Le lundi 19 mai dernier, cela a fait 23 ans depuis que vous êtes évêque. Comment avez-vous passé cette journée ?
C’était une journée de lundi comme les autres, mais elle fut assaisonnée de beaucoup de vœux affectueux, d’expression de soutien amical qui m’ont réchauffé le cœur. Par exemple, lors de la rencontre de prière hebdomadaire avec le personnel de l’évêché pour débuter la journée, des membres du personnel ont récité une très belle prière de Louis Sintas pour leur évêque. Cela m’a beaucoup touché.Dans cette prière, il était dit par exemple, « il doit toujours bénir sans pour autant tout bénir. Il doit tout comprendre mais sans tout admettre ». Après la matinée à l’évêché, j’ai été à une rencontre à l’Institut Cardinal Jean Margéot et j’ai visité deux communautés religieuses. A chaque fois, j’ai été accueilli avec des souhaits chaleureux pour cet anniversaire. Ce soutien est toujours précieux et m’encourage beaucoup. Je sais qu’il existe toujours, mais c’est bon de l’entendre quand il s’exprime plus particulièrement lors d’un anniversaire.
Vous souvenez-vous de vos attentes, de vos rêves d’alors, en tant que jeune évêque ? En quoi ces attentes, ces rêves ont été conformes ou ont différents (si jamais) de la réalité ?
C’est vrai, lorsque j’ai été nommé évêque, j’ai nourri beaucoup de rêves pour l’Eglise que j’étais appelé à servir. Mais le rêve ne se réalise jamais tel qu’on l’avait imaginé. Il y a toujours quelque chose de nouveau qui surgit dans l’Eglise et qui nous surprend. Et je me suis rendu compte peu à peu que l’Eglise diocésaine, je ne la dirige pas, je la reçois plutôt comme un don. Et il me faut savoir l’accueillir avec gratitude. L’Eglise est vraiment comme une épouse : on découvre sa vraie valeur quand on l’accueille telle qu’elle est, et non pas telle qu’on l’a rêvée.
Le jour de mon ordination, je disais aussi que l’Eglise est comme un orchestre qui est appelé à jouer la musique de l’Evangile. L’évêque n’est pas un « homme orchestre », il n’est que le chef d’orchestre qui veille à ce que chaque instrument apporte sa note. Je peux avoir les rêves que je veux quand je deviens chef d’orchestre mais bien vite l’orchestre me rappelle qu’il a ses limites, et que c’est avec ses limites qu’il faut jouer la partition qui nous est donnée et à laquelle nous devons tous être fidèles ensemble : l’Evangile. Jouer ensemble la musique de l’Evangile, avec les instruments dont nous disposons, apporte beaucoup de bonheur. Je rends grâce pour tous ces musiciens de notre Eglise, les prêtres, les religieux (ses), les laïcs qui ont joué chacun fidèlement leur partition et qui ont permis à l’Evangile de résonner dans l’Ile Maurice d’aujourd’hui. Cela a permis à beaucoup de danser sur cette musique.
Vous avez, jusqu’en 1993, en tant que coadjuteur, dirigé l’Eglise en présence et aux cotes du cardinal Jean Margéot. Quelle est la différence dans la gestion de l’Eglise, avec et sans le cardinal ?
Un évêque coadjuteur ne dirige pas l’Eglise. Comme son nom l’indique, il apporte seulement tout son soutien et son aide à celui qui reste l’évêque titulaire du diocèse et qui en porte la responsabilité ultime. Il y a une différence énorme qui apparait lorsque le moment arrive pour l’ancien évêque de se retirer et qu’ainsi l’évêque coadjuteur devient l’évêque titulaire et doit assumer la charge épiscopale toute entière. En restant aux côtés du Cardinal pendant un peu moins de deux ans, cela m’a permis de beaucoup apprendre de son expérience au fil des évènements.
En 1997, vous convoquiez un synode diocésain. Plus de quinze ans après cette démarche, quel bilan en faites vous ?
Plus de quinze ans après le synode, je me rends compte de l’importance de libérer la parole dans une Eglise. Le synode, ce n’est pas seulement les orientations qui en sortent, c’est aussi tout le chemin de dialogue, de réflexion, de discernement que nous avons fait ensemble. Cette expérience commune marque beaucoup l’Eglise, dans sa manière de vivre après le synode. Quant aux orientations que le synode nous a données, il a fallu chercher les moyens de les accueillir le mieux possible.
Par exemple, l’orientation sur l’option préférentielle pour les pauvres a poussé Caritas à mettre sur pied des Services d’Ecoute Et de Développement (SEED) dans les paroisses, afin d’associer davantage les communautés paroissiales dans l’exercice concret de la charité, dans le sens non pas seulement de donner une aumône aux pauvres, mais de faire connaissance avec les pauvres, devenir leur ami et les accompagner dans leur marche vers un développement plus humain. Il y a eu aussi d’autres projets précis comme le fonds logement, la formation « life skill management ». De plus, l’option préférentielle pour les pauvres a beaucoup influencé la réforme de l’éducation catholique avec la révision des critères d’admission dans nos collèges pour inclure un certain nombre d’élèves académiquement faibles ou moyens. C’est aussi l’option préférentielle pour les pauvres qui a inspiré la création des 5 nouveaux collèges catholiques dans les endroits défavorisés.
Ou encore l’orientation du synode sur la coresponsabilité dans l’Eglise a poussé à la création des équipes d’animation pastorale (EAP) dans toutes les paroisses. Et puis surtout, la grande insistance du synode sur la formation chrétienne des laïcs a abouti finalement à la création de l’Institut Cardinal Jean Margéot.
