Ce lundi 7 octobre, la Journée mondiale de l’Habitat sera célébrée. L’occasion pour les ONG, les travailleurs sociaux et professionnels de Maurice de faire une réflexion sur la situation du logement à Maurice. Christiane Chowree, Gilberte Hauradhur et Marie-Noëlle Anodin-Pierre, toutes de Caritas-Ile Maurice, partagent leur point de vue sur la question dans le dossier de La Vie Catholique.« Le problème du logement s’accentue. Notre liste de demandes d’aide est bien longue. » Les trois femmes engagées au sein de Caritas sont unanimes à le reconnaître. « La construction de logements est une urgence », martèle Christiane Chowree (responsable du Service d’écoute et de développement). « Le gouvernement espère construire 20 000 maisons d’ici 2015. Mais est-ce que ce sera suffisant ? Le besoin de logement convenable est impératif. » En contact avec une population à faibles revenus à travers le réseau déjà bien établi de Caritas, nos interlocutrices notent que nombre de problèmes de logement sont liés aux familles recomposées.
Au cas par cas
Un problème qui se situe au niveau du lieu d’habitation, de la superficie, de la répartition des espaces. « Beaucoup de familles recomposées se retrouvent avec au moins trois enfants qui ne sont pas d’une même fratrie. Dans une maison où règne la promiscuité, divers problèmes de mœurs peuvent surgir », explique Christiane Chowree. Sans compter l’absence d’un endroit convenable pour que les enfants puissent faire leurs devoirs. Une situation qui a aussi des répercussions sur leurs progrès à l’école. « Il y a des enfants qui sont obligés de changer d’école plusieurs fois. La famille déménage. Cela perturbe leur scolarité. »
Parlant des logements sociaux, si tous sont unanimes à reconnaître les efforts réalisés pour permettre à certaines familles de milieu modeste d’avoir une maison, tous font aussi ressortir qu’il y a plusieurs améliorations à apporter. Pour Gilberte Hauradhur, responsable du Fonds d’aide au logement, le processus d’octroi des logements sociaux pose problème au niveau des critères d’éligibilité. Ceci parce que par exemple, « alors que certaines maisons sont proposées à des couples mariés, nous rencontrons beaucoup de familles où les couples ne sont
pas mariés civilement ». Ils ne sont donc pas éligibles.
Le critère de Rs 6 200 par mois par famille pour bénéficier de l’aide de la National Empowerment Foundation pose aussi problème, selon Gilberte Hauradhur. « Nous avons remarqué que certaines familles ne sont pas motivées à avancer, de peur de ne pas pouvoir profiter de cette aide. C’est une mentalité qui ne les aide pas. » Paradoxalement, poursuit notre interlocutrice, « nous avons aussi des cas où les personnes ne bénéficient pas de cette aide parce qu’elles ont dépassé le seuil de Rs 200. Des familles qui sont pourtant dans le besoin ».
Pour nos interlocutrices, il est donc essentiel que le gouvernement revoie, d’une part, les critères d’allocation d’aide au logement. « Les dossiers doivent être traités au cas par cas », estime Marie-Noëlle Anodin-Pierre, responsable de Relais d’Espérance. Le nombre de personnes qui constituent une famille étant un élément important à considérer. « Une famille avec un enfant et qui touche moins Rs 6 200 par mois ne peut pas être comparée à une autre qui a trois enfants et qui touche aussi moins de Rs 6 200 par mois. » Ces considérations devraient, selon nos interlocutrices, déterminer les possibilités de remboursement des familles, mais aussi la superficie des logements alloués.
