Solidaires pour faire reculer la misère
1.) » Celui qui n’aime pas son frère qu’il voit, ne peut pas aimer Dieu qu’il ne voit pas. » 1 lettre de Saint Jean 4 vs 20.
1.a) Dieu est tellement solidaire des pauvres qu’accueillir ‘Lazare’ ( Luc 16 vs 19-31) c’est comme accueillir Dieu en personne. Et accueillir Dieu, c’est ouvrir son cœur à ceux qui sont pour ainsi dire les ‘préférés’ de Dieu , c’est-à – dire les plus pauvres. Dieu est proche de chaque personne humaine un peu à la manière d’une maman qui est tellement proche de son enfant, qu’elle souffre dans sa chair lorsque son enfant, même adulte, souffre et qu’elle est fière et dans la joie lorsque son enfant est reconnu, valorisé. Dieu n’a t-il pas un coeur de maman? Un prêtre , alors qu’ il rendait visite à une vieille dame lui dit en entrant chez elle : ‘matante Eleonore qui nouvelle?’ et elle se mît à donner des nouvelles de ses 7 enfants! Tellement décentrée d’elle -même , que donner des nouvelles de ses enfants était pour Eléonore donner de ses propres nouvelles! Dans le livre de Ben Sirac le Sage au chapitre 35, la Bible nous dit que »les larmes de la veuve descendent sur la joue de Dieu! » Quelle belle image pour nous faire comprendre que Dieu est comme une maman qui se penche avec tendresse sur nos misères. En commentant ce texte, la bibliste Marie Noëlle Thabut dit : »pour que nos larmes coulent sur les joues d’un autre, il faut que cet autre soit particulièrement proche, tout contre nous même! » ( tome 6 p 391) Oui, nous dit toute la Bible, Dieu est particulièrement proche de ceux qui souffrent et qui pleurent au sein de notre société. »Le Seigneur ne défavorise pas le pauvre, Il écoute la prière de l’opprimé. » nous dit encore le livre de Ben Sirac au chapitre 35 vs13.
1.b) Durant ces deux dernières années, au sein du Vicariat Apostolique de Rodrigues, nous nous sommes mis à l’écoute de notre Seigneur pour être plus particulièrement attentifs à son appel et à ses appels. Au terme d’un discernement en Église, en étant attentifs aux signes des temps, nous avons entendu cet appel insistant de Jésus : ‘ soyez à l’écoute des plus pauvres, soyez solidaires des plus pauvres de mes frères et soeurs au sein de la société rodriguaise ‘. La cause des frères et sœurs vivant dans une grande pauvreté est la cause même de Jesus , lui qui nous dit : ‘ En vérité, je vous le déclare, chaque fois que vous l’avez fait à l’un de ces plus petits qui sont mes frères , c’est à moi que vous l’avez fait.’ Matthieu 25, 40. Nous entendons également cet appel du Seigneur en direction des pauvres à travers les enseignements du pape François et surtout par toute sa manière de vivre son ministère comme successeur de l’apôtre Pierre.
1.c) Une société ne peut vivre dans la paix, en harmonie, si une partie de ses enfants en est exclue et n’a pas accès au bien commun. Nous ne pouvons pas être heureux si à notre porte, des personnes humaines, nos frères et soeurs souffrent et sont rejetés.
2.’ Heureux vous les pauvres, le Royaume de Dieu est à vous.’ Luc 5 vs 20
2.a )Comment comprendre ces paroles de Jésus? Ne sont-elles pas en contradiction avec Dieu qui , nous dit la Bible , entend les cris de son peuple en esclavage et qui vient le libérer de la domination de Pharaon ? Livre de l’ Exode au chapitre 3.
2. b ) Une mauvaise interprétation de ces paroles- heureux les pauvres- serait de penser que Jésus veut nous dire que les pauvres doivent se soumettre et accepter ‘leur sort »car, dans le ciel , ils seront récompensés et qu’ils seront donc heureux ; bienheureux, dans le futur! Une autre manière de contourner cet enseignement qui nous dérange serait de penser que Jésus désigne par là ceux qui sont pauvres de cœur et non pas les pauvres matériellement ! Or pour l’Évangile il s’agit bien des pauvres. Alors, est-ce une invitation de la part de Jesus à accepter ‘notre destin’ qui nous aurait fait naître pauvre ou riche ? »mo fine né pauvre, mo pou mort pauvre. … Quite fois sa fine marqué pour moi ! » Que veut donc réellement nous dire Jésus ?
