Quand Jésus proclame le texte d’Isaïe à Nazareth, quel était le contexte social dans lequel les gens de Nazareth entendent cette parole ?
a) Frustration chez les Juifs
– Occupation du pays par Romains
– Petits fermiers étaient taxés très lourdement
– Certains Juifs collaboraient avec les Romains, devenaient fonctionnaires et profitaient de la situation comme Zachée, Mathieu
b) Attente dans le peuple
– Attente d’un libérateur
– Attente projetée sur tous ceux qui prenaient le parti des petits, v.g., Jean-Baptiste – on a cru qu’il était le Messie et il a eu à rectifier cela plusieurs fois. Jésus, au début de son ministère, « une grande rumeur se répandit à son sujet ».
c) Tensions entre plusieurs tendances dans peuple Juif
– Zélotes – violence pour chasser Romains
– Pharisiens – obéir à la loi et Dieu nous libérerait du joug
– Grandes familles – faut collaborer avec Romains
- Quel est le contexte social dans lequel nous à Maurice aujourd’hui, nous sommes en train d’entendre cette même prophétie d’Isaïe ?
a) Chez nous aussi, comme au temps de Jésus, il y a de la frustration
– Grandes inégalités sociales – l’écart des salaires a explosé
– Alors que certains s’enrichissent, d’autres deviennent plus pauvres
– Une administration compliquée et tatillonne met des bâtons dans les roues et bloque l’élan de ceux qui veulent lutter contre la pauvreté
– Le communalisme gagne du terrain
– Une corruption effrénée gangrène notre société et reste largement impunie.
b) Une surpolitisation de la vie socio-économique, académique, artistique, sportive et même religieuse, bloque le dynamisme et l’initiative des citoyens qui ont à cœur le développement humain de notre société.
Cette surpolitisation entraîne une dévaluation de la politique
– qui tourne en rond dans une course stérile au pouvoir
– qui perd sa dignité en se laissant aller à des transactions à peine voilées dans un marché aux courtisans qui fait monter les enchères comme dans une vente à l’encan.
c) Devant ce triste spectacle, les gens sont fatigués. Différentes réactions apparaissent
– certains souhaitent un printemps mauricien un peu comme un printemps arable…
– d’autres disent que les religions doivent assumer leur responsabilité et moralise le peuple pour éviter dérapages
– d’autres pensent qu’on ne peut combattre le communalisme qu’en jouant soi même la carte communaliste
– quelques prophètes, hélas peu écoutés dans leur pays, parlent encore de mauricianisme.
- Dans ce contexte tendu de la Palestine du temps de Jésus comme dans le contexte de l’île Maurice aujourd’hui
a) Le texte d’Isaïe pourrait être compris de plusieurs façons
b) D’autant plus qu’au temps de Jésus, la grande attente du peuple était concentrée sur Jésus du moins, à Nazareth « tous avaient les yeux fixés sur lui »
c) Et quand Jésus dit « cette parole que vous venez d’entendre, c’est aujourd’hui qu’elle s’accomplit », les gens devaient s’attendre à quelque chose de spectaculaire.
– Notre question : comment Jésus accomplit cette parole de l’Ecriture en son temps ? Cette question est importante pour nous parce que nous aussi nous sommes appelés à « accomplir cette parole dans le contexte mauricien » et nous devons nous inspirer de la façon dont Jésus l’a accomplie en son temps.
– Pour annoncer la Bonne Nouvelle aux pauvres, Jésus n’a pas cherché le pouvoir (ni politique, ni économique, ni pouvoir du nombre) ; il a été plutôt un semeur. Il a semé l’amour, le service gratuit partout où il passait – au bord du chemin, parmi terrains rocailleux et pleins d’épines ; il a semé en se donnant lui-même gratuitement, il a été le grain de blé tombé en terre qui doit mourir pour porter du fruit ; et si cette semence attire les gens, ils peuvent aller semer eux aussi
– Nous aussi, aujourd’hui, pour annoncer aux pauvres la Bonne Nouvelle, ce n’est pas le pouvoir, la considération, le succès, qui va nous aider. Ce qui est attendu de nous c’est devenir des semeurs comme Jésus.
