Interview par Danièle Babooram dans La Vie Catholique
8 Juin 2011
- Votre consécration comme évêque coadjuteur le 19 mai 1991 a été reçue comme une nouvelle Pentecôte pour l’Eglise à Maurice. Le jour de votre ordination épiscopale, vous avez dit que : ‘c’est l’Esprit de Pentecôte qui me poussera vers le large dans cette recherche constante de fidélité créatrice…’ Quels sont les sentiments qui vous habitent quand vous jetez un regard en arrière ?
Oui, l’Esprit de Pentecôte a été là et il a soufflé. Mais la question est de savoir si j’ai toujours fait ce qu’il fallait pour me laisser conduire par ce souffle. Heureusement que l’Esprit de Pentecôte ne souffle pas sur moi seulement mais sur tous les fidèles de l’Eglise. C’est ensemble que nous avons essayé de « prendre le vent » comme un bateau à voile qui doit bien se positionner pour que le vent puisse le pousser vers le large.
Je suis très reconnaissant envers les prêtres et tous ceux et celles qui, dans les paroisses, les mouvements, les services, les communautés religieuses, ont cherché avec moi à être fidèles à l’Esprit qui nous pousse à inventer des manières toujours nouvelles d’annoncer l’Evangile au monde d’aujourd’hui. Ce voyage pendant ces vingt dernières années a été passionnant, difficile quelquefois. C’est comme lorsqu’un bateau traverse la passe, il y a souvent des vagues qui s’écrasent sur le bateau et mettent à l’épreuve le courage et la fidélité de l’équipage. Je vois avec joie que le bateau tient toujours le cap aujourd’hui, même s’il est loin d’être arrivé à bon port. Ceci est dû à la force tranquille, comme invisible, de ce voyageur qui semble dormir mais dont la présence est décisive comme elle l’a été autrefois dans la barque de Pierre qui traversait le lac de Galilée dans une tempête. Ceci est dû aussi au courage, à la foi et à la collaboration des membres de l’équipage. Je suis heureux d’être sur ce bateau avec cet équipage et je suis plein d’espérance.
- Vous avez aussi beaucoup cru en la formation des laïcs. A ce jour, nombreux sont les jeunes et les adultes qui en ont bénéficié. Est-ce un nouveau visage d’Eglise que vous vouliez donner à notre diocèse ?
Oui, je crois beaucoup à la contribution essentielle des laïcs à la vitalité de l’Eglise et à sa capacité de faire résonner l’Evangile, comme une bonne nouvelle pour les hommes et femmes de notre temps. L’Eglise n’est pas une citadelle qui doit se protéger ; elle est plutôt appelée à devenir sel de la terre et lumière du monde. Sans les laïcs, l’Eglise ne peut pas être fidèle à cette mission. C’est pourquoi la formation des laïcs est nécessaire, non seulement pour les rendre capables d’exercer certaines fonctions autrefois dévolues aux prêtres mais pour leur permettre surtout de rencontrer Jésus-Christ personnellement et de faire l’expérience de la libération intérieure que cette rencontre apporte. Une de mes plus grandes joies, c’est de constater comme je le fais ces jours-ci, comment lorsqu’un jeune ou un adulte rencontre Jésus-Christ et se nourrit de l’Evangile, sa vie est transformée. Ses problèmes humains ne sont pas nécessairement résolus mais il devient plus libre et plus créatif dans sa manière d’approcher les défis qui peuvent se poser à lui dans son couple, en tant que parent ou membre de la société civile. Par sa manière de vivre, il témoigne de sa foi et des valeurs qui vont avec et devient ainsi sel de la terre. La formation des laïcs doit conduire à ne plus être chrétien de corps mais chrétien de cœur. A partir de là, certains peuvent envisager aussi de s’engager dans un service d’église.
- Ce renouvellement de la vie de l’Eglise est passé aussi à travers un synode diocésain que vous avez convoqué en mai 97. L’Option préférentielle pour les pauvres est une des grandes richesses qui en découle. Comment continuer à aider les pauvres tout en leur redonnant leur dignité ?