2.c)’ Caritas – Rodrigues’ dans les sessions de formation et dans sa pratique quotidienne nous invite à faire la différence fondamentale entre misère et pauvreté. En effet, la misère ou la grande pauvreté nous prive de ce qui est essentiel pour vivre dignement : le logement, la nourriture, les vêtements, l’accès à l’électricité et à l’eau potable, la possibilité d’assurer l’instruction des enfants et l’accès à la culture, par exemple au moyen de la T.V , et avoir des revenus financiers décents . Être privé de ces biens essentiels n’est pas acceptable car il s’agit bien d’une atteinte aux droits fondamentaux de toute personne humaine. C’est la raison pour laquelle Jésus, à la suite des prophètes comme Jérémie, Amos, nous invite à mobiliser toute notre intelligence, notre créativité et notre générosité pour faire reculer la misère. La misère est une souffrance pour ceux qui la subissent et une honte pour l’ensemble de la société car cela est révélateur d’une société qui laisse une partie de ses concitoyens sur le bord de la route du développement. Jésus ne dit donc pas « heureux ceux qui sont ‘misère ‘, ceux qui vivent dans la grande pauvreté ! »
2.d) Au sein d’une société où le bonheur est mesuré et identifié souvent au seul indice du PIB et qui pousse continuellement à la consommation par un matraquage de la publicité, ne nous faut- il pas réentendre ,avec des oreilles neuves , cet enseignement de Jésus: »heureux les pauvres » ?
La réflexion de ce philosophe me semble très pertinente: » il va de soi qu’il faut lutter contre la misère. Mais faut-il absolument lutter contre la pauvreté ? Car si la misère prive du nécessaire, la pauvreté prive surtout du superflu, et il y a beaucoup mieux , dès lors , que de lutter contre elle , c’est de l’épouser. » ( Panorama juin 2013. Fabrice Hadjadj.) En d’autres termes, ne sommes -nous pas invités à la sobriété dans notre manière de consommer, même si nous avons des moyens financiers ? Est ce que nous ne nous laissons pas enchainer par une idéologie du toujours plus: ‘heureux seras -tu toi qui consommes toujours plus! Bienheureux seras-tu si tu t’achètes un portable ‘touch- screen’ ! »Jésus lui parle au présent et à contre courant : »heureux les pauvres, le Royaume de Dieu est à eux . »
2.e)La société de consommation nous permet certes d’accéder à un certain confort et c’est là le résultat d’une longue lutte de l’humanité. Par notre créativité et nos inventions , nous sommes devenus moins dépendants des caprices du temps ou autres forces de la nature et ainsi nous nous sommes libérés de nombreuses contraintes . Ce bien -être est un progrès pour l’humanité et nous rend plus libres pour vivre au quotidien, en étant ,par exemple , moins écrasés par le poids du travail ( pensons à la libération que nous apporte l’invention des machines) , en ayant moins peur de la nuit grâce à l’invention de la lumière électrique , en ayant accès à la connaissance ( pensons aux bienfaits de la radio et de la T V) , en nous permettant de moins souffrir et de vivre plus longuement. ( pensons au progrès extraordinaire de la médecine ) Nous aurions tort, et nous ferions preuve d’une mémoire historique bien sélective, En dénigrant un peu trop vite et d’une manière simpliste, les bénéfices de la modernité et de tous les progrès technologiques qui facilitent notre vie !
2.f) Par contre, en nous disant ‘heureux les pauvres le Royaume de Dieu est a eux’ , n’est – ce pas une invitation de Jésus à nous recentrer sur l’essentiel et ainsi à nous libérer de l’idolâtrie de la consommation à outrance, ( gourmand bagage quite a s’endetter jusqu’au cou) de la course à l’avoir, avoir toujours plus, à n’importe quel prix , et ainsi ‘faire pariage avec les autres’, ‘vive pour lizié dimounes.’?
La Vierge Marie est l’exemple même de celle qui est bienheureuse car son bonheur repose non sur des richesses mais en sa confiance dans le Seigneur, ( Luc 1 vs 45-56) le seul qui puisse combler notre soif la plus profonde, la soif d’être heureux. Cette pauvre de Yahvé nous indique tout un art de vivre. Mettons nous à l’école de la Vierge Marie et ,comme elle nous y invite dans l’évangile de Saint Jean , ‘ faisons tout ce que Jésus nous dit’. C.f Jean 2 vs 5.
3) La misère est inacceptable et tout chrétien doit tout faire pour la combattre et la faire reculer. Nous devons alors nous poser cette question : même si beaucoup à été entrepris par les Gouvernements successifs, par le RCSS ,d’autres ONG et par l’Eglise, quelles sont les causes de la misère ou de la grande pauvreté qui perdure dans notre société rodriguaise ?
3.a ) Les causes sont multiples. Je voudrais en citer certaines mais il serait important que l’ensemble de la société-les responsables politiques , les comités de village et les mouvements, les syndicats et les travailleurs sociaux, les clubs de jeunesse et autres associations- se donnent les moyens afin de continuer à creuser davantage cette question.
