Pour bien comprendre à quoi le Seigneur nous appelle, chacun d’entre nous et aussi en tant que peuple, je vous propose de réfléchir à ce que nous célébrons le Samedi saint au cours de la veillée pascale. Nous sommes là au cœur même de la foi, tout comme le moteur est le cœur d’un bus ou de tout autre véhicule. Pour un chrétien, il n’y a pas la vie humaine et en plus la vie spirituelle. C’est pourquoi, me semble-t-il, c’est inexact de dire formation humaine et spirituelle. Non, c’est toute notre vie humaine, dans toute son épaisseur, qui doit se spiritualiser, devenir un chemin spirituel. Comment ? En répondant à l’appel du Seigneur qui, pour parler comme le prophète Isaïe, « te donne un enseignement salutaire et qui te guide sur le chemin où tu marches » (Isaïe 48vs 17).
« Alim enn dife lamour »
1. Au début de la cérémonie de la veillée pascale, le célébrant allume un feu de bois à l’extérieurde l’église alors qu’il fait nuit. « Alim enn dife lamour ! ». Ce feu symbolise que Dieu est lumière et que c’est par amour, gratuitement, qu’Il nous appelle des ténèbres à la lumière. En réponse, Il nous appelle à laisser embraser (alim) notre cœur par le feu de Son amour. Tout comme le peuple d’Israël dans le désert était précédé par la colonne de feu, marchons derrière le cierge pascal qui symbolise Jésus Ressuscité, Celui qui nous fait découvrir, dans toute sa profondeur, à quoi Dieu nous appelle.
2. a) Dieu nous appelle à la vie
La première étape de cet appel de Dieu commence par la création. Je vous invite, un soir, à tourner votre regard vers le ciel afin d’admirer l’immensité du ciel, la lune, les étoiles. Posez-vous alors cette question : d’où vient tout cela ? Moi qui respire, qui regarde et qui réfléchis, qui suis-je ? Pourquoi suis-je là sur la terre ? Des personnes pensent que l’univers, les animaux et les humains sont là comme par accident, par hasard. Nous devons respecter leur opinion. D’autres ne se prononcent pas, ce sont les agnostiques.
Les croyants pensent que tout ce qui existe « sort » pour ainsi dire des « mains » de Dieu. Nous sommes le fruit de l’amour de Dieu. Dans la Bible, Dieu prend toujours l’initiative, en faisant toujours le premier pas. Lui qui est Amour inn alim enn dife lamour. Chaque instant, Dieu continue Sa création et c’est Lui qui nous donne de vivre, Lui, la source de toute vie, « la Vie de toute vie » (Gn 1, 1-2 – 2).
Saint Paul nous permet de découvrir encore plus en profondeur nos origines : « Il n’y a pour nous qu’un seul Dieu, le Père, de qui tout vient et vers qui nous allons, et un seul Seigneur, Jésus-Christ, par qui tout existe et par qui nous sommes » (1 Corinthiens 8 vs 6).
Par Jésus, Parole éternelle, Dieu le Père nous appelle à l’existence. L’arc-en-ciel est le signe poétique choisi par Dieu pour nous rappeler que la création est le point de départ de l’alliance entre Dieu et les humains. À travers la création, reconnaissons-nous le créateur ? Comment prenons-nous soin de la création que Dieu nous confie ? Par exemple, est-ce que nous respectons le jardin de nos voisins ou bien, par exprès ou par négligence nou larg nou zanimo et les zot manz maïs nou prosin ? Respectons-nous le lagon ou bien nou gagn enn mantalite devastater e nou pa respekte ban reglementasion ? Est-ce que nous œuvrons, dans tous les domaines, pour un développement durable ou bien zis pou zouir maximam zordi e nou pa mazin demin ? Est-ce que nous nous faisons le prochain de ceux et celles, particulièrement des plus petits et des plus faibles, que Dieu met sur notre route et qui, comme nous, sont créés à Son « image et à sa ressemblance » ?
2.b) Dieu nous appelle à être Son ami
(Gn 22, V 1-18)
À travers son amitié pour Abraham, Dieu nous fait comprendre que, Lui qui nous a créés, Il appelle chacun de nous, et tous les humains, à être Son ami. Avons-nous la chance d’avoir un ami sincère ? Pas un ami qui nous fréquente par intérêt, pou li gagn par ekzanp la boisson, nou larzan, pou nek zis bat nou bis ou bien pou al koz nou koze deor ! Non, mais un ami sincère qui est capable de nous écouter, de nous bousculer, qui valorise, et qui est toujours prêt à nous aider car il « devine » souvent ce que nous ressentons. Un vrai ami veut sincèrement notre bien, gratuitement. En retour, nous pouvons lui faire confiance et lui ouvrir notre cœur. C’est ainsi que Dieu est, d’une manière parfaite, sans aucun égoïsme, l’ami d’Abraham. Dieu est sensible à la souffrance d’Abraham et de matant Sara : ils n’ont pas d’enfant !
