Que nous dit l’Evangile d’aujourd’hui au moment où nous rendons grâce pour ce beau témoignage de vie consacrée au Christ, pour cette belle œuvre d’évangélisation qui se poursuit ici à Souillac depuis 50 ans et qui a fait du bien à tant de monde – y compris beaucoup de prêtres.
- Nous sommes ici devant deux personnages qu’un abîme sépare
a) d’un côté l’homme riche qui fait « bombance » et qui ignore le pauvre Lazare étendu à sa porte. Son indifférence envers Lazare semble venir de l’argent trompeur, i.e., du fait que sa grande richesse l’a trompé, i.e., (1) lui a fait croire qu’il trouverait son bonheur dans une vie luxueuse, et
(2) l’empêche de voir ce qu’il peut recevoir du pauvre qui est à sa porte en persistant jusqu’au bout dans ce style de vie « trompeur », en se laissant bercer d’illusion ou conduire par le mensonge, il trouve finalement son malheur.
b) d’un autre côté, nous avons Lazare
- couché devant le portail, couvert de plaies
- seuls les petits chiens ont pitié de lui
- et cependant, et dont personne ne « prend compte », semble être un vrai fils d’Abraham puisqu’à sa mort, il est conduit dans le sein d’Abraham.
Les « vrais fils d’Abraham » sont, comme dit St Paul (Gal 3, 7ss) ceux qui se réclament de la foi, ceux qui sont justes parce qu’ils vivent de la foi – i.e., dès ici bas, ils trouvent leur paix, leur bonheur dans la confiance en l’amour gratuit de Dieu.
C’est pour cela, parce qu’il a vécu de la foi comme Abraham – que Lazare connaît le bonheur dans l’autre monde.
c) Ainsi l’abîme qui les sépare n’est pas entre quelqu’un qui est puni et qui est marginalisé et quelqu’un qui est récompensé et cajolé. L’abîme est entre quelqu’un qui a fait son malheur en cherchant à faire son bonheur par lui-même, quelqu’un qui a mis sa confiance dans l’argent trompeur et tout ce que l’argent peut acheter et quelqu’un qui a trouvé son bonheur en décidant de mettre sa confiance en quelqu’un d’autre dans l’amour gratuit de Dieu de qui il dépend entièrement et qui le fait vivre.
- D’ailleurs, l’homme riche garde des réflexes de riche même dans l’autre monde. Par exemple
– il croit qu’en faisant une « démarche » auprès d’Abraham, il pourra trouver un peu de réconfort – avec de l’eau
– il croit que s’il obtient d’Abraham un miracle spectaculaire, un miracle spécial fait sur mesure – envoyer Lazare à ses frères – il pourra sauver ses frères
– il croit qu’il peut encore faire jouer ses relations, son influence et arranger les choses pour lui et sa famille.
Mais Abraham est obligé de lui dire que ce n’est pas son carnet d’adresse, ses relations, ses démarches pour réussir un coup exceptionnel et spectaculaire qui peut sauver ses frères vraiment.
C’est plutôt tout simplement et plus humblement l’écoute de la Parole de Dieu, la parole qui, seule, peut faire découvrir le vrai trésor, celui de se savoir aimé gratuitement, celui qui n’est accessible qu’aux pauvres.
- Cela me ramène à cette phrase de St Paul que le Pape François a choisie comme thème du Carême 2014 : « Vous connaissez en effet la générosité de notre Seigneur Jésus Christ, qui pour vous, de riche qu’il était, s’est fait pauvre pour vous enrichir de sa pauvreté » (2 Cor 8,9).
Le Christ s’est fait pauvre réellement, mais ce n’était pas une pauvreté misérabiliste et volontariste faite de pure privation. C’était plutôt une pauvreté qui faisait de la place pour un trésor inestimable, comme le dépouillement joyeux de paysan qui ayant trouvé un trésor dans un champ s’en va vendre tout le reste
– Par exemple, Jésus n’avait pas d’endroit où reposer sa tête, mais il trouvait sa « demeure » dans l’amour du Père. A la question posée par ses premiers disciples « Où demeures-tu ? » il répond finalement au dernier repas. « Comme le Père m’a aimé moi aussi je vous ai aimés. Demeurez dans mon amour. Si vous gardez mes commandements, vous demeurerez en mon amour comme moi je demeure dans l’amour du Père ».