3.b) Une cause majeure de la misère est bien évidemment liée au fait que des adultes n’ont pas un emploi stable ou des revenus fixes( réguliers) . Les personnes ainsi exclues du monde du travail souffrent matériellement ,n’ayant pas un salaire régulier , mais elles souffrent aussi socialement. Les chômeurs se sentent dévalorisés et très souvent développent le sentiment de n’être pas utiles à la société. L’expérience montre que même parmi ceux qui ont entrepris des études tertiaires, nombreux sont ceux qui n’ont pas les capacités à devenir des entrepreneurs ; d’où l’urgence de créer , aussi bien au niveau du gouvernement que du privé , des emplois stables et durables. Pour cela, il est urgent d’ouvrir de nouveaux grands chantiers mais aussi de donner les facilités nécessaires en termes de financement, d’accompagnement et de formation aux entrepreneurs pour la création d’emplois durables.Trop souvent des tracasseries et des lenteurs administratives freinent les initiatives qui pourraient créer des emplois. Nous en connaissons tous malheureusement des exemples! Les fonctionnaires, ceux qui ont le privilège d’un emploi stable et d’un salaire mensuel , devraient s’interroger: ‘ est – ce que par ma conscience professionnelle je facilite le développement économique de l’île Rodrigues et je permets ainsi à des familles de sortir de la misère ? Ces lenteurs ne sont pas non plus uniquement liées à des personnes mais également à des procédures administratives. Après 12 ans d’autonomie, n’est – ce pas également le moment d’évaluer le type de fonctionnement qui existe entre l’Administration Centrale et celle de l’île Rodrigues Autonome ? Par ailleurs, est-ce que l’enveloppe budgétaire des projets de développement est suffisante pour freiner l’exode vers Maurice et ainsi éviter que de trop nombreuses familles rodriguaises vivent dans des conditions indignes ? Un manque de rigueur et de suivi de la part des entrepreneurs freinent également le développement des petites et moyennes entreprises à Rodrigues. Dans le privé aussi bien que dans la fonction publique, tous , nous devrions nous poser cette question: avons- nous le goût du travail bien fait ?
3.c) Le salaire dérisoire de certains employés est également une des causes de la misère. Deux exemples parmi d’autres : Une jeune femme travaillant 6 jours la semaine touche un salaire de Rs 2,000 par mois, transport compris ! De même, un ‘enflé camion’ reçoit une partie de sa paye de la semaine en liquide, c’est à dire avec une bouteille de rhum! Combien d’employés de maison , ou même de certains hôtels ou auberges, s’entendent dire » sa même l’argent mo enan pou donne ou, mo enan beaucoup depenses ! » et ce genre d’arguments justifie l’exploitation des employés et de plus, la paye s’effectue régulièrement de longs jours après la fin de chaque mois. Le manque de justice sociale est une des causes profondes de la misère.
3.d) Comme cela a été souvent souligné , notre système éducatif ne prépare pas de très nombreux jeunes au monde du travail. La course aux a + désavantage ceux qui ont d’autres formes d’intelligence et d’autres rythmes de développement intellectuel mais aussi les élèves qui ne bénéficient pas d’un bon encadrement et vivent dans un environnement qui ne favorise pas les études. Il s’agit, dans le contexte rodriguais, d’un système qui est nettement à l’avantage des enfants de certaines catégories sociales. Les enfants des familles les plus pauvres, heureusement qu’il y a des exceptions, ne parviennent pas à acquérir les formations nécessaires pour sortir de la spirale de la misère. Le système dévalorise les filières techniques qui sont réservées ,de fait ,aux jeunes moins doués academiquement ou carrément en échec scolaire. Or, la formation et l’apprentissage des métiers sont parmi les clés de la solution pour favoriser un développement durable.
3.e) le contexte environnemental en est aussi une cause importante de cette situation de précarité d’une partie de la population. En effet, de mauvaises conditions de logement comme par exemple cette famille de dix personnes vivant dans 2 chambres, des histoires familiales difficiles, des fléaux tels l’alcoolisme, la drogue, le jeu etc, le manque de discipline et d’effort ainsi que la difficulté d’établir des priorités ( faire pariage) dans certaines familles , ‘la vie vagabond ‘ , sont autant de facteurs expliquant les situations de grande pauvreté et la difficulté de s’en sortir. Les acteurs engagés dans le social constatent par ailleurs une ‘féminisation’ de la grande pauvreté. Les familles monoparentales , dans la très grande majorité des cas sous la responsabilité des femmes, ainsi que les jeunes ‘filles – mères’ ( les adolescentes) , sont parmi les groupes les plus vulnérables et vivent souvent dans des situations de grande détresse. Par ailleurs, même si les lois ont évolué , au moment du décès des parents, l’héritage est souvent discriminatoire envers les femmes.