« Le monde a changé. La société a évolué », alerte Christiane Chowree. « Si avant on considérait ses demi-frères et demi-sœurs comme des membres à part entière des fratries, aujourd’hui ce n’est pas tout-à-fait le cas. » D’où l’importance d’avoir des chambres séparées pour les filles et les garçons. Un point dont on ne tient pas compte pour les logements sociaux proposés, note la travailleuse sociale. « Toutes les familles ont les mêmes maisons, peu importe le nombre d’occupants. De plus, beaucoup d’entre elles comprennent au moins une personne âgée. Cela fait partie de notre richesse culturelle. Mais, est-ce que ces personnes sont aussi prises en considération quand il s’agit d’allouer des maisons ? Ou est-ce que nous allons devoir nous résoudre à les placer ? »
S’inspirer du passé
Si les travailleurs sociaux essaient de faire comprendre ce point aux bénéficiaires de logements sociaux, peu semblent à ce jour réceptifs. Une réaction prévisible et compréhensible. « Ce sont souvent des gens qui vivent dans des conditions difficiles. Leur priorité reste d’avoir un logement. Ils sont contents d’habiter une maison en dur », partage Gilberte Hauradhur. Ce n’est que quand ces personnes emménagent dans leur nouvelle maison qu’elles réalisent le problème d’espace auquel elles auront à faire face. Problème qui va parfois jusqu’à devoir choisir entre mettre un lit ou une table à l’intérieur de la maison.
« D’autres, comme ceux qui vont être délogés à cause de la Ring Road à Tranquebar sont dans l’urgence. Même si c’est pour une maison de 31m², ils préfèrent partir. De toute façon, ils n’ont pas d’autre solution », poursuit Gilberte Hauradhur. Pour Christiane Chowree, il serait intéressant que l’État s’inspire du passé, des projets de construction d’il y a plus d’une dizaine d’années pour proposer des maisons mieux adaptées aux besoins de la population. « Il y a eu un moment où on construisait des maisons avec trois chambres à coucher. Aujourd’hui, il existe certes des logements évolutifs mais souvent les personnes n’arrivent pas à les agrandir. Si certains ne font pas d’efforts pour honorer leurs dettes, bon nombre de ces familles ont aussi des problèmes financiers et ont du mal à joindre les deux bouts. » Comment donc s’attendre à ce que des personnes arrivent à agrandir leurs logements.
Marie-Noëlle Anodin-Pierre est d’avis qu’un encadrement social des familles en phase de relogement est aussi essentiel pour la réussite du projet. « Certes, il y a des travailleurs sociaux du gouvernement », conçoit-elle. « Mais ils ne sont pas suffisamment nombreux et constants. » « Combien de fois avons-nous eu à faire face à des dossiers égarés ? À des travailleurs sociaux mutés et à la nécessité de reprendre tout un travail qui avait été déjà bien entamé… »
Pour Christiane Chowree, un plan de relogement respectueux des familles mauriciennes est essentiel. Il y va du climat social et du progrès économique. Et seul un partenariat adéquat entre différents partenaires pourrait conduire à la réussite de cette initiative. « Me zot pa le ekout lezot… »
Martine Théodore-Lajoie
Journée mondiale de l’Habitat : explications
Les Nations-unies ont désigné le premier lundi d’octobre de chaque année comme Journée mondiale de l’Habitat (…) Le but est de réfléchir à l’état de nos villes et villages et au droit fondamental de tous à un logement convenable. Cette journée vise également à rappeler au monde que nous avons tous la responsabilité de façonner l’avenir de nos villes et villages. Cette année, les Nations-unies ont choisi le thème de la mobilité urbaine parce que la mobilité et l’accès aux biens et services est essentiel au bon fonctionnement de
nos localités.
Maison de 31,5m² : opération prise de conscience
Le 7 octobre prochain, Journée mondiale de l’Habitat, la Commission Justice et Paix se lance dans une démarche de prise de conscience. Il s’agit d’alerter l’opinion publique et politique sur l’importance d’un logement décent pour chaque famille mauricienne. L’opération s’annonce tout simplement percutante.
Ceux qui passeront près de la place de la Cathédrale St-Louis, Port-Louis, le 7 octobre prochain, et les jours suivants seront surpris de noter la présence d’une maison. Semblable à celles situées à Gros-Cailloux, cette maison de 31,5m² sera installée pour une raison bien précise : « Permettre aux personnes qui nous rendront visite de constater l’exiguïté d’une maison de ce type », explique le père Jean-Maurice Labour, vicaire général et aumônier de la Commission diocésaine Justice et Paix. Ministres, députés et diverses personnes engagées dans la lutte contre la pauvreté sont invités à visiter cette maison.