Mais, peut-être le plus grand fruit du synode reste le projet Kleopas. C’est un fruit qui a pris du temps pour arriver à maturité mais c’est le synode qui nous a secoué sur l’importance de remettre clairement au centre de toute la vie et de l’action de l’Eglise l’annonce de Jésus Christ comme « sauveur du monde », et la transmission de la foi. Avec le projet Kleopas, nous cherchons ensemble à rassembler les meilleures conditions d’une telle annonce et d’une telle transmission dans les circonstances concrètes de l’Ile Maurice d’aujourd’hui.
En plusieurs circonstances, vous avez eu à prendre position publiquement. On se souvient de votre visite au bâtiment du trésor en 2006 dans le cadre de la reforme Gokhool. Plus récemment de votre prise de position par rapport à la reforme électorale. Quels sont les facteurs qui peuvent pousser un évêque à aller ainsi au devant de la scène ?
Ce n’est pas pour prendre le devant de la scène que l’évêque choisit de s’exprimer sur des sujets d’actualité. C’est plutôt parce qu’il y a en jeu des valeurs humaines essentielles pour le développement harmonieux d’une société qu’il est amené à prendre position. En ce faisant, l’évêque ne défend pas sa religion ou son Eglise, il cherche plutôt à servir le bien commun de toute la société. Par exemple, une société se développe non seulement en rehaussant le niveau de vie des citoyens et en leur permettant de consommer davantage. Elle doit aussi veiller à ce que les valeurs qui nous font grandir humainement soient respectées. Ainsi, il est important d’accorder une attention spéciale aux besoins des plus pauvres dans l’éducation et de ne pas se contenter d’un système élitiste qui engendre une compétition féroce où les plus faibles sont laissés sur la touche. Ou encore si notre société veut concrètement respecter la dignité humaine de chaque citoyen, il est urgent de militer pour que l’Etat mette en place les moyens – surtout un crédit accessible aux petites bourses – pour que chaque famille puisse accéder au logement décent auquel elle a droit.
Revenons à l’Eglise. L’âge officiel pour le départ à la retraite de l’évêque est de 75 ans. Vous aurez bientôt 73 ans et je présume que vous devez songer à cette retraite (non dans le sens où on souhaite son départ, mais en tant qu’étape de la vie, de préparation en amont)? Y a-t-il déjà des consultations en cours pour trouver celui qui éventuellement vous succèdera ? Dites-nous davantage sur cette démarche…
L’âge de la retraite arrive bientôt pour moi, c’est vrai. Et je ne peux pas ne pas y songer, quand j’ai le temps, ce qui est rare. Il y a, dans l’Eglise, une règle très libérante qui prévoit que l’évêque doit soumettre au Pape sa démission quand il arrive à l’âge de 75 ans. C’est le pape qui décide alors s’il doit demander à l’évêque de rester en responsabilité encore quelque temps ou s’il lui permet de partir à la retraite dès ses 75 ans. C’est à travers le Nonce que je transmettrai au Pape cette lettre de démission en temps raisonnable avant mes 75 ans. Le Nonce est alors chargé par le Pape de me transmettre sa décision et d’enclencher les consultations nécessaires en vue de la nomination de mon successeur.
En 1997, quelques années après votre ordination épiscopale, il y a eu le synode. Aujourd’hui l’Eglise est en plein dans le projet Kleopas. Kleopas, c’est un peu un héritage que vous comptez laisser à l’Eglise et à votre successeur, si jamais vous la retraite se concrétise dans quelque deux ans ?
Comme je l’ai dit plus haut, Kleopas est le fruit principal de notre synode. Même si le projet a été initié durant mon épiscopat, c’est le projet de tout le diocèse. Avec Kleopas, le plus grand nombre possible de personnes est consulté pour chercher les meilleurs moyens et réunir les meilleures conditions d’une annonce qui réponde à l’immense soif spirituelle que nous constatons chez nos contemporains. A la manière de St Paul, on pourrait dire « moi j’ai planté, d’autres arroseront et c’est Dieu qui donne la croissance ».
Ce sera bientôt la marche pour les vocations. Le Séminaire Interdiocésain a fermé ses portes. La relève se fait languir au sein de plusieurs congrégations religieuses. Quel message avez-vous pour la communauté qui peut-être ne sait plus trop quel est aujourd’hui le sens de la marche pour les vocations ?
C’est vrai que depuis quelque temps, les vocations se font plus rares, pour le sacerdoce comme pour la vie religieuse. Le Seigneur veut certainement nous dire quelque chose à travers ce manque. Je crois que nous devons être très attentifs et chercher vraiment à entendre la Parole qu’il veut nous adresser. Il y a au moins une chose qu’il ne faut jamais oublier : c’est que les vocations sont d’abord les fruits d’une vie de foi vécue en famille, en Eglise. Or, je constate depuis quelque temps que grâce à plusieurs initiatives missionnaires de l’Eglise, beaucoup de fidèles retrouvent aujourd’hui le bonheur de croire en Jésus-Christ. Des familles reprennent l’habitude de prier ensemble : dans leur vie courante elles sont attachées à certaines valeurs même si celles-ci vont à contre-courant de la société de consommation.
C’est vrai que par ailleurs, il y a encore beaucoup de souffrances, beaucoup de problèmes. Mais je constate aussi qu’il y a de plus en plus d’hommes et de femmes qui n’hésitent pas à aller vers ceux qui sont dans la peine et restent souvent très isolés, pour les écouter, les accompagner et chercher ensemble des chemins de lumière. Ces signes de renouveau dans la vie de foi et dans la mission concrète, me donnent confiance. Car cette vie chrétienne renouvelée constitue le terreau dans lequel pourront germer les fruits de belles vocations religieuses et sacerdotales.
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