3.f) Paradoxalement il est important aussi de souligner que de nombreuses familles de fonctionnaires, de professeurs et d’autres ayant des salaires ‘corrects ‘ vivent dans la ‘misère’ malgré les apparences. La cause principale étant le sur-endettement à cause des emprunts inconsidérés , le jeu dans le nouveau ‘temple’ nommé casino et chez les’ book- makers’! Nombreuses sont les personnes qui doivent rembourser plus de 80% de leur salaire aux banques et autres institutions financières. Une masse d’argent importante du budget de fonctionnement ne fait ainsi que transiter à Rodrigues avant d’être siphonné’ par ces institutions et retourner ainsi vers l’île Maurice. Il s’agit d’un manque à gagner considérable pour l’économie rodriguaise .
3.g) Au delà des analyses socio- économiques, voire politiques, nous devons poursuivre notre recherche : n’y a t- il pas d’autres causes ,comme par exemple des causes morales à l’origine de ce grand drame qui exclue ou qui pousse des personnes aux frontières de notre société rodriguaise ?
Ces exclusions en effet, se sont-elles pas autant d’indices démontrant que notre société est rongée par une forme d’indifférence, de fatalisme ( dans toute société il y a des pauvres!) ou pour le dire plus clairement par l’égoïsme ! Notre manière de regarder (avec condescendance ou avec beaucoup d’apriori , voire de jugement ) et de parler des plus pauvres ( zot ban paresse ! Zot soi disant misère mais zot gagne TV) sont autant de facteurs qui ne les encouragent pas à essayer de sortir de leur situation. Si certains sont du côté des pauvres, beaucoup s’en lavent les mains, voire les tirent vers le bas par ‘gros coeur’, jalousie , ou tout simplement par méchanceté car ils ne veulent pas les voir progresser ou encore, plus cyniquement , parce qu’ils ont intérêt à ce qu’ils restent dans la misère ! Même à Rodrigues, nous constatons une baisse de solidarité communautaire et le développement d’une mentalité ‘chaquene so chaquene’ c’est à dire ,’mon intérêt personnel et celui de ma petite famille’ avant tout. Or, la solidarité est un pilier fondamental pour le développement harmonieux de toute société.
3.h) Si nous creusons encore plus profondément nous découvrons que la racine de tout ce désordre est le péché. Comme le souligne le livre de la Genèse, les personnes humaines s’étant coupées de la source de l’Amour , c’est à dire de Dieu, se retrouvent avec un cœur ‘sec’ et cela a des implications considérables, tant sur le plan personnel que social. Genèse chapitre 3 – 8. Le pape Jean Paul 11 a même parlé des structures de péché.( catéchisme de l’Eglise Catholique nô 1869) Le péché a donc des effets contagieux qui produisent de nombreuses situations d’injustice .Saint Paul dans l’épître aux Romains souligne également cette réalité : » tous , Juifs comme Grecs, sont sous l’empire du péché. » Romains 3 vs 9 C’est bien le péché, en toute dernière analyse , qui contamine notre société. Il s’agit d’un déferlement du mal dont la misère est un des symptômes les plus visibles
Particulièrement en ce temps de carême, nous pouvons nous interroger : quelle est notre part de responsabilité par rapport à la misère ?
4) Quelles sont les Conséquences de la misère ?
D’une part, les personnes vivant dans la misère se sentent, et à juste titre , rejetées , souvent dévalorisées car non reconnues par la société. La misère engendre la misère et ainsi les personnes impliquées sont prises comme dans un tourbillon dont elles ont toutes les peines du monde à sortir. Cette exclusion économique entraîne donc une exclusion sociale qui engendre des violences au sein des familles, entre voisins mais a aussi des conséquences sur l’ensemble de la société. Parfois même elles vivent cette situation comme une malédiction et donc se sentent rejetées par Dieu .
D’autre part, les ressources humaines étant la principale richesse d’un pays , exclure des hommes et des femmes, des jeunes et des enfants, du développement , c’est appauvrir l’ensemble du pays. Par ailleurs, il n’y a pas de paix durable au sein d’une société sans justice sociale .
Plus fondamentalement , ces situations de grande pauvreté sont une atteinte au droit de l’homme et, pour nous chrétiens , une atteinte à ce commandement suprême donné par Jesus et qui résume toute la Loi et les prophètes : » l’amour de Dieu et l’amour du frère qui en réalité ne font qu’un ! »
5. Comment sortir de cette spirale de la misère ?
5.a ) Il n’y a pas de réponses simples à cette question qui, comme nous l’avons analysée , est complexe. Cela dit, la misère n’est pas une fatalité , encore moins une malédiction liée à un soi disant destin. Il s’agit donc d’une situation qui peut être renversée. Le successeur de l’apôtre Pierre, le pape Jean Paul II lors de sa visite à Rodrigues a relayé l’appel de Jésus Sauveur en nous disant : »Rodriguais déboute lors to deux lipiés’ , c’est à dire, ne reste pas dans l’assistanat , brise les chaînes de la misère et prends ta vie en main. Laissons -nous conduire par Jésus notre libérateur et ayons l’audace de relever ce grand défi afin de faire reculer la misère dans notre île Rodrigues autonome.