Agréables et fonctionnelles
La Commission souhaite, à travers cette initiative, alerter l’opinion publique et politique sur l’importance d’un logement décent pour chaque famille. « Le but de notre action et de faire un plaidoyer pour que les critères d’accessibilité et d’accompagnement social en matière de logement soient revus », explique le père Labour. « Notre but ultime, c’est de provoquer les assises nationales du logement. C’est mettre autour d’une table des experts du logement, ceux d’UN-Habitat, les ONG qui travaillent avec les personnes mal-logées, l’État, etc. Ceci afin de dégager un plan de logement convenable sur 25 ans. »
D’ailleurs, lors de cette mobilisation, deux stands sont aussi prévus et seront occupés par Caritas Ile Maurice et Architectes Sans Frontières. Ces derniers proposeront chacun des modèles de maison qui pourraient être utilisés à l’avenir pour les logements sociaux. Caritas, par exemple, propose des maisons de diverses superficies avec un nombre varié de chambres. Des habitations qui sont aussi évolutives.
Outre des maisons de 75m² et de 100m², Architectes Sans Frontières proposera des maisons de 32 m² « qui seront différentes de celles proposées comme logement social. Où les agencements permettront qu’il y ait une vie privée. Des maisons plus agréables et fonctionnelles », explique Vinesh Chintaram, président d’Architectes Sans Frontières – océan Indien. « Nous ne sommes pas là pour critiquer, mais nous voulons montrer qu’il y a d’autres solutions qui sont plus dans l’intérêt des bénéficiaires et de l’État. »
Essentiel à l’épanouissement
Pour le père Labour, il est aujourd’hui urgent de faire face au problème de logement comme il se doit. Car il s’agit là d’un élément essentiel à l’épanouissement de toute personne, dans les possibilités de progrès des familles. Or, note-t-il, « si on jette un regard sur l’historique du logement à Maurice, nous constatons qu’il y a eu un vrai bazar. Les constructions se sont, entre autres, faites dans l’urgence. Il n’y a pas eu de planification à long terme ».
D’ailleurs, pour alimenter la réflexion sur l’idéal du logement social à Maurice, la Commission Justice et Paix avait élaboré un document en mars 2012 ayant pour titre : 9 Principles For Social Housing. Rapport qui a fait suite à un atelier de travail avec divers acteurs sociaux afin « d’établir une politique de logement social juste et équitable, respectueux des droits de l’homme et qui dynamise l’intégration sociale à long terme des plus pauvres ».
Martine Théodore-Lajoie
Architectes Sans Frontières International
Architectes Sans Frontières (ASF) International est un réseau indépendant, non-hiérarchique, et à but non-lucratif. Elle est constituée d’organisations concernées par l’engagement équitable, social, culturel et environnemental de l’architecture, de la construction, de l’urbanisme et de la conservation des héritages historiques en vue d’un « développement humain ». ASF Maurice, région océan Indien est la section régionale d’ASF International. Basée à Maurice, elle englobe aussi les pays suivants : Madagascar, le Mozambique, le Zimbabwe et la Tanzanie.
Parmi les implications récentes de ASF océan Indien : son engagement après les inondations du 30 mars dernier. Ceci notamment à travers l’aide aux victimes, l’élaboration d’une enquête préliminaire sur les dommages causés par les inondations, la réalisation d’une liste de mesures urgentes à prendre pour les réparations de base des maisons et la rédaction d’une liste d’actions à long terme pour atténuer les risques d’inondations et améliorer la qualité de vie.
ASF MIOR et Caritas ont décidé de collaborer pour les questions relatives aux logements vulnérables et aux solutions d’hébergement d’urgence, dont une partie devait être présenté au Comité des crues-éclair mis en place au Joint Economic Council (JEC)
Neuf principes pour un logement social
Principe 1 – Un droit humain – Assistance aux plus pauvres.
Principe 2 – Une maison – Construire une maison.
Principe 3 – Infrastructure – Infrastructure
et des équipements pour créer des collectivités durables.
Principe 4 – Participation financière – Participation financière aux frais de la maison et à l’entretien des espaces communes.
Principe 5 – Critères d’éligibilité pour le
logement social – Éligibilité des ménages dont le revenu mensuel ne dépasse pas Rs 10 000.
Principe 6 – Contrat social – Un contrat social
et moral adapté et approprié.
Principe 7 – Accompagnement social –
Accompagnement social cohérent et durable.
Principe 8 – Les collectivités durables – Construire des communautés durables.
Principe 9 – Le travail collaboratif – Une large participation des partenaires.
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