Deux journées de forum, les 15 et 16 septembre derniers. Les organisateurs : le ministère de la Sécurité sociale, le Training and Employment of Disabled Persons Board (TEDPB) et l’ONG Global Rainbow Foundation. Le but de ce « Dis » Ability Business Forum : sensibiliser sur les capacités des personnes handicapées, notamment pour l’emploi. Yes, they can…
Selon la loi de 1996, modifiée en 2012 relative à l’emploi des personnes handicapées, tout employeur de 35 salariés doit embaucher des personnes en situation de handicap, mais aptes à travailler. Une loi… pas toujours respectée à Maurice. D’où l’organisation de ce forum où l’accent était mis sur les compétences des personnes handicapées pour sensibiliser les secteurs public, parapublic et privé à ce sujet. Plusieurs activités étaient au programme, notamment des ateliers animés par plusieurs intervenants pour parler de l’employabilité des handicapés. Entre autre points soulevés : le respect des droits de la personne, l’accès à la formation, l’accessibilité et le changement de mentalité.
Éducation et formation
« L’emploi, ce n’est pas un luxe, mais un droit fondamental. Et plus encore quand on est porteur d’un handicap, parce que le travail permet alors une autonomie sociale, affective et une appartenance citoyenne », a partagé Philippe Balin, de Cap Humanis (voir encadré). Par ailleurs, l’intégration des personnes handicapées commence par les employés dits « normaux ». Un changement de mentalité est ainsi primordial pour faciliter l’adaptation et faire valoir les droits des personnes handicapées dans monde du travail. Et c’est à tout un chacun d’y mettre du sien. Plusieurs facteurs doivent être pris en compte, notamment l’éducation et la formation des personnes handicapées car « il n’y a pas d’emploi sans éducation », a souligné Javed Abidi, président de Disabled People’s International et Honorary Director du
National Centre for Promotion of Employment for Disabled People (NCPEDP). Toute formation adéquate doit être une question de bon sens, selon notre interlocuteur. De plus, l’accessibilité est un autre point à prendre en considération. Les infrastructures des secteurs privé et public à Maurice, ne sont souvent pas adaptées aux personnes handicapées, non seulement pour celles à mobilité réduite, mais aussi pour les malentendants, les malvoyants, entre autres. L’accessibilité constitue ainsi un aspect déterminant pour l’embauche d’un handicapé. Mais on ne doit pas s’arrêter là, car même si la personne est embauchée, certaines lacunes demeurent, notamment en ce qui concerne l’encadrement
et l’accompagnement au quotidien. Car il faut bel et bien un encadrement sur le lieu de travail, et c’est la responsabilité de l’employeur d’y veiller afin que la personne handicapée puisse garder son travail. D’où la nécessité de la formation professionnelle : par exemple, des interprètes pour les sourds et malentendants.
Meilleur-vivre
Si la question de l’employabilité des handicapés a été abordée en long et en large lors de ce forum, Javed Abili a fait ressortir qu’il « faut prendre des décisions et faire en sorte que les actions soient prises pour l’insertion des personnes handicapées à l’île
Maurice, sinon ce forum n’aura pas lieu d’être », « On reconnaît une société développée à la façon dont elle traite ces personnes vulnérables », souligne pour sa part Philippe Balin.
Nadia Hilaire
Ce que dit la loi
Le TEDP Act (modifié) 2012 prévoit que :
Une organisation employant 35 salariés ou plus doit comprendre 3% de personnes handicapées dans ses effectifs.
Les employeurs devraient avoir leurs noms inscrits au Registre des employeurs tenu par le Conseil.
Un registre des personnes handicapées qui sont disposées et aptes au travail doit être conservé par le Conseil.
Un comité d’audition (article 13 (4)) doit s’assurer que les exigences en matière de quotas légaux soient remplies par les employeurs.
Une contribution à payer pour le non-respect de l’annexe 1 (article 13) de la partie II de la loi (modifiée) de 2012.
Une amende pour non-conformité avec les exigences légales de la loi modifiée de 2012.
« Cap Humanis » à la rescousse !