5.b) Comme je l’ai souligné au point 3. b il y a une urgence de créer des emplois stables afin de stabiliser les familles qui désirent vivre à l’île Rodrigues et ainsi freiner l’exode, source d’autres souffrances et souvent de plus grande misère . Cela relève de la responsabilité des autorités gouvernementales mais également de tous ceux qui ont des revenus fixes et un emploi stable . Nous avons tous le devoir moral de tout faire pour créer des emplois. Dans ce sens j’encourage les jeunes professionnels de la JOC à poursuivre leur réflexion et à la concrétiser par des actions , eux qui ont eu l’opportunité et la chance de poursuivre des études universitaires ou d’autres formations professionnelles, afin d’être solidaires des jeunes à la recherche d’un emploi . Il nous faut féliciter et encourager des jeunes tel »Aurelio André, détenteur d’une maîtrise en chimie, responsable du département de chimie au collège de Maréchal, et qui s’est lancé dans un projet agricole et emploie aujourd’hui 4 ouvriers, dont deux à temps partiel….et compte se lancer dans la production de melons d’eau à grande échelle pour l’exportation vers l’île Maurice. ( express Rodrigues 24 octobre 2013)
5.c) Bien évidemment ‘ ene ti la charité ‘ ne suffit pas à faire reculer la misère, sauf à nous donner bonne conscience ! Ce qui n’exclut nullement que nous soyons appelés à la générosité, à l’entraide, pour soutenir des personnes vivant de grandes difficultés.C’est pourquoi Caritas Rodrigues, dès sa fondation en 1977 à Rodrigues à été animé par la philosophie suivante: favoriser des petits projets pour que le pauvre ne vive pas de l’assistanat mais puisse se prendre en main. Il y a eu ainsi au cours de ces années des projets ‘bassin’ pour l’agriculture , des aides pour commencer des projets d’élevage ou d’autres métiers comme la ferblanterie, la cordonnerie , ou pour relancer des projets comme la réparation des pirogues. Caritas œuvre également pour la réussite scolaire des enfants vivant dans les familles défavorisées grâce au projet ‘d’accompagnement scolaire’ ,en collaboration avec le Centre Carrefour , la RC E A et le Gouvernement Régional, et aussi par l’aide alimentaire à quelques 507 élèves du primaire et du secondaire.
De plus en plus , Caritas Rodrigues est consciente que la réussite de ces projets nécessite un suivi. Une formation initiale est importante mais insuffisante. Il est essentiel qu’il y ait un accompagnement personnalisé pour la persévérance dans le projet, pour la rigueur et une bonne gestion, mais aussi pour valoriser les efforts entrepris. Plus important encore, l’expérience révèle qu’il est primordial de partir de l’aspiration des personnes pauvres, de ce qu’elles souhaitent entreprendre, de discerner certes avec elles de la viabilité du projet mais de ne pas imposer de l’extérieur un projet. Exporter des projets préfabriqués, pensés par des ‘experts’ , est trop souvent la tentation des organisations extérieures qui ont de grands moyens financiers pour imposer leur point de vue. Or, il s’agit, si nous voulons la réussite d’un projet,et l’expérience du terrain le confirme chaque jour, de faire avec et non pas faire pour ! Mettre en œuvre le principe de subsidiarité ( c.f lettre pastorale 2011) est primordial afin que les plus pauvres puissent se prendre en charge et assumer leurs responsabilités. Dans ce sens ne serait-il pas important d’entreprendre une étude pour localiser les villages et les familles les plus vulnérables; essayer d’en comprendre les raisons culturelles pour élaborer avec les plus pauvres les projets appropriés. Par exemple , les bénéficiaires des maisons de la NEF ont ils été consultés avant de leur proposer un plan pour la construction de leur maison et ceci en tannant compte du contexte et de la manière de vivre à Rodrigues?