Dieu, malgré leur grand âge, leur promet une descendance car « rien n’est impossible à Dieu », leur ami sincère, qui veut leur bonheur. En retour, Abraham fait une totale confiance à Dieu. Il accepte même de sacrifier son fils Isaac (sourire de Dieu). Pour notre part, considérons-nous Dieu comme un ami qui veut notre bien ou comme un « maître », « un terrible » ? Dans nos difficultés ou nos épreuves, faisons-nous confiance à Dieu, l’ami des hommes, mon ami ? Jésus dit : « Vous êtes mes amis… Je ne vous appelle plus serviteurs, car le serviteur reste dans l’ignorance de ce que fait son maître ; je vous appelle amis ! » (Jn 15 vs 14). Dans notre prière, parlons- nous à Dieu comme « un ami parle à un ami » ?
2.c) Dieu nous appelle à la liberté
(Exode 15, 1-18)
Les descendants d’Abraham, d’Isaac et de Jacob ont émigré vers l’Égypte pour se nourrir et trouver du travail, car il y avait une grande sécheresse dans le pays d’Israël. Ils ont été réduits à l’esclavage par Pharaon. Dieu entend les cris de son peuple. Dieu appelle Moïse et Il libère son peuple. Souvent, dans la Bible, nous entendons Moïse dire au peuple : « Pa blie to ti esklav dan pei lEzipt : Yahve Bondie inn sov toi. » Nou bann gran dimounn inn viv egalman dram lesklavaz, un crime contre l’humanité.
Bien plus tard, à partir des années 1950, il y a eu un grand mouvement pour l’indépendance des pays, comme l’Inde ou les pays africains, afin de se libérer de la domination coloniale. Nous, ici à Rodrigues, après tout un travail de conscientisation et de revendication, nous avons accédé à l’Autonomie en 2002. Autant de luttes de la part des humains pour prendre leur vie en main.
Même si c’est très différent de l’esclavage vécu par nou bann gran dimounn, il y a aujourd’hui de nouvelles formes d’esclavage : pensons à nos frères et sœurs qui émigrent vers Maurice et dont une grande partie vit dans des conditions de logement indignes de la dignité humaine ; aux personnes surendettées par la surconsommation ou pou fer pariaz ; aux personnes enchaînées par l’alcool ou la drogue.
Par ailleurs, des personnes confrontées à de gros problèmes − maladie, solitude affective, manque de considération − se laissent enchaîner dans la superstition ou par certains groupes qui profitent de leur faiblesse pour les manipuler. De même que Dieu appelle Moïse pour libérer son peuple, de même aujourd’hui, ce même Dieu appelle chacun de nous à la liberté et Il nous appelle à nous libérer les uns les autres. À l’occasion des 40 ans de la LOAC nous avons pris conscience comment à travers des actions et prises de parole, les membres de ce mouvement ont été des « instruments » de libération au cœur de la société rodriguaise. Pensons, entre autres, à leurs actions pour un meilleur service postal, au sein de la PTA, pour une distribution équitable de l’eau, le transport, la défense de l’écologie, la conscientisation par rapport à l’exode….
Aujourd’hui encore, Dieu ouvre la mer en deux pour que nous puissions prendre la route de la liberté en faisant alliance avec nous. Zordi ankor Bondie kontinie alim enn dife lamour pou ekler nou larout comme la colonne de feu éclairait la route du peuple Hébreu dans le désert. Comme Myriam, anou fer sonn nou tanbour pou tou bann dimounn ek mouvman/lasosiasion ki pe reponn lapel Bondie pou kass nou bann lasenn.
2.d) Dieu nous appelle sans cesse à nous renouveler (Ezéchiel 36, 16-28)
L’expérience nous montre que cela prend du temps pour devenir vraiment libres. Par exemple, nous sommes trop souvent dépendants de ce que les personnes pensent
de nous : ki dimounn pou dir ? Par ailleurs, nous nous fabriquons des faux dieux, des idoles : nou fer pariaz aste bagaz, enn sexialite debride, gourman lalkol ou fim ladrog, exploitasion bann pli pov pou gagn touzour plis larzan, manipil dimounn pou gagn pouvoir politik. Dieu, au cours de l’histoire, appelle des prophètes et des prophétesses − Amos, Isaïe, Deborah,
Jérémie, Ezéchiel − pour dénoncer les injustices, ceux qui les commettent, et pour dire qu’il est du côté de ceux qui souffrent. Connaissons-nous des prophètes de notre temps ?