Depuis mars dernier, la Global Rainbow Foundation et Craft Aid Mauritius Co. Ltd ont lancé le projet d’Employ-Ability visant à former et permettre l’embauche de plus d’une centaine de personnes handicapées. Il s’agit là d’un programme financé par l’Union européenne, et qui s’étend jusqu’en février 2015. En ce sens, les deux instan-ces ont fait appel à l’expertise de Cap Humanis (société française spécialisée
dans l’accompagnement des établissements et services sociaux et médico-sociaux) pour aider une trentaine de personnes handicapées à s’insérer. Durant une semaine, les deux représentants de Cap Humanis étaient là pour donner une formation théorique mais aussi pratique qui consistait à faire le diagnostic des compétences d’une trentaine de sourds et malentendants, des séances de profiling (aider
à la rédaction de CV). Sans oublier du coaching (comment se présenter chez l’employeur, l’attitude à avoir, etc.) pour qu’ils puissent aller à des entretiens d’embauche. Cette démarche avait pour défi de pouvoir permettre à ces personnes de trouver un stage de six semaines dans un premier temps et même un emploi définitif jusqu’à la fin de la semaine.
Le TEDPB, c’est quoi ?
Le Training and Employment of Disabled Persons Board (TEDPB) est opérationnel depuis que la loi sur la formation et l’autonomisation des personnes handicapées (Training and Empowerment of Disabled Persons Act 1996) a été amendée en 2012. Ce conseil qui opère sous l’égide du ministère de la Sécurité sociale, de la Solidarité nationale et des Institutions réformatrices, facilite la formation et l’emploi des personnes handicapées. Ainsi, le Conseil doit tenir un registre des personnes handicapées capables de travailler et un registre des employeurs. Dans un esprit innovateur, c’est à travers une plateforme en ligne – qui regroupe à la fois les demandeurs d’emploi mais aussi les entreprises qui pourront publier les postes vacants où les personnes handicapées pourront postuler que ce lien est fait. Le TEDPB propose aussi de la formation, du counselling, de l’orientation professionnelle et des sessions de sensibilisation.
Lors du forum, le TEDPB a introduit le « video curriculum vitae », son nouveau projet pour les personnes handicapées qui cherchent un emploi. À travers ces video CV’s, les employeurs pourront se faire une idée de la motivation et des compétences de ces personnes. « Le but est de sensibiliser les employeurs afin qu’ils changent leur perception… Ne pas s’arrêter qu’à l’handicap, mais voir au-delà », a souligné Danielle Wong, présidente du conseil.
INITIATIVE – Une main tendue pour l’emploi
Le manque d’informations, de sensibilisation et d’expertise pour l’employabilité des handicapés empêche de nombreuses entreprises
à franchir le pas. La compagnie Pick’N’Eat (KFC) a fait le choix d’être différent.
Un panneau indique qu’on est dans un Special KFC, au restaurant KFC d’Ébène. Pour cause, voilà déjà plus de deux ans que la compagnie Pick’N’Eat (KFC) emploie des jeunes handicapés dans deux de ses restaurants : Ébène et Flacq. Une idée qui remonte à plus d’une vingtaine d’années, mais qui a pris forme depuis avril 2012, avec le restaurant d’Ébène. « À l’époque, c’est le KFC de Malaisie qui avait commencé avec l’embauche des sourds-muets. On a toujours dit qu’on ferait la même chose, mais il y avait des appréhensions », précise Junaid Muslun, directeur-général de l’entreprise. Mais une fois que la décision a été prise, l’entreprise a approché le ministère de la Sécurité sociale et la Society for the Welfare of Deaf pour savoir quoi faire. Une étude a alors été entreprise auprès de personnes sourdes-muettes ayant déjà travaillé pour leur permettre d’exprimer leurs expériences du monde du travail et les discriminations et les préjugés qu’elles ont rencontré.