5.d) Nous vivons dans un ‘welfare- state ‘et dans bien des domaines l’Etat , à travers les politiques sociales du Gouvernement Central et Régional, se préoccupe des personnes et des familles vivant dans la grande pauvreté pour les aider à s’en sortir ainsi que de toutes les familles au sein de la République. (À ce jour, d’après les dernières statistiques disponibles en 2013 , 2489 familles , donc plus de 7,000 personnes a l’ile Rodrigues dépendent de l’aide sociale pour vivre.) Nous pouvons citer certains exemples parmi bien d’autres: l’éducation gratuite, de l’école maternelle au tertiaire, le transport gratuit pour les étudiants, les soins médicaux gratuits, les programmes de logement à travers le NE F et l’aide de Rs 8, 000 du Gouvernement Régional pour les familles les plus pauvres afin qu’elles puissent construire leur maison, différentes pensions pour les handicapés et les familles vivant dans les situations de grande détresse,des programmes de formation pour ’empower ‘ les personnes vulnérables, le CS R ( Corporate Social Responsibility ) qui donne à des ONG bien davantage de moyens financiers.
Pourtant, malgré les moyens mis en oeuvre, les résultats sont souvent ‘décevants’ concernant les plus pauvres de notre société et c’est pourquoi il est légitime de s’interroger par rapport à certaines pratiques qui semblent freiner les familles les plus vulnérables.
Prenons un premier exemple. Des personnes bénéficiant d’une aide sociale et qui font des efforts pour démarrer une activité économique se voient retirer l’aide. Ne faudrait- il pas plutôt aider davantage celles qui font des efforts pour pouvoir, dans l’avenir ,devenir autonomes économiquement?
Le » Regroupement Femmes du Centre Carrefour » attire régulièrement notre attention et celle des autorités sur les points suivants:
» – Dans Sécurité Sociale l’accueil fine amelioré mais enan encore continué mal accueilli dimoune. Manière causé parfois blessant. Parfois aussi pose ban questions bien embarrassantes. Banne dimoune Ki vine Sécurité Sociale , cé déjà bane dimoune blessé de par zot réalités de vie.
-l’aide sociale coupé sans préavis. Avant coupe ene pension , li tia important mette dimoune au courant. Beaucoup dimoune ine gagne choc kan ine arrive jour pou gagne la paye aide Sociale ek zot découvert qui zot l’aide fine coupé.
– dès qu’une femme a un compagnon, ( dimoune ale raconte causé Securite sociale ) l’aide sociale li enlevé même si compagnon la penan les moyens financiers pour subvenir aux besoins de la femme et des enfants.
– délai trop longue entre board ek résultat . Parfois dimounes concernés reste sans l’aide trois mois ou plus.
– Ban parents besoin parfois attan longtemps au début de chaque nouvelle année pou zot zenfants gagne l’aide financier qui pou permette zenfants suive zot scolarité plus ou moins normalement.
– manque suivi banne bénéficiaires sécurité sociale en terme de formation, d’accompagnement etc… »
5.e) Parfois il y a un vrai ‘show’ – musique, présence des personnalités, radio et Tv- à l’occasion de la distribution des aides dispensées aux familles les plus vulnérables comme par exemple à l’occasion de la remise de matériels scolaires. Est-ce qu’une telle manière de faire ne stigmatise pas davantage les personnes concernées ? Cela étant déjà assez humiliant de devoir dépendre des autres pour pouvoir faire grandir ses enfants , ne sommes nous pas , particulièrement dans ces occasions, invités à la plus grande discrétion par respect pour ces blessés de la vie ? Jésus ne nous a-t-il pas invités à ce que notre main gauche ignore ce que donne notre main droite! La gratuité est une autre valeur importante de toute société que nous sommes appelés à cultiver.
5.f) Dans les villages, les paroisses et mouvements, nous devons encourager les plus pauvres à participer aux formations dispensées par le Gouvernement Régional et les ONG , ainsi qu’à se joindre à des ‘crédit unions’ et autres associations comme ‘lève diboute’ , à se regrouper au sein des coopératives, afin de développer une culture de l’épargne, de l’initiative et avoir accès à des fonds qui permettent un progrès économique. C’est bien dans la mesure où nous nous rassemblons , partageons nos idées , développons des savoir- faire et mettons en commun nos capacités que nous pourrons , ensemble , progresser et ainsi prendre un nouveau départ.
5.g) Pour sortir de la spirale de la misère, il faut certes des changements structurels- meilleures conditions de logement, des formations qui tiennent compte de la réalité rodriguaise , une amélioration de l’environnement, une activité économique permettant d’avoir des revenus etc- mais l’expérience montre ,chaque jour , que cela ne suffit pas et qu’il faut également des changements de mentalité.
5.h) Tout d’abord changement du regard de la société envers ceux qui sont au bas de l’échelle sociale. En effet, nous portons souvent des jugements hâtifs et nous faisons bien vite des généralisations concernant les personnes vivant dans la misère. ( bann la ! ) Comment changer notre regard qui juge et qui décourage ? Comment, par notre accueil , notre écoute et nos paroles , encourageons- nous les personnes à avancer, à faire un petit pas, à croire dans leurs possibilités, ce qui n’exclut nullement que nous puissions les interpeller par rapport à certaines manières de faire ? C’est par la reconnaissance des plus pauvres et la solidarité envers eux que notre société connaîtra un développement inclusif. Par ailleurs, en étant du côté des plus pauvres , nous nous enrichissons car ces derniers vivent souvent des valeurs extraordinaires qui nous interpellent : l’entraide, le sens du partage ( si enan mange pour 8 enan mange pou 10 ! ) la joie de vivre, le sens de l’accueil et de la fête, la pauvreté de cœur qui va à l’essentiel, une grande simplicité dans les rapports humains . Nous recevons bien davantage que ce que nous pouvons donner!
