Jean-Yves Violette, Guyto Devalet et le père Filip Fanchette nous donnent leur point de vue sur l’évolution de la communauté créole ces vingt dernières années.
Une évolution très positive de l’affirmation de l’identité culturelle à l’intérieur de la communauté créole. Tel est le constat de Jean-Yves Violette, assureur de profession qui s’intéresse particulièrement à la cause des Créoles. L’identité culturelle est importante dans la construction de la personne humaine, estime notre interlocuteur qui ne manque pas de saluer les organisations qui ont milité en ce sens.Aujourd’hui, dit-il, le Créole affirme avec fierté son appartenance à la grande famille que constitue la communauté. Non seulement les différentes composantes s’acceptent mieux, mais elles adhèrent aux valeurs créoles, poursuit Jean-Yves Violette. Ces valeurs, notre interlocuteur les définit comme étant : l’attachement intime à la religion qui fait l’identité culturelle du Créole. Par ailleurs, ce dernier reconnaît et accepte aujourd’hui son histoire et n’a pas peur de le dire. Ce qui se traduit dans son sens du partage, son attitude ou encore son ouverture aux autres et son patriotisme, rappelle-t-il.
Cette attitude conduit alors le Créole à être de plus en plus détaché des fardeaux qu’il porte, précise Jean-Yves Violette. Quels sont ces fardeaux ? Notre interlocuteur les définit ainsi : une absence d’identité culturelle, un manque d’estime de soi et de confiance, un manque de reconnaissance de sa culture et de son histoire. De plus, dit-il, les clichés que l’on colle
à la communauté créole tombent de plus en plus. Le regard de la nation mauricienne a évolué.
Les frustrations au sein de cette communauté sont toutefois légitimes, précise Jean-Yves Violette. « Si pour une raison politique, certains Créoles n’ont pas d’emploi, c’est normal qu’ils vont tomber dans l’oisiveté et s’il existe la marginalisation dans l’éducation, les enfants de certaines écoles se décourageront. Sans parler de l’absence très regrettable du Créole dans la fonction publique. » Heureusement, dit-il, les Créoles ne baissent pas les bras et la communauté avance.
Reconnaissance des droits
L’avion est sorti du hangar, va-t-il voler enfin ? Ou va-t-il se contenter de rouler sur la piste ? Phrase qui traduit la pensée du père Filip Fanchette, lui qui a aidé à remettre la communauté créole sur pied peu après l’Indépendance du pays et les bagarres raciales. L’évolution des Créoles passe d’abord par la reconnaissance de leurs droits, précise notre interlocuteur.
Donner à la culture créole la place qui lui revient paraît trop souvent comme étant une concession, se lamente le père Fanchette. « Ce n’est pas une question de ki afer. Faire des concessions, c’est mal traiter une culture. » Les duty bearers, à l’exemple de l’État et de l’Église, doivent faire en sorte de créer les conditions pour la pleine jouissance des droits culturels, sociaux et économiques du Créole et en même temps, éliminer tout ce qui porte atteinte à ses droits, juge le père Fanchette.
Malheureusement, déplore-t-il, il y a toujours beaucoup de paroisses où les célébrations sont majoritairement en français, un français difficile malgré les magnifiques traductions des textes en créole et la grande richesse des chants créoles. La conception de la culture reste encore très étriquée, dit-il. « La fierté dans son identité culturelle est la clé pour qu’une communauté prenne en main son destin. »
Que pense-t-il de l’entrée de la langue créole à l’école ? Ce n’est surtout pas pour que les enfants créoles réussissent mieux, dit-il, mais pour la reconnaissance de leur identité culturelle. Faire croire à un enfant que sa culture ou encore ce qu’il vit tous les jours n’a pas de valeur affecte physiquement son cerveau, relate le prêtre. « L’enfant doit passer un temps fou à faire des koustik entre ses tripes, ses ressources internes et cet ‘ailleurs’ qu’on lui présente comme supérieur. »
« On n’est pas en train de rattraper le retard. Au contraire, l’écart est en train de s’élargir. » Constat négatif de Guyto Devalet, professionnel des Finances, qui juge qu’il faut un More Equal Opportunities. « On ne peut courir à la même vitesse que les autres si on veut rattraper le retard.»
Il reconnaît certes les efforts quant à l’empowerment créole et salue les diverses initiatives, mais il juge qu’il y a encore beaucoup à faire dans ce domaine. « Le plus grand problème
du Créole est le déni de son identité. En même temps, dire que tout le monde est créole est un manque de reconnaissance de cette identité. »
Ce n’est pas la manne
Président du Groupe Scope, organisme qui défend la cause éducative des enfants à Sainte-Croix, région où habitent majoritairement les Créoles, notre interlocuteur suit de très près à tout ce qui se passe dans le secteur éducatif. Il trouve que de plus en plus, le nombre d’enfants créoles qui fréquentent par exemple le collège Royal de Port-Louis, où lui-même a été scolarisé, diminue. Idem pour les autres Star Colleges.
Guyto Devalet trouve que les séquelles de l’esclavage perdurent. Le salut, dit-il, passe par une prise de conscience. Il faut une structure nationale, qui dépasse le cadre religieux et politique, mais en même temps en association avec ces derniers, qui pourrait élaborer un plan stratégique à long terme pour l’avancement de la communauté créole. « Où veut-on aller et quels sont les moyens qu’on peut se donner ? »
Par ailleurs, la grosse lacune dans la communauté est qu’il y a un manque de réseaux, de network list. « Exemples : pour des bourses d’études à offrir, des formations intéressantes ou encore des postes vacants. Beaucoup de personnes ne sont pas au courant. » Pour pallier aux problèmes, on a besoin de solutions durables et pas de Panadol, avance notre interlocuteur qui pense fermement que la communauté a un grand besoin de s’équiper.
Il trouve dommage que les Créoles soient aussi réservés sur la question de la politique. « Il y a un éveil à faire dans ce sens. De plus, la communauté doit se débarrasser des clichés qui lui sont attachés. » Guyto Devalet juge que pour réussir, la communauté créole doit passer par une indépendance économique. « Et la réussite se programme, ce n’est pas la manne qui tombe du ciel. »
Le souhait de Jean-Yves Violette est, d’une part, que le Créole soit de plus en plus conscient de son apport à la construction de la nation mauricienne, et d’autre part que la nation lui rende sa reconnaissance, tant au niveau de son histoire, de son passé, de son présent et de son futur. « Enn zour nou tou pou vinn kreol » en termes de métissage, d’inclusion, d’acceptation, d’intégration entre autres.
Le rêve du père Fanchette est de voir renaître la « Mission créole », lancée en l’an 2000 mais très vite enterrée. « On parle de la Mission catholique chinoise ou de l’Indo Mauritian
Catholic Association mais on refuse qu’une organisation d’Église puisse se dire créole. »
Sandra Potié
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