- Prenons un seul exemple : à la fin de sa vie, le Jeudi Saint, Jésus a voulu accomplir cette parole en posant un geste d’une simplicité désarmante, mais qui récapitule tout le sens qu’il a voulu donner à sa vie et à sa mission de Sauveur des hommes.
Alors que la tension politico-religieuse est palpable dans les rues de Jérusalem où afflue une foule de pèlerins ; alors que les supputations vont bon train sur le sort que les autorités réservent à Jésus ; alors que dans les officines du pouvoir et des différents partis on discute dur et des complots commencent même à se tramer, Jésus lui, au cours d’un repas qu’il prenait avec ses disciples, se lève de table et se met à laver les pieds de ses apôtres.
Ce geste humble de serviteur a traversé les siècles comme un des grands signes de la Bonne Nouvelle annoncée aux pauvres : le signe qui ouvre nos yeux d’aveugles sur le poids déterminant de l’amour gratuit de Dieu dans le salut des hommes. Cet amour humble et discret qui s’exprime dans ce geste de serviteur posé par Jésus a en fait une grande puissance dans sa discrétion même. Il nous touche, au plus profond de nous-mêmes, il nous libère de nos peurs et de nos inhibitions et nous donne la force, le goût de nous laver les pieds mutuellement et de semer ainsi un peu de gratuité pour contribuer à l’avènement d’une société plus humaine et plus fraternelle.
- Un détail du récit nous fait découvrir le sens profond que Jésus veut donner à ce geste qu’il pose. Quand Jésus arrive devant Pierre, celui-ci est choqué de voir Jésus s’humilier ainsi et il refuse que Jésus lui lave les pieds. Dans un premier temps, Jésus le prend avec douceur et l’invite à lui faire confiance « plus tard tu comprendras ». Mais Pierre est têtu. Il est tellement choqué de voir son Maître se mettre à genoux devant lui qu’il répète avec force « Non, tu ne me laveras pas les pieds, non jamais ». Alors Jésus lui dit cette parole énigmatique « Si je ne te lave pas, tu n’as pas de part avec moi ». Qu’est-ce que cela veut dire ?
a) Avec les Pères de l’Eglise, on peut comprendre le lavement des pieds comme « un sacrement » – non pas un 8e sacrement -, mais plutôt comme le signe choisi par Jésus pour manifester la totalité du service qu’il veut accomplir pour notre salut, le signe qui révèle le sens profond de sa vie et de sa mort, une vie où il n’a pas cherché à être servi mais à servir et à donner sa vie en rançon pour la multitude (cf. Mc 10, 4-5).
b) Ce geste de serviteur que Jésus pose au cours de son dernier repas nous révèle en fait le vrai visage de Dieu. Il est comme le sommet de l’incarnation. Il nous faut prendre au sérieux la parole de Jésus « qui me voit a vu le Père ». Comme Pierre, nous ne sommes pas habitués à penser à Dieu comme à un serviteur qui se met à genoux devant des pécheurs pour leur laver les pieds. Mais si dans la foi nous nous accueillons cette bouleversante révélation de l’humilité de Dieu, alors comme dit Jésus, nous aurons part avec lui, parce que nous aurons reconnu que nous ne sommes que des pécheurs qui ont besoin du pardon gratuit de Dieu pour retrouver la vie.
c) De fait, ce geste de serviteur consiste concrètement à laver des pieds sales. Cela suggère que, de même que l’eau nous purifie de tout ce qui nous salit, l’amour de Dieu manifesté dans le lavement des pieds nous purifie de notre égoïsme et de notre orgueil, nous réveille de notre indifférence, en un mot transforme nos cœurs de pierre en cœur de chair. Forts de nous savoir ainsi aimés, nous aurons le courage de servir gratuitement et par ce service, nous serons de petits reflets de cette présence gratuite de Dieu au milieu des hommes.
d) Pour annoncer la Bonne Nouvelle aux pauvres, pour ouvrir nos yeux d’aveugles et nous libérer des chaînes du péché, Jésus ne nous prêche pas la morale. Il se contente comme il dit lui-même, « d’être au milieu de nous comme celui qui sert » (Lc 22, 24). Et il nous invite comme il invitait Pierre à nous laisser faire, à nous laisser baigner par cet amour purificateur.