– Ou encore, s’il jeûne 40 jours au désert ou si après une journée de marche à travers la Samarie, il tient seulement un peu d’eau offert par une samaritaine, c’est parce que sa nourriture est de faire la volonté de son Père et d’accomplir son œuvre, c’est parce que comme il dit lui-même « il ne vit pas seulement de pain… »
– Au milieu d’un procès truqué où il va être abandonné de tous et condamné injustement, il ne cherche pas des légions d’anges pour le tirer d’affaire dans sa grande solitude – livré qu’il est à la lâcheté des hommes – ce qui lui donne la force de tenir et de s’intéresser encore aux autres, c’est le simple fait que son Père « est avec lui » – comme lui-même nous a promis d’être « avec nous ».
– En vivant cette pauvreté radicale, Jésus a expérimenté ce qu’est la béatitude du pauvre – et c’est de cette béatitude qu’il veut nous enrichir.
Les vrais pauvres, comme Jésus, peuvent nous apprendre quelque chose de ce bonheur simple très fort. L’homme riche de la parabole n’a pas su découvrir les reflets de ce bonheur chez Lazare, ce vrai fils d’Abraham parce qu’il s’était laissé obnubiler par l’argent trompeur.
J’ai lu récemment un extrait d’une nouvelle biographie du Pape François qui explique comment depuis sa nomination comme archevêque de Buenos Aires, son contact avec les pauvres l’a profondément changé, transformé. Apparemment, il débarquait à l’improviste dans les favélas de Buenos Aires et marchait dans les ruelles étroites et sales simplement pour parler avec les gens et les écouter. L’auteur dit de lui « il ne voyait pas les pauvres comme des gens qu’il pouvait aider, mais comme des gens de qui il pouvait beaucoup apprendre ».
- C’est ce type de pauvreté qui nous libère que Jésus recommande à tous ceux et celles qui veulent annoncer l’Evangile (Mt 10, 8-10). Comme si la Bonne Nouvelle qui est destinée aux pauvres que nous sommes tous, ne peut être accueillie comme Bonne Nouvelle que si elle est annoncée par des pauvres que nous sommes appelés à devenir comme le Christ.
Reconnaître simplement que ce qui fait notre valeur ce n’est ni nos compétences, ni notre savoir, ni le milieu dans lequel je suis né, ni notre fortune, ni nos relations, ni même notre réputation mais seulement le fait que Dieu nous aime gratuitement, est un témoignage puissant, puissant non pas à la manière des riches, mais puissant comme la petite graine de moutarde.
Or, cet amour qui seul peut nous rendre vraiment heureux ne se mérite pas, il est essentiellement un don gratuit. Notre valeur dépend de ce regard d’amour que Dieu pose sur chacun des plus petits de ces enfants.
C’est ce que dit St Paul aux Corinthiens (1 Cor 1, 27) « ce qui est feu dans le monde, voilà ce que Dieu a choisi pour confondre les sages, ce qui est faible dans ce monde voilà ce que Dieu a choisi pour confondre les forts ».
- Au moment où dans l’Eglise Universelle, nous sommes lancés sur un chemin de Nouvelle Evangélisation, au moment où dans notre diocèse ce chemin prend la forme du « chemin de Kleopas » je sens comme un appel très fort à redécouvrir cette pauvreté dont le Christ veut nous enrichir, cette pauvreté à laquelle le Christ appelle les « Evangélisateurs ».
La parabole de Lazare et du riche nous donne 2 petites indications sur la façon de vivre cette pauvreté :
– l’écoute du pauvre que le riche a manqué mais celle qui a nourri le Pape François à Buenos Aires
– l’écoute de la Parole à laquelle Abraham invite le riche et dans laquelle il n’arrive pas à entrer.
Par contre, nous retrouvons en positif cette double écoute dans la façon dont Jésus annonce la Bonne Nouvelle à Kleopas – écoute qui est typique de celui qui s’est fait pauvre pour nous enrichir de sa pauvreté
– d’abord Jésus écoute longuement Kleopas – il se fait très discret
– ensuite il invite Kleopas à écouter la Parole, cette parole qu’il a lui-même écoutée si profondément qu’elle s’est incarnée en Lui. Et ainsi il peut expliquer dans toutes les Ecritures ce qui le concernait.
Jésus se fait pauvre pour écouter Kleopas. Et quand il invite Kleopas à l’écouter – il l’invite à écouter ce qu’il a lui-même reçu en écoutant les Ecritures. Il fait lui-même ce qu’il demande aux disciples qu’il envoie en mission : « Vous avez reçu gratuitement, donnez gratuitement ».
Conclusion
Prions le Seigneur de nous faire la grâce de sa pauvreté, de nous enrichir de sa pauvreté afin que nous puissions au Foyer comme dans le reste du diocèse, apporter une petite contribution à la Nouvelle Evangélisation.
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