Que dénoncent-ils ?
Nous devons aussi nous poser cette question (…) si importante pour l’avenir de l’humanité et de notre société rodriguaise : quelles sont les causes les plus profondes
de tous les désordres qui peuvent exister dans le monde ? Pour la Bible, la racine de tout le mal est que les humains se méfient de Dieu ; oui, comme nous le raconte la parabole d’Adam et Eve, nous soupçonnons Dieu.
Nous doutons que le Seigneur veuille notre bonheur. Alors nous ne mettons pas nos pas dans les pas du Seigneur. C’est cela que le Nouveau Testament désigne par le mot péché. Le prophète Ezéchiel (…), dénonce avec force les égarements du peuple de Dieu : le sang versé par les crimes, la profanation du pays par les idoles, la souillure du pays par des mauvaises conduites. Par ailleurs, Ezéchiel annonce que Dieu va intervenir et nous purifier en versant sur nous une eau pure. Ainsi promet Dieu : « J’enlèverai votre cœur de pierre et je vous donnerai un cœur de chair », c.-à-d. un cœur nouveau. Alim enn dife lamour !
Je vous invite, si vous en avez l’occasion, à vous rendre
auprès d’une source. Là, faites silence ; offrez à Dieu vos impuretés et accueillez l’Esprit-Saint, l’eau vive, pour que le Seigneur puisse vous « laver », et donc vous transformer en profondeur. N’hésitez pas ensuite à aller à la rencontre d’un prêtre, lui pécheur comme vous, pour qu’il vous donne (…) le pardon de vos péchés. Lors de la veillée pascale, le prêtre bénit l’eau qui servira pour le baptême, sacrement qui nous greffe sur Jésus, lui qui nous renouvelle en profondeur.
2.e) Dieu nous appelle en Jésus à être ses fils et ses filles
(Romains 6, 3-11)
Il ne s’agit pas simplement d’une adoption juridique. Nous devenons, par Jésus, le fils unique, réellement, pleinement, pour ainsi dire « biologiquement » fils et filles de Dieu le Père. C’est la raison pour laquelle saint Paul nous dit que nous n’avons pas reçu un esprit qui nous rend
esclaves et nous ramène à la peur, mais un Esprit qui fait de nous « des fils adoptifs et par lequel nous crions : Abba, Père-‘Papa’ » (Romains 8 vs 15). Saint Augustin (354- 430), dans un sermon le jour de Noël nous dit : « Son fils unique, Dieu en fait un fils d’homme et, en retour, Il transforme des fils d’homme en fils de Dieu. » Dans la lecture de la lettre aux Romains que nous écoutons au cours de la grande nuit pascale, Paul nous partage sa foi : « Pensez que vous êtes morts au péché (la racine de tout mal dans le monde) et vivants pour Dieu en Jésus-Christ » (Romains 6 vs 11). En accueillant Jésus sincèrement dans la foi, nous pouvons dire à la suite de Paul : « Si quelqu’un est en Christ, il est une nouvelle créature » (2 Corinthiens 5 vs 17).
Ainsi, croire en Jésus et à la suite de Jésus, avoir la foi, n’est pas une théorie mais une expérience : nous devenons ce que nous croyons. Mettons-nous, comme Marie-Madeleine, Jeanne et Marie, mère de Jacques qui se rendent au tombeau le dimanche après la mort de Jésus, notre confiance dans les messagers de Dieu qui leur annoncent que « Jésus n’est pas ici, il est Ressuscité » (Luc 24 vs 6) ? Ou bien, pensons-nous, comme les apôtres, que c’est du délire ? Prenons nous les moyens pour approfondir notre amitié avec Jésus ? Dans notre manière de parler, d’agir et de vivre nos responsabilités est-ce que nous nous laissons guider par Jésus Le fils de Dieu ?
2. f) Dieu nous appelle à faire Église
(Actes des Apotres 2, 1-11)
Le premier fruit de l’Esprit-Saint après la Résurrection de Jésus est de nous avoir appelés à faire Église. L’Église n’est pas une invention humaine. Elle n’est pas une
association des amis de Jésus pour maintenir vivante sa mémoire ! C’est Dieu, notre Père qui, par la puissance de l’Esprit-Saint, nous rassemble autour de Jésus Ressuscité pour faire Église. L’Église qui existe depuis 2 000 ans, depuis le jour de la Pentecôte, est la communauté de ceux et celles qui ont répondu à l’appel du Seigneur et qui mettent leur confiance en Jésus. Personnellement et en Église, nous sommes appelés par le Seigneur et c’est cela la source de notre joie. Le Concile Vatican II (…) nous rappelle que l’Église est d’abord et avant tout le « peuple de Dieu ». Ce qui est premier, c’est le « nous », la communauté. « Le Christ, unique médiateur, a établi et soutient sans cesse ici-bas sa sainte Église, qui est une communauté de foi, d’espérance et de charité » (LG no 8.).
