La fête de la St Louis fait mémoire d’un roi français qui, au 13e siècle, a su puiser de sa foi chrétienne l’inspiration d’une gouvernance raisonnable, i.e., non pas une gouvernance animée par le fanatisme religieux mais une gouvernance basée sur les principes de la justice et du droit, avec une attention spéciale pour les plus pauvres. Les exigences de cette gouvernance raisonnable sont mentionnées très souvent dans l’Evangile et demeurent des défis de tailles qui pèsent lourds sur les épaules de ceux qui assument des responsabilités dans l’Eglise comme dans la société civile.Par exemple, dans ce passage de l’Evangile que nous venons d’entendre, nous avons un des nombreux exemples où Jésus interpelle vivement les autorités religieuses du peuple juif de son époque. Ces autorités étaient fières d’appartenir au peuple élu. Du fait de son élection, ce peuple se considérait supérieur aux autres. Les gens pensaient que leur simple appartenance ethnique et religieuse leur garantissait les faveurs de Dieu et aussi le salut éternel. Alors Jésus leur dit à peu près ceci : la simple appartenance au peuple élu ne pèse pas lourd aux yeux de Dieu. Ce qui a du poids pour lui, ce sont des hommes et des femmes qui mettent en pratique la Parole de Dieu, sont fraternels et pratiquent la justice. Ce chemin là est « étroit », c’est-à-dire, exigeant, mais c’est le seul chemin qui rend l’homme vraiment libre et débouche sur la paix sociale. Jésus ajoute qu’il y a des gens en dehors du peuple élu qui ont compris cela et qui marchent sur ce chemin. Ainsi, dans le Royaume de Dieu, ces gens du dehors seront mieux accueillis que ceux qui, au dedans du peuple élu, pensent que leur appartenance ethnique et religieuse, peut leur obtenir le salut tout en les dispensant de pratiquer la justice. Eux seront les derniers. Les premiers seront ceux qui même venus du dehors, sont entrés par la porte étroite.
Comment cette interpellation de Jésus aux autorités religieuses de son temps interpelle l’Eglise catholique aujourd’hui ? Reconnaissons-le, nous sommes souvent tentés de croire que le fait d’avoir été choisis par le Christ pour être ses disciples nous donne un petit avantage, nous rend supérieurs aux autres. Nous oublions alors que nous avons été choisis, non pas à cause de quelque mérite de notre part, mais gratuitement, et que notre rôle consiste seulement à annoncer aux autres, qu’ils sont aimés gratuitement par Dieu eux aussi. De fait l’Evangile reconnaît qu’il y a des gens qui ne reconnaissent pas le Christ mais qui suivent son chemin mieux que beaucoup de chrétiens. Le Mahatma Gandhi est un des exemples les plus connus mais il est loin d’être le seul.
« Balayer devant sa porte »
L’interpellation de Jésus aux autorités religieuses de son temps peut se traduire aujourd’hui par l’expression mauricienne « balayez d’abord devant votre porte ». De fait, l’actualité récente a montré que l’Eglise Catholique avait à « balayer devant sa porte ». Il y a eu d’abord la vague des scandales pédophiles et les tentatives de « cover up » qui ont suivi. Et puis, plus récemment, il y a eu les scandales financiers qui ont éclaté au Vatican. Plus localement, le dernier Synode de notre Eglise diocésaine qui s’est terminé en 2000 a été un exercice de vérité qui a permis aux chrétiens de dire ce qu’ils pensaient ne tournait pas rond dans l’Eglise à Maurice. Par exemple, les créoles ont pu dire leur souffrance devant la marginalisation de leur langue et de leur culture dans l’Eglise ; on a aussi entendu le cri des pauvres, le cri des jeunes qui n’arrivent pas à trouver leur place dans l’Eglise ; on a entendu enfin des appels pour un plus grand engagement pour la justice, un plus grand investissement dans la formation chrétienne et dans l’éducation.
Le fait d’avoir « à balayer devant sa porte » a été pour l’Eglise une expérience salutaire qui nous a appris une certaine humilité. Nous ne sommes pas une Eglise de purs qui serait située au dessus du panier. Nous portons en nous les traces des mêmes péchés que nous dénonçons. L’Evangile nous éclaire et nous remet tous en question sur la qualité humaine de notre vie et sur notre manière de nous situer, comme profiteur ou comme serviteur, au sein de la société. C’est tout le sens de la devise épiscopale du Cardinal Margéot, « non pas se faire servir, mais servir », cette devise est comme l’héritage spirituel qu’il a laissé au pays. Que nous soyons dans l’Eglise ou en dehors de l’Eglise, nous avons les mêmes tentations, et sommes marqués par les mêmes défaillances. L’Evangile nous interpelle tous parce qu’il nous fait voir plus clairement le péché qui blesse notre humanité. Mais l’Evangile nous annonce aussi une bonne nouvelle : c’est que nous ne sommes pas enfermés dans notre péché ; le Christ est venu pour nous tendre la main, nous pardonner et nous guérir. L’espérance de cette guérison est la bonne nouvelle que nous voulons partager avec nos compatriotes, car elle ouvre pour tous un chemin de libération.
