Nous voilà réunis, dans cette vénérable Maison Carné, devenue, par la grâce de Dieu, Institut-Cardinal-Margéot, pour rendre hommage à Amédée Nagapen, pour présenter au Peuple de la Nouvelle Alliance, à Maurice, sa dernière rédaction, l’ultime service qu’il nous rend, sa dernière action de grâce terrestre. Je veux parler de sa biographie de l’abbé Tristan Bardet, 1829-1884, lauréat de la Bourse d’Angleterre, en 1849.Pour rendre hommage de manière exhaustive à Amédée Nagapen, il me faudrait du temps et de la place pour mettre en exergue, les différentes facettes de sa fabuleuse vie terrestre et parler successivement des faits suivants : père chauffeur de taxi à Curepipe, mère d’une piété exemplaire, écolier et collégien assidu, profitant du moindre instant d’instruction pour élargir le champ de ses connaissances générales et de sa mémoire difficile à mettre en défaut, le condisciple de Gaëtan Duval au Collège Royal de Curepipe, cet Alma Mater des années 1940, boy-scout d’Henri van Kesteren, avec Lindsay Furlong, Gérard Nulliah, Jean Gellé, Mignon Nursoo, dans notre première troupe de scouts de couleur, la 1re Saint-Louis, l’appel à la vocation sacerdotale, les études ecclésiastiques au séminaire colonial de la rue Lhomond, à Paris. A ce propos, comment ne pas ressentir une passion pour la généalogie, quand on a le privilège d’effectuer des études supérieures dans la Maison-mère des Pères du Saint-Esprit ?
Je reprends mon énumération. Le retour d’Amédée comme prêtre à Maurice, en 1955, l’apprentissage paroissial, à Beau Bassin, auprès du chanoine Philippe Rivalland de didactique mémoire, ses premières armes pastorales à Notre Dame de la Délivrande et à Bel Air Rivière Sèche, l’intérêt hiérarchique pour ce jeune abbé, à la fois si prometteur et si discipliné, son intérêt pour les études sociales, sa nomination méritée comme vicaire général, sa direction rédactionnelle éclairée de La Vie Catholique, pendant les années de braise, quand il doit dénoncer, entre autres, le boycott du Mauricien d’André Masson et l’état d’urgence que lui impose, entre autres, son condisciple, Gaëtan Duval, les insultes dravidiennes qui lui sont lancées à la figure, la création de l’Institut pour le Développement et le Progrès, la promotion des Credit Unions, les conseils avisés donnés à Jean Margéot et à tant de confrères et déjà, dans ses rares heures de loisirs, le nouvel appel divin, ressenti et entendu, de reprendre la plume déposée par Mgr Joseph Mamet et le lui succéder, non pas comme archiviste du diocèse – je n’ai pas souvenance que ce titre lui ait été officiellement donné – mais comme chroniqueur officieux des Actes des Apôtres de Maurice.
Comme on ne m’accorde qu’un quart d’heure pour rendre hommage à un Amédée Nagapen, je me résous à vous entretenir que de cette dernière facette des multiples vies pastorales d’Amédée Nagapen. Je le fais d’autant plus volontiers qu’il est présentement question, en attendant la longue suite de ses publications posthumes, de sa dernière oeuvre, celle qu’il consacre à un autre prêtre du Collège Royal, Tristan Bardet, venu au monde tout juste un siècle avant lui. En me restreignant à n’évoquer que la dernière biographie d’Amédée, cela me dispense, le terme est ici approprié, de vous détailler les différents éléments de sa bibliographie. La liste aurait été encore plus longue que celles des différentes facettes de sa vie. C’est dommage, en un sens, de ne pas pouvoir le faire car passer en revue les innombrables études d’Amédée, nous fournit l’occasion d’effectuer une véritable tournée pastorale de l’Eglise du Christ à Maurice, l’occasion de chanter encore : « Que tes œuvres sont grandes…Que tes œuvres sont belles »…Rassurez-vous je ne compte pas me mettre à chanter, n’étant même pas sûr de pouvoir vous enchanter.
Commençons par le sous-titre du livre qu’Amédée consacre à Tristan Bardet, le deuxième prêtre mauricien : « Lauréat de la Bourse d’Angleterre ». Il sous-entend donc le Collège-Royal car avant la Seconde Guerre mondiale, il fallait être « royaliste » pour pouvoir être lauréat.