Le Seigneur nous rassemble en vue de quelle mission ? Bondie pa apel nou koman disel pou ress dan korne ou dan bokal. Si li apel nou, se pou ki nou donn gou Levanzil dan sosiete kot nou pe viv. Se la rezon pou lakel li inportan konpran nou sosiete, so bann evolision, so ban difikilte ek so aspirasion pou ki dan sa sosiete-la nou disel ek lalimier Zezi.
3. Des appels diversifiés au service de la mission.
3. a Comme je le soulignais dans mon homélie à l’occasion de l’ordination du père Louis-Daniel Milazarre, au sein de l’Église « peuple de Dieu », il y a « des appels » − appels diversifiés − du Seigneur afin que l’ensemble de la communauté puisse vivre sa mission : témoigner de l’Évangile. Nous avons eu la joie de fêter en novembre 2012 les 25 ans d’engagement de Verlaine Saint-Pierre comme laïque consacrée ; le 2 décembre, Sr Mary-Anne Agathe a prononcé ses vœux définitifs au sein de la Congrégation des Filles de Marie ; des couples, malgré un taux alarmant de divorce, font confiance à l’appel de Jésus et acceptent de témoigner de l’Amour (…) en s’engageant dans le sacrement du mariage. Des laïcs, au sein des mouvements et services d’Église, vivent de vrais ministères, si importants pour la vitalité de l’Église et donc pour sa mission d’évangélisation. Dans ce contexte « des appels » il y a l’appel du Seigneur pour le sacerdoce ministériel, c.-à-d comme prêtre, sacrement de Jésus le Bon Pasteur.
3. b Rendons grâce au Seigneur, en ce temps du 10ème anniversaire du vicariat apostolique de Rodrigues, pour Antoinette Prudence et tous les laïcs engagés au cœur de la société rodriguaise et dans les services , mouvements et institutions ecclésiales ; pour Sr Désirée et toutes les religieuses, ici à Rodrigues, et en mission ; pour les couples ; pour le diacre Teddy Labour, pour les prêtres rodriguais missionnaires et leurs confrères locaux et mauriciens travaillant dans bitation du Seigneur chez nous.
3. c Antoinette Prudence ti kontan dir nou pou ki bann mamb enn fami devlope, que la famille soit heureuse et qu’elle joue son rôle dans la société, il est essentiel que chacun fasse so par louvraz dan fami. Ena pou kui manze, enn lot lav linz, enn lot ankor balie lakaz ek lakour, enn lot nouri koson ek lav park … Parey pou legliz fami Bondie. Sakenn, invite repon lapel ki Bondie adres li, donn so koudmin, pou ki tou la kominote ress vivan e zoue so rol dan sosiete.
3. d Toi qui es un enfant, jeune ou adulte, à quoi Jésus t’appelle ? Prends les moyens de te mettre à son écoute pour entendre son appel. N’hésite pas à te confier à un prêtre, une religieuse, un laïc, en qui tu as confiance. Au sein de l’Église, encourageons-nous les uns les autres, n’hésitons pas à solliciter la participation des personnes pour les services nécessaires à la vie de la communauté, encourageons les jeunes à se regrouper au sein de GDR (Groupe de Recherche) du CPM, afin de découvrir leur vocation particulière. Suivre Jésus est une aventure humaine passionnante. Jésus ne nous promet pas une route facile. Il nous promet d’être toujours avec nous comme Il est présent auprès des disciples d’Emmaüs.
4. Dieu nous appelle pour nous envoyer
4. a À la fin de la cérémonie de la veillée pascale, nous repartons à la maison avec nos bougies allumées ek nou boutey delo beni. Et nous renouvelons notre engagement baptismal. Dieu appelle chaque baptisé (je), en lien avec les autres baptisés (nous), à être « sel et lumière » afin que toute l’humanité puisse partager la même table du Seigneur dont la table (l’autel) de la messe nous donne un avant-goût.
Nous repartons dans la nuit, c.-à-d avec nos soucis, nos difficultés, mais aussi nos rêves et défis. Sur cette route humaine, la bougie allumée nous rappelle que nous ne sommes pas seuls. Jésus Ressuscité est avec nous. Cela change tout ! C’est cette Bonne Nouvelle que Jésus nous appelle à partager. En cette Année de la Foi, en communion avec les chrétiens du monde entier, disons oui à notre vocation baptismale, oui à notre vocation particulière pour le service de tous, afin que nous soyons « sel et lumière ».
Votre frère et votre évêque,
Mgr Alain Harel
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