Faire la vérité
Dans ce sens, le stand de tolérance zéro que le Pape Benoît XVI a pris devant les scandales pédophiles et celui tout aussi courageux que le Pape François a pris en dénonçant les scandales financiers comme quelque chose qui « gangrénaient le Vatican », ont été accueillis comme une bouffée d’air frais pour l’Eglise. Ces deux Papes ont pris les moyens de faire la vérité par rapport aux fautes graves qui étaient alléguées, y compris en livrant les suspects aux investigations et à l’administration de la justice civile. Des prêtres ont été condamnés, des évêques en Europe et aux USA ont dû « step down ». De plus, de nouvelles procédures sont actuellement mises en place dans tous les diocèses du monde pour qu’à la moindre alerte, il ne puisse pas y avoir de « cover up » mais qu’en faisant la vérité on s’engage plutôt sur un chemin de guérison. C’est cette vérité qui nous rend libres. Car la culture du « cover up » ne fait que garder le pus au fond de la plaie et permet à l’infection de se répandre. En revanche, faire la vérité, c’est comme percer l’abcès ; ça fait mal, mais c’est le seul moyen de guérir. Car faire la vérité nous conduit non seulement à reconnaître le mal qui nous ronge, mais aussi à reconnaître la capacité des personnes et des sociétés humaines de se ressaisir et de prendre un nouveau départ. Mais par-dessus tout, faire la vérité selon l’Evangile c’est aussi et surtout accueillir la miséricorde du Dieu créateur qui ne veut qu’une chose, nous relever, nous sauver. Si nous refusons de faire confiance à sa miséricorde alors c’est nous-mêmes qui faisons notre propre malheur.
Reconnaissons-le ensemble : les institutions de l’Eglise ont des problèmes similaires à ceux de la société civile. Or, la société comme l’Eglise dispose aussi de ressources similaires : en particulier celle, précieuse entre toutes, que sont les citoyens sincères et désintéressés qui, en dehors de l’Eglise comme dans l’Eglise, travaillent vraiment au développement humain authentique de tous les Mauriciens, surtout des plus pauvres. Mettons nos ressources en commun, car nous avons aussi un but commun : servir le peuple et nous entraider dans la recherche de ce qui est vraiment juste et droit.
Nous ne sommes pas là pour nous critiquer mutuellement, ni pour nous flatter mutuellement et encore moins pour nous utiliser mutuellement à des fins étroitement partisanes. Nous sommes là simplement pour servir le développement humain du peuple mauricien dans touts sa diversité, chacun à partir de son lieu et avec ses responsabilités propres. Or, seul un attachement sans faille à ce qui est juste et droit peut nous assurer la paix solide et durable qui permet un tel développement.
La tradition catholique a toujours affirmé que les normes morales objectives qui dirigent une action droite sont accessibles à la raison, i.e., à tout homme qui cherche sincèrement ce qui est droit. C’est pourquoi le rôle de l’Eglise dans la cité n’est pas de fournir ces normes comme si elles n’étaient pas déjà accessibles à tous ; son rôle est encore moins de proposer des solutions politiques ou économiques concrètes, ce qui est en dehors de sa compétence. Elle n’a pas de leçon à donner. Mais comme l’Eglise est engagée dans ce service de l’homme au titre même de sa mission, elle souhaite entrer dans un dialogue ouvert et sincère avec les responsables de la cité. Dans un climat de respect et de confiance mutuelle, nous pouvons nous entraider à purifier nos motivations et à nous attacher, sans flancher, à ce qui est objectivement juste pour le développement humain du peuple.
L’Eglise doit tirer la sonnette d’alarme
Quelque fois, il est vrai l’Eglise peut et doit tirer la sonnette d’alarme. Car les choix politiques et économiques du jour sont porteurs d’enjeux considérables pour l’avenir de l’humanité. Par exemple, ce sont des manquements graves à une éthique élémentaire qui ont été à la source de la crise financière et économique internationale et des sérieuses difficultés éprouvées par des millions d’hommes et de femmes qui en ont subi les conséquences. C’est encore le mépris de la dimension éthique dans la gestion de l’environnement qui a conduit à la détérioration considérable de l’écologie mondiale et qui met en péril le cadre de vie des générations futures. De même un manque élémentaire de solidarité est à la source de la prolifération scandaleuse de la faim dans le monde aujourd’hui.
En tirant la sonnette d’alarme, l’Eglise ne cherche pas à s’ingérer dans la gouvernance d’une économie ou d’un Etat. Elle cherche plutôt à rejoindre et à soutenir le désir des responsables politiques et économiques de servir le développement authentiquement humain des personnes dont ils sont responsables. Ce désir profond est souvent brouillé dans l’Eglise comme dans la cité par des interférences multiples qui peuvent freiner nos meilleurs élans. C’est pourquoi il peut être utile de se rappeler ensemble cette conviction simple mais fondamentale que le Pape François exprimait dans une lettre récente à M. David Cameron, Premier ministre britannique, en sa qualité de Président du G8 : « Ce qui est implicite dans tous les choix politiques mais qui peut parfois être oublié, c’est l’importance absolue de mettre l’humain, chaque homme, chaque femme au centre de toute activité politique et économique, à la fois nationale et internationale, parce que l’homme est la ressource la plus vraie, la plus profonde de la politique et de l’économie, ainsi que leur fin ultime ».
Durant cette messe, je vous invite à prier pour que nous puissions trouver ensemble les moyens de traduire cette conviction en pratique et ouvrir ainsi des chemins d’espérance pour le peuple Mauricien.
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