Il faut savoir que si le colonialisme anglais perpétue la tradition française du Lycée, d’abord Colonial, puis Impérial, avant de devenir notre Collège Royal, c’est parce que les colonialistes anglais sont assez paresseux pour pressentir qu’ils auront besoin de sous-fifres mauriciens, pour exécuter les charges professionnelles et administratives qu’ils seront trop heureux de leur imposer. Pour ne pas devoir perdre leur précieux temps, ni hypothéquer leur sacrosainte tradition du Five-o-Clock Tea Party, il convient que ces futurs hauts fonctionnaires mauriciens soient dûment formés, afin d’être capables de justifier leur appartenance au service civil de Sa Majesté. Le droit ne nous sera jamais accordé d’accéder au service militaire de Sa Glorieuse, sauf quelques rares exceptions, confirmant cette règle également sacrosainte.
Former les futurs civils servants de Sa Majesté britannique. Voilà l’objectif initial prévalant à l’anglicisation du Lycée impérial de l’Isle de France. On peut aller plus loin et parler plus méchamment encore de l’unique objectif, aux yeux du colonialisme anglais, pour l’ensemble de notre système éducatif. Car quelle utilité, en effet, pour ces colonialistes d’éduquer des Mauriciens qui n’auront aucune chance d’être recrutés comme civil servants. Aucune nécessité, par conséquent, de créer le moindre établissement scolaire autre que le Collège Royal, puisque la fonction publique, à l’époque moins pléthorique que nos jours, ne garantit pas recruter la totalité des élèves de cet Alma Mater mais seulement son élite. Naturellement nul besoin de créer un collège pour filles puisque la fonction publique colonialiste ne recrute guère, alors, au sein de la gent féminine. Heureusement pour nous, des congrégations religieuses et d’autres initiatives pédagogiques particulières, parfois laïques, suppléeront à l’étroitesse de vue éducative de nos colonialistes anglais.
Ces derniers pensent quand même allouer une bourse d’études supérieures, en Angleterre, aux majors de promotion du Collège Royal, nos lauréats. Sainte tradition, dévoyée par la suite, remontant quand même à 1818. Il arrive donc aux colonialistes anglais de sortir momentanément de leur pragmatisme inné, pour revêtir une passagère apparence de philanthropie. Ne médisons pas plus longtemps et soyons fair play. Entonnons un nouveau chant d’actions de grâces, un nouveau magnificat « litanique », pour tous les professionnels émérites, faisant honneur à notre pays, tous ces féconds bienfaiteurs, que nous vaut cette fameuse Bourse d’Angleterre. Rassurez vous, je ne compte pas, ici, énumérer la longue liste de nos lauréats, dont le nombre a tendance à se multiplier malencontreusement, au point de perdre toute valeur et signification.
Jusqu’à la Seconde Guerre mondiale, un dicton prônait, à Maurice, que le lauréat était tout et son suivant rien. Le malheureux, se classant juste après l’heureux élu boursier, pouvait, au mieux, prétendre à une haute place dans la hiérarchie administrative.
C’est dire toute la grandeur d’âme de Tristan Bardet qui renonce à l’incroyable possibilité qui lui est offerte de devenir un de nos meilleurs avocats, médecins ou ingénieurs, pour répondre à sa vocation sacerdotale.
Les temps ne sont heureusement plus quand on pensait encore : « tout pour le lauréat et rien pour les suivants ». Cela ne diminue en rien les mérites de nos autres prêtres-lauréats, Henri Espitalier-Noël, Michel Boullé et Philippe Goupille. Le secteur privé offre heureusement, aujourd’hui, les débouchés professionnels mais surtout financiers, supérieurs à ceux de la fonction publique. Il nous suffit de comparer les plans de carrière des condisciples professionnels de Michel Boullé et de Philippe Goupille, pour prendre conscience de l’ampleur du sacrifice pécuniaire, pour ne pas parler d’autres réconforts familiaux, auquel ils consentent pour se consacrer totalement au service du Peuple de Dieu à Maurice. L’on peut dire autant des autres prêtres à l’œuvre à Maurice. Leurs mérites est d’autant plus grand qu’ils sont méconnus, incompris, ignorés méprisés, vilipendés. Nombre de prêtres, à Maurice, traînent derrière eux la triste réputation d’être perpétuellement en train de demander de l’argent à leurs ouailles. Il serait peut-être souhaitable que l’un d’entre eux pousse une gueulante et s’écrie : » Bande de chrétiens et de crétins, savez-vous seulement combien d’argent je me ferais, à la fin de chaque mois, si seulement je n’avais pas répondu à ma vocation sacerdotale, pour me consacrer au Peuple de Dieu à Maurice ». L’injustice, qui leur est ainsi faite, est d’autant plus grande, qu’il ne mendie pas dans leur intérêt mais dans celui des paroisse et des oeuvres qui leur sont momentanément confiées. Ils mendient dans notre intérêt et nous leur couvrons de sarcames. Je n’ai certes aucun conseil à donner à qui que ce soit. Permettez-moi quand même de dire que nos prêtres ont parfois le droit de se mettre en colère, à condition toutefois d’entrer dans une sainte colère.
