucoup d’attentes parmi les catholiques sur cette question spécifique, mais le synode est un temps de réflexion et de discernement. Si nous attendons des réponses spectaculaires à ce sujet nous serons peut-être déçus. Beaucoup de catholiques attendent effectivement une réponse directe qui redonne espoir aux divorcés remariés comme s’il s’agissait d’une question purement académique. Ceci dit, l’Église est consciente qu’il y a beaucoup de souffrances parmi les divorcés remariés, d’autant que beaucoup d’entre eux sont engagés dans divers mouvements de l’Église. Il existe aujourd’hui d’autres formes de familles qui vivent des situations douloureuses qui interpellent l’Église — ceux vivant en union libre, la famille monoparentale, les mères célibataires, les enfants à la charge des grands-parents, les couples homosexuels, les couples sans enfants. Tout en tenant compte des situations réelles et douloureuses des divorcés remariés, il faut affirmer la position de Jésus sur l’indissolubilité du mariage ; en même temps, réaffirmer avec force les valeurs du mariage. D’autre part, l’enseignement de Jésus nous appelle à la miséricorde, à la tendresse, au pardon. Je souhaite que le synode puisse faire des propositions concrètes pour accompagner des personnes qui ont vécu un échec et qui souffrent de cela.
Vous parlerez au nom de la CEDOI à cette assemblée synodale. Y a-t-il des questions spécifiques que vous soulèverez dans votre intervention et les évêques de la région ont-ils des suggestions à faire ?
Le texte de mon intervention a été discuté lors de la dernière réunion de la CEDOI qui s’est tenue à La Réunion durant la dernière semaine du mois d’août. Il ressort clairement que pour beaucoup de personnes l’enseignement de l’Église sur la famille est perçu comme un ensemble de règles et d’interdits. L’Église doit se remettre en question dans sa manière d’annoncer l’Évangile. L’Église doit être « Mater & Magistra », c’est-à-dire « Mère et Enseignante ». Ce sera le fil conducteur de mon intervention. L’Église est une « mère » pour les catholiques et de par sa vocation de mère, elle doit rejoindre les familles là où elles sont en les accompagnant et en leur expliquant les fondements bibliques de la doctrine de l’église sur la famille. L’église aujourd’hui est « enseignante », mais cet enseignement est surtout basé sur le témoignage. Comme le disait si bien le pape Paul VI dans une de ses encycliques, « notre génération écoute plus volontiers les témoins que les maîtres, et s’ils écoutent les maîtres c’est parce qu’ils sont aussi des témoins ». L’urgence pour l’Église aujourd’hui c’est donc de témoigner que le Dieu révélé par Jésus Christ aime les familles gratuitement comme elles sont, en bonne santé ou malades, sans les juger, sans exclure quiconque. L’église, qui est constituée d’une multitude de familles, doit leur montrer d’abord cet amour par son témoignage de vie avant de leur enseigner la morale.
Une question concernant votre île adoptive : quel est votre constat de la famille rodriguaise ?
Il y a beaucoup de choses positives. Je suis heureux de voir que les familles sont de plus en plus conscientes de l’importance de l’éducation et font des efforts pour que leurs enfants aillent le plus loin possible dans leur parcours scolaire. Pour cette nouvelle année universitaire, il y a 200 jeunes Rodriguais qui ont commencé leurs études à l’Université de Maurice. C’est un signe d’espérance pour l’île et cela témoigne du dynamisme de la famille rodriguaise. Il y a aussi une partie de la population qui est en train de vivre une promotion sociale avec un niveau de vie plus élevé. Mais il y a aussi certaines préoccupations telles la pauvreté et le chômage que j’ai évoqués dans ma dernière lettre pastorale intitulée « Solidaires pour faire reculer la misère ». Il y a 7 000 familles qui vivent dans la misère et qui dépendent de la sécurité sociale. Il y a un besoin urgent de créer de l’emploi pour stabiliser les familles. Les parents viennent à Maurice pour trouver du travail et laissent les enfants à la garde des grands-parents, ou bien la maman élève seule les enfants. L’influence des nouvelles technologies et les difficultés des parents à exercer leur autorité sur leurs enfants sont de nouveaux soucis pour des familles.
Les Rodriguais célèbrent ces jours-ci l’anniversaire de l’autonomie de leur île ; comment l’Église que vous dirigez évolue-t-elle dans le cadre de cette autonomie?
L’Église à travers les forces vives, et particulièrement le Centre Carrefour, a joué un rôle actif dans l’avènement de l’autonomie et elle est très à l’aise dans ce cadre. C’est un combat à jamais terminé et l’Église, à travers ses services et ses organisations, continue à apporter sa contribution pour remplir la corbeille de l’autonomie. Pour moi Rodrigues est un comme un laboratoire humain où on découvre l’humanité sous toutes ses facettes.
Laisser un commentaire