Faisons lui confiance. Alors nous retrouverons la liberté intérieure pour poser nous aussi des gestes de service gratuit les uns pour les autres. Alors nous injecterons dans notre monde cette dose de gratuité qui seule peut nous sauver. En effet, s’il n’y a pas une dose d’amour gratuit
– dans la famille
– à l’école
– au travail
– dans la vie sociale et économique
– en politique
la vie humaine devient une jungle où l’homme devient un loup pour l’homme.
e) Et pourtant, donner de soi-même gratuitement est à la portée de tous. De fait, chez nous aujourd’hui, des hommes, des femmes, des parents, des jeunes se laissent toucher par l’amour gratuit de Jésus. Ils en sont transformés – ils découvrent le bonheur de croire et ce bonheur les conduit à la joie de servir à leur tour. D’autres pourront après eux découvrir la force cachée de ce type d’amour discret, de ce service humble quand ils en feront l’expérience eux-mêmes, et qu’ils se laisseront toucher.
- C’est pourquoi sans doute, Jésus, après avoir lavé les pieds de ses apôtres, les invite à se laver les pieds les uns les autres. C’est comme s’il désirait d’un grand désir que ce signe caractéristique de l’amour gratuit qui nous sauve, se propage et s’inscrive dans la trame même de la vie de l’Eglise. Il sait que c’est ce service mutuel qui rendra l’Eglise heureuse et généreuse dans son service de la société. Remarquez que Jésus ne parle pas d’un service qui descend de haut en bas comme par les degrés d’une hiérarchie. Il parle d’un service mutuel. Chacun a besoin du service des autres pour pouvoir tenir debout dans la foi et pour garder dans sa vie le goût du service gratuit.
Par exemple, les prêtres que nous sommes ne sont pas des surhommes. Nous avons besoin d’être soutenus par la prière, l’amitié et aussi quelque fois par l’interpellation fraternelle des laïcs et des religieux(ses) pour pouvoir accomplir fidèlement le service qui est attendu de nous.
De même les laïcs et les religieux(ses) ont un service inestimable à rendre pour que la mission, confiée à l’Eglise, s’accomplisse concrètement dans le monde d’aujourd’hui. Mais ils ne sont pas de simples exécutants dans l’Eglise. Ils ont besoin eux aussi du soutien, de la compréhension, de l’amitié et de la prière des prêtres, comme des uns des autres.
5) Cela me frappe comment à plusieurs reprises durant ce dernier repas, Jésus insiste sur le fait que le rayonnement de l’Eglise, la fécondité de sa mission dépendra d’abord de ce service mutuel. « Que tous soient un afin que le monde croie », dit Jésus dans sa prière pour nous.
L’unité que le Christ nous invite à vivre se construit dans le service mutuel : le service de l’écoute et de l’encouragement, le service du témoignage discret, le service de l’interpellation et du pardon, le service de la patience et de l’amitié, et last but not least, le service de la prière les uns pour les autres. C’est en vivant ce service mutuel en interne, que l’Eglise pourra accomplir avec fruit son service en externe, dans la société.
Conclusion
En ce Jeudi Saint, au moment où les prêtres vont renouveler leur engagement sacerdotal, prions pour que nous, évêque et prêtres, sachions rester fidèles à notre vocation, fidèles à suivre Jésus dans sa façon d’annoncer la Bonne Nouvelle aux pauvres.
Prions aussi pour les laïcs et les religieux(ses) qui sont de plus en plus nombreux à porter avec nous la mission de l’Eglise. Prions afin que cet esprit de service mutuel devienne comme l’eau vive qui purifie notre Eglise et la rende féconde dans le service qu’elle veut rendre au monde où elle vit.
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