5.i) Changement de mentalité également de ceux qui vivent dans les situations de misère. Je vous propose le témoignage de Sydney et de son épouse, qui font beaucoup d’efforts pour ‘tini lors zot lipiés’ : » pou nou sorti dans mizer , nou bizin en premier gagne ene l’aide et ene bon encadrement. Nou contribue lors sa l’aide la pou nous ale de l’avant. Nou besoin gagne ene but qui nous pé rodé. Nou bizin confiance dans nous même, mette la honte de cote, fer sacrifice et derrière sacrifice nous bizin gagne ene récompense. » Changement de mentalité donc pour sortir de l’assistanat, (assistance bien évidemment indispensable dans certaines situations) en ne restant pas uniquement dans la posture de victime, mais en prenant leur part de responsabilités , avec courage et persévérance, et ainsi pouvoir devenir autonomes. La tentation pour certaines personnes vivant dans la grande précarité est de se laisser- aller, de ‘s’habituer’ à leur situation avec fatalité et ainsi de ne pas faire les efforts nécessaires pour s’en sortir. Parfois les plus pauvres peuvent décevoir ceux qui veulent sincèrement les aider , par exemple en leur offrant du travail ou en leur donnant les moyens de commencer un projet économique, par leur manque de régularité et de sérieux dans ce qu’ils entreprennent. Pas d’avancée possible donc sans ce déclic nécessaire de vouloir se prendre en charge et sans cet effort personnel pour s’en sortir.
5.j) le nœud de ce déséquilibre – cette réalité de grande pauvreté- au sein de la société est le péché. Entre autres, dans l’épître aux Romains, Saint Paul nous dit : » tous , Juifs comme Grecs ( c’est à dire tous les personnes humaines indépendamment de leur culture ou de leur religion) sont sous l’emprise du péché. » Il n’y aura pas de changement en profondeur , pas de recul de l’exclusion, sans la conversion , de ce que la Bible nomme : le cœur. Le cœur désignant » la source des pensées intellectuelles, de la foi, de la compréhension ; il est le centre des choix décisifs et pas exclusivement de la vie affective, de la conscience morale, de la loi non écrite et de la rencontre avec Dieu qui, seul l’atteint. » ( Dictionnaire du Nouveau Testament -Xavier Léon Dufour.) Comment opérer cette conversion, c’est a dire cette transformation en profondeur? De nouveau mettons nous à l’écoute de l’apôtre Paul : » grâce soit rendue à Dieu par Jesus Christ notre Seigneur. » Le même Paul nous dit précédemment dans sa lettre aux Romains que » c’est la justice de Dieu par la foi en Jésus Christ pour tous ceux qui croient , car il n’y a pas de différence : tous ont péché , sont privés de la Gloire de Dieu, mais sont gratuitement justifiés par la grâce , en vertu de la délivrance accomplie par Jésus Christ. » ROM 3 vs 22-24.
C’est dans la mesure où nous nous laissons habiter par Jésus, libérer et conduire par Jésus dans notre manière de regarder, de parler,d’agir, que nous ( chacun d’entre nous, mais également notre famille, et notre société dans son ensemble ) avons la vision et la capacité de sortir de son ‘chacun pour soi’ ( nous banne ) et d’œuvrer pour le bien commun, de quitter notre égoïsme personnel ou de groupe pour développer la solidarité, cette valeur si essentielle à la bonne santé d’une société .