Le regard des ouailles rouspéteuses à l’égard de leur pasteur, mendiant d’occasion, pourrait évoluer si nos paroisses et autres œuvres pastorales avaient à recruter par elles-mêmes des prêtres-serviteurs, au lieu de se tourner les pouces et maugréer : Maurice Piat bisoin avoye nous ène lotte prêtre, pou remplace Père Intel ou Intel.
Voilà donc ce Tristan Bardet que nous dépeint Amédée, dans sa dernière biographie. Celle-ci est donc foncièrement une action de grâces pour ce condisciple du XIXe siècle, qui renonce à une vie d’aisance et de réussites matérielles et terrestres, pour devenir un moissonneur de Dieu, un vigneron du Christ, un Bon Berger inspiré, l’instrument de l’Esprit Saint, à Maurice.
Tristan Bardet n’est peut-être pas le prêtre de plus connu de notre XIXe siècle. Nous nous souvenons plus particulièrement d’un Hyppolite Déroulède, précurseur du Père Laval dans le district de Flacq, de l’Apôtre de Maurice, de Michael Comerford, d’Emilien Harel, les deux pères fondateurs de toutes nos paroisses des Plaines Wilhems, de Hyacinthe Gonin, premier évêque mauricien, de Xavier Masuy, le Henri Souchon du XIXe siècle. Sont-ils pour autant des serviteurs, plus féconds et plus fidèles, aux yeux de Dieu notre Père et Juge infiniment miséricordieux.
Et c’est là que nous avons l’immense joie de retrouver notre très regretté Amédée Nagapen, dans le regard miséricordieux, plein d’une divine bonté, qu’il pose sur les mille et un serviteurs de Dieu à Maurice, sur les mille et un Apôtres du Christ sur la terre mauricienne, sur les mille et une de nos actions pastorales, consolidant d’autant l’action de la grâce divine parmi nous, fortifiant sa présence sacrée sur la terre promise qu’Il donne à nos aïeux et que nous aurons à léguer aux enfants de nos enfants, après l’avoir fructifiée, afin qu’elle rende au centuple les bienfaits reçus.
Comme je ne suis plus à une hérésie près, je ne crains pas de m’avancer imprudemment, étant désormais à l’abri des coups de crosse. J’ose situer l’œuvre d’Amédée Nagapen dans la lignée des chroniqueurs, des scribes, des psalmistes, des prophètes bibliques, racontant aux générations passés et à venir, l’Histoire sainte du Peuple de Dieu sur notre Terre et donc à Maurice
Je sais qu’il est de bon ton au Vatican de proclamer que l’Apocalypse clôt définitivement la Bible, contenant la Parole inspirée que Dieu veut bien nous confier. L’Histoire Sainte n’est pas achevée pour autant. Les Actes des Apôtres ne sont pas seulement un livre à étudier, à méditer. C’est une histoire qui se poursuit, aujourd’hui encore, à Maurice et ailleurs sur notre Terre, qui est parfois si jolie, comme le disait le prophète Pierre Prévert. Il appartient aux âmes bien nées, dont Amédée Nagapen, de se consacrer au récit détaillé de cette geste de Dieu parmi les hommes d’aujourd’hui, pour notre édification, pour notre salut. L’oeuvre d’Amédee est sainte parce que foncièrement inspirée par l’Amour infini que Dieu Notre Père porte à ses enfants et serviteurs mauriciens. Son histoire est sainte parce qu’il n’était pas homme à prendre sa plume, sans avoir ouvert son âme à l’inspiration et à la grâce divines. Ses écrits sont prières et vice-versa.
Je salue, en Amédée Nagapen et en Joseph Mamet, des chroniqueurs inspirés qui nous apprennent à voir, avec les yeux de Dieu Notre Père, l’histoire sainte de son Peuple à Maurice. Qu’Il soit loué et béni, par la sainte œuvre de ses biens aimés serviteurs, Amédée Nagapen et Joseph Mamet. Qu’Il daigne leur faire une place de choix, parmi les chroniqueurs de la Bible, auprès de ses évangélistes et autres porte-parole.
Yvan Martial
Visiting Mauritius for the first time it was with great joy that I read your article finding the name of my uncle Henri van Kesteren. Especially connecting his name with the boy scouts. He was so very proud about it! He liked to do this work.
He died is 1994. When he came to the Netherlands for holidays he always stayded in our house.
He still lives in our memory…
Marianne van Kesteren