Se sentir à l’aise
Ces personnes ont notamment parlé de la discrimination salariale, des moqueries des gens et de la surprotection des parents. « Nous avons pris tout cela en considération pour veiller au mieux à leur intégration », soutient le directeur général. Pour permettre aux jeunes sourds-muets de devenir autonomes financièrement et respecter leurs droits, la politique de la compagnie a été pour un Equal job, Equal pay. « Pour nous, ceci est primordial. S’ils font le même travail que les autres, il est évident qu’ils doivent avoir le même salaire. Nous voulons aussi qu’ils se sentent à l’aise sur leur lieu de travail », précise Junaid Muslun. Par ailleurs, pour faciliter l’intégration de ces personnes au sein de la compagnie, c’est d’abord la direction qui a suivi une formation en langage des signes. Ensuite, des sessions de formation et de sensibilisation auprès des employés ont eu lieu sur l’accueil, la communication et l’attitude à avoir pour une bonne cohabitation sur le lieu du travail.
Heureux de cette initiative
« Une formation a aussi été faite auprès des employés handicapés et de leurs parents. L’optique était de leur faire voir que les problèmes au travail existent, mais qu’il ne faut pas s’arrêter à cela », ajoute notre interlocuteur. Sur le plan pratique, les infrastructures du restaurant ont aussi été revues, notamment avec l’installation de gyrophares qui servent de moyen de communication pour personnes malentendantes ou de tableaux indicatifs en langage des signes pour la clientèle. Le directeur de la compagnie, de même que les
employés se disent heureux de cette initiative car grâce à leur travail, ces jeunes sont autonomes financièrement et surtout contents de pouvoir vivre normalement.
Nadia Hilaire
CÉDRIC MALIÉ
La vie au-delà du handicap !
Sa surdité a été détectée quand il n’était qu’un bébé. Une bombe pour sa famille qui n’arrivait pas à accepter cette situation. Mais le courage et la détermination de ces derniers dépasseront toutes les barrières. Le résultat : Cédric Malié, 25 ans, mène une vie normale.
« Zame nou ti panse ki li pa ti tande. Se an grandisan ki nou finn realiz-sa. Nou pa ti le kroir », partage Monique Malié, la mère de Cédric. La raison de cette surdité, un souci au tympan, selon son pédiatre. Mais loin de se laisser décourager par cette nouvelle, ses parents décident de tout mettre en œuvre pour que Cédric puisse entendre. Il suit ainsi plusieurs thérapies chez l’orthophoniste et subit même une opération à l’âge de deux ans. Il portera par la suite un appareil auditif.
Son opération l’aidera à mieux entendre, lui permettant également d’aller à la maternelle comme n’importe quel bambin.
Mais à l’école, problème… Vu la difficulté à communiquer avec ses amis, Cédric est renfermé, agressif envers les autres. D’où la décision de ses parents de le placer dans une école spécialisée. À l’époque toutefois, il n’y avait d’établissement de ce type, jusqu’à l’ouverture d’une école à Eau-Coulée.
Cédric suivra finalement toute sa scolarité primaire là-bas. « Quand il est retourné après sa première journée là-bas, il a dit : ‘Mama, tou zanfan parey’ », partage avec émotion sa mère. Pour elle, ces mots étaient porteurs d’espoir mais signifiaient aussi que son fils pourrait s’épanouir. Il poursuit ensuite sa scolarité secondaire dans une école vocationnelle où il apprend et développe une passion pour la mécanique. Cédric passe ses examens de mécanique haut la main.
Quelque temps après, à la recherche d’un emploi, il décroche un poste chez United Basalt Products Ltd où il intègre l’atelier de mécanique. Il est alors heureux de faire ce qu’il aime, mais petit bémol : l’adaptation. « Il lui a fallu beaucoup de temps.
La communication entre ses collègues et lui était difficile », explique Monique Malié. Ainsi, cette dernière a dû l’accompagner avec persévérance pendant toute une année pour agir en tant qu’interprète le temps que ses collègues et lui puissent développer une manière de communiquer. « On fait tout pour que nos enfants aient une bonne éducation et trouvent de l’emploi, mais la difficulté à communiquer empêche les sourds de s’insérer…
Il faudrait prendre des mesures », déplore Monique Malié. Aujourd’hui, après cinq dans le monde de l’emploi, Cédric est un jeune homme heureux et épanoui, malgré son handicap. « Avec mon métier, je me sens bien et indépendant. Je suis content d’avoir un emploi, car cela me permet de sortir avec mes amis et mener une vie sociale, comme tous jeunes de mon âge », partage t-il.
Nadia Hilaire
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