La conversion est l’accueil de Jésus afin de se laisser transformer de l’intérieur par notre Seigneur. ( 2 cor 3 vs 18.) Oui, accueil de » Dieu qui a délivré son peuple de la servitude Égyptienne Dt 7 vs 8;15 vs15, de la captivité de Babylonne Es 41 vs 14; 43 vs1 et, plus profondément du péché en Jesus Christ . 1 cor 1 vs 30; col 1 vs 4.( commentaire de la TOB de Rm 6, 6. 20-21.) Dieu par Jésus nous fait devenir de plus en plus libres . Il libère notre liberté , non pour suivre nos caprices, mais pour que nous ayons le courage de nous faire le prochain de nos frères et sœurs en humanité par des liens d’écoute et de partage, d’échange et d’entraide, de compassion . Oui, Dieu notre Père par Jésus remet l’homme debout en le guérissant de toutes ses paralysies et de celle qui est à l’origine de tous les dysfonctionnements de la société , le péché : »Eh bien! pour que vous sachiez que le Fils de l’homme a le pouvoir de remettre les péchés sur la terre, je te l’ordonne, dit- il au paralytique, lève-toi, prends ton grabat et va-t’en chez toi» (Mc 2, 10-11). »
Alors, comment, en tant que communauté chrétienne , ne pas nous laisser interpeller par ce que le Pape François nous dit dans son exhortation apostolique , ‘la joie de l’Evangile ‘ , au numéro 200 : » la pire discrimination dont souffrent les pauvres est le manque d’attention spirituelle. L’immense majorité des pauvres a une ouverture particulière à la foi ; ils ont besoin de Dieu et nous ne pouvons pas négliger de leur offrir son amitié, sa bénédiction, sa Parole, la célébration des Sacrements et la proposition d’un chemin de croissance et de maturation dans la foi. L’option préférentielle pour les pauvres doit se traduire principalement par une attention religieuse privilégiée et prioritaire. »
6. Une Eglise prophétique
6.a ) Le choix de l’église pour les plus pauvres est une conséquence du choix de Dieu pour les plus pauvres, ‘lui qui entend le cri des malheureux.’ l’Eglise n’a pas mission de résoudre le problème de la misère . Il s’agit d’abord de la responsabilité du gouvernement et ensuite ,comme nous l’avons vu , de l’ensemble de la société, y compris de l’Eglise. Par contre , l’Eglise dans cette lutte de libération est invitée ,à la suite de son Seigneur Jésus , à jouer un rôle prophétique, c’est -à -dire à dénoncer les injustices et à annoncer qu’un ‘autre monde est possible’ . Nous sommes invités à prendre position en faveur des plus pauvres et ces prises de parole doivent être accompagnées d’actions concrètes. Je voudrais rendre grâce pour tous les volontaires de Caritas, pour les éducatrices des ‘Ecoles Ménagères’ , pour le Centre Frère Rémi , pour le Centre Carrefour, qui à la suite d’Antoinette Prudence, nous aide à lire les ‘signes des temps’, dispense des formation ,comme la ‘formation au leadership social’ , afin que nous puissions avoir une ‘présence active’ au sein de la société rodriguaise, pour la RCEA et toute la créativité déployée afin de promouvoir une ‘pédagogie- inclusive’, pour les ‘agents de l’éducation’ , pour les paroisses, les mouvements tels que la ‘Légion de Marie’ , pour les prêtres et les religieuses, donc pour tous ceux et celles qui sont présents sur le terrain et qui, avec persévérance , sont à côté de ceux et celles qui souffrent et qui souvent se sentent délaissés , afin de les accompagner ,à travers des initiatives concrètes , sur un chemin de libération . La misère n’est pas une fatalité mais pour une très large part relève de la responsabilité des personnes humaines. L’Eglise , à travers chacun de ses membres mais également en tant que communauté, doit toujours être plus solidaire des plus pauvres à travers des projets concrets mais également en donnant toute leur place aux plus pauvres au sein de nos communautés liturgiques, nos conseils paroissiaux et les mouvements , par notre accueil et notre manière de ‘regarder’ les plus pauvres . Chaque paroisse et institution d’Eglise doit veiller qu’une part de son budget soit au service des plus pauvres. C’est ainsi que nous contribuerons à créer une société plus fraternelle. Comme nous le rappelle le pape Benoît XVI dans son encyclique ‘ Deus Caritas est’ : ‘aimer son prochain est aussi une route pour rencontrer Dieu, et fermer les yeux sur son prochain rend aveugle aussi devant Dieu.’
7. Conclusion.
Frères et sœurs de Rodrigues, répondons à l’appel de Jésus. Par ‘notre présence active’ au sein de la société , comme nous y invite une des cinq orientations du synode qui a eu lieu à Rodrigues, engageons nous afin de faire reculer la misère qui nous garde tous prisonniers . Que notre communauté chrétienne, à travers les paroisses, les mouvements et institutions , mette les plus pauvres au centre de nos priorités. Alors , et c’est ainsi, que nous serons, à la suite de Jesus , ‘sel de la terre et lumière du monde.’
Votre frère et votre évêque
+ Alain
Merci Mgr Harel,
C’est une bonne réflexion autant pour les mauriciens que pour les rodriguais en ce temps de carême. Les réalités de Rodrigue reflètent aussi celle de Maurice.
A cité la Cure. Plusieurs familles squatters se trouvent à la rue.
Mais les autorités sont catégoriques : ces familles, qui occupent illégalement ces lopins de terre, doivent être expulsés.
Qu’en est-il de ces autorités qui occupent illégalement nos institutions et qui font des scandales ?
Maria (île Maurice)