Oui, l’option préférentielle pour les pauvres (OPP) a été une des grandes orientations qui a émergé du Synode car, rappelez-vous, dans la consultation préparatoire au Synode, c’est surtout le cri des pauvres qui a résonné. La réponse que le Synode nous invite à donner à ce cri, n’est pas seulement d’ajouter l’OPP comme une orientation de l’Eglise parmi d’autres. Nous sommes appelés d’abord à aimer les pauvres, à reconnaître la place qu’ils doivent avoir dans l’Eglise comme ils l’ont dans le cœur du Christ. Alors, l’OPP deviendra plutôt une attitude qui inspirera plus largement notre façon de vivre en Eglise.
Le Synode a eu aussi une parole prophétique. L’assemblée a pris conscience que dans l’enquête préparatoire, on parlait surtout de problèmes à résoudre, mais très peu de Jésus-Christ. C’est pourquoi elle a demandé de donner priorité à l’annonce de Jésus-Christ. Le Synode voulait ainsi inviter les chrétiens à marcher vers la source d’eau vive qui seule, peut transformer leur vie ainsi que la vie de l’Eglise.
Il y a maintenant 10 ans que j’ai promulgué les orientations du Synode. Le temps est venu de relire le Synode et d’apprécier le chemin parcouru jusqu’ici, avec ses ombres et ses lumières. C’est pourquoi je suis heureux que le Conseil Pastoral en lien avec le département de théologie de l’ICJM d’une part, et le Conseil Presbytéral d’autre part ont commencé une relecture du Synode. Nous sommes encore au tout début mais les premiers pas s’avèrent fructueux. Je souhaiterais que cette relecture puisse s’étendre à d’autres lieux d’église.
- La famille, une de vos préoccupations majeures, connait beaucoup de difficultés dans ce 21e siècle. Une de vos lettres pastorales s’intitule d’ailleurs ‘Parents, bâtisseurs d’avenir’. En même temps, vous insistez beaucoup sur l’école des parents. Quelle est votre vision pour la famille mauricienne ?
Je souhaite que l’Eglise continue et développe éventuellement le service qu’elle a rendu aux familles mauriciennes depuis plus d’un demi-siècle. C’est vrai qu’en ce début du XXIe siècle, la famille rencontre beaucoup de difficultés. L’Eglise n’a pas de solution miracle pour les couples en détresse ou pour les parents qui sont confrontés à une nouvelle culture de la jeunesse. Mais elle offre aux fidèles une façon de construire leur famille sur le roc, pour reprendre une expression chère au Cardinal Margéot. L’Eglise a reçu en héritage une manière de vivre une vie de famille basée sur les valeurs de l’Evangile. Elle voudrait la partager de la façon la plus adaptée aux conditions sans cesse changeantes de notre société. Il y a plusieurs propositions de parcours qui sont faites aux couples et aux parents. L’Eglise ne peut dire aux familles que ce qu’elle croit, en ajoutant, comme le Christ le dit dans l’Evangile, « Venez et voyez ». Il n’y pas de recette miracle, il y a une invitation à se mettre en route. Je souhaite de tout cœur que le maximum de familles accepte de faire un premier pas. L’expérience de beaucoup de couples et de parents est que le voyage en vaut la peine.
- A la suite du Cardinal Jean Margéot, vous avez, à votre tour, formulé le désir de mettre votre épiscopat au service du pays. Est-ce que vos aspirations ont été satisfaites ?
L’essentiel de la mission de l’Eglise dans un pays n’est pas de manœuvrer pour obtenir des privilèges. C’est tout simplement de mettre toutes ses ressources au service du développement humain intégral des hommes, des femmes et des jeunes de la société où elle se trouve. C’est pourquoi nos écoles ne sont pas fermées à nos frères et sœurs d’autres religions, nos services sociaux (centre d’Accueil de Terre-Rouge, Lacaz A, les abris de nuits etc.) accueillent des Mauriciens de toutes origines. C’est pourquoi aussi la formation proposée aux familles, aux enseignants, aux travailleurs sociaux est accessible à tous ceux qui s’intéressent au développement humain intégral des personnes. Au-delà de mes aspirations personnelles, c’est le service en lui-même qui est une vocation, une joie, une vie.
- Qu’est-ce que vous auriez aimé que les gens retiennent de votre mission épiscopale ?
Je souhaiterais que les gens retiennent que je les ai aimés.
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