Chers frères prêtres,
Chers religieux (ses),
Chers fidèles laïcs,
Aujourd’hui, lors de cette messe chrismale, les prêtres vont renouveler devant l’Evêque les engagements qu’ils ont pris le jour de leur ordination. C’est le moment par excellence de rendre grâce à Dieu pour le don du sacerdoce à l’Eglise, et plus concrètement chez nous pour le don qu’il nous fait des prêtres qui sont là autour de moi aujourd’hui : les prêtre diocésains et les prêtres religieux, les prêtres mauriciens de plusieurs générations et les prêtres missionnaires venant de plusieurs pays, la Réunion, Madagascar, l’Inde, la Chine, la France, l’Italie, la Belgique, l’Irlande, la Pologne, le Chile.Cette action de grâce ne se fait pas dans les nuages, mais au sein d’une Eglise concrète qui vit au milieu d’un peuple concret. Et ce peuple connaît aujourd’hui des difficultés, liées à la montée subite du coût de la vie qui affecte d’abord les plus pauvres. Nos frères et sœurs défavorisés n’arrivent pas à nourrir convenablement leurs enfants avant de les envoyer à l’école, ni à payer leurs fees de SC et d’HSC, ni à rembourser leurs loans, ni même quelque fois à financer leurs commissions du mois ou leur note d’eau et d’électricité.
Au-delà de ces difficultés objectives matérielles, apparaissent aussi des difficultés d’ordre plus personnel, par exemple, lorsqu’on n’arrive pas à prévoir ce qu’il faut épargner pour faire face à des dépenses spéciales à des moments précis de l’année. Trop souvent, un besoin subit et urgent de liquidité lié à l’impossibilité d’avoir accès à un crédit raisonnable jette les plus vulnérables de nos frères et sœurs dans les griffes des casseurs qui les entraînent dans une spirale infernale d’endettement.
Cette souffrance reste souvent silencieuse, et se cache derrière une façade souriante. Mais elle est d’autant plus douloureuse qu’elle voit s’étaler juste à côté, un luxe insouciant, et une corruption insolente.
De plus, le stress des longues heures de travail, ainsi que la course aux plaisirs pour se déstresser, entraîne des familles de tous les milieux dans un rythme de vie impossible où l’on devient plus vulnérable à l’immoralité conjugale, à l’alcool, à la drogue, ou à l’intoxication des jeux du hasard. Tout cela pèse sur les familles, au point que certaines éclatent quelquefois et que les enfants laissés à eux-mêmes sont comme des brebis sans berger. Dans les écoles, de plus en plus d’enseignants témoignent que devant les besoins de ces enfants et ces jeunes, il arrive qu’ils passent plus de temps à faire de l’écoute et du counselling qu’à enseigner à proprement parler.
En même temps, une grande soif spirituelle se manifeste chez les pauvres comme chez les personnes plus aisées, chez les jeunes comme chez les adultes. Cette soif est ardente. Si elle ne rencontre pas l’eau vive qui seule peut l’étancher, les jeunes comme les moins jeunes peuvent se jeter sur des breuvages frelatés qu’on leur vend à tous les coins de rue, et qui ne comblent pas vraiment leur soif. Ils restent alors eux aussi désorientés, abattus comme des brebis sans berger.
Nous, les prêtres, sommes très sollicités sur tous ces fronts à la fois ; et souvent, il n’est pas facile de discerner comment répondre aux besoins des gens tout en restant fidèles à ce qui fait l’originalité de notre mission de prêtre.
Même si nous rencontrons des défis énormes dans notre ministère, en ce Jeudi Saint,, nous sommes là pour rendre grâce à Dieu de nous envoyer en mission au milieu de ce peuple. Nous sommes là pour lui demander de nous ancrer dans la confiance en la pertinence de cette mission qu’il nous a confiée le jour de notre ordination. Cette mission se situe dans le prolongement de la mission du Christ lui-même et répond de façon étonnante aux besoins les plus profonds des hommes, des femmes.
- Souvent devant les nombreuses sollicitations des gens qui souffrent ou qui cherchent un sens à leur vie, nous pouvons être tentés d’adopter la posture du faux messie, comme Jésus lui-même a été tenté par Satan. Les faux messies sont ceux à qui Satan fait croire qu’ils ont la solution à tout : – Les gens ont faim ? Pas de problème, tu n’as qu’à changer les pierres en pain et le leur donner. Tu veux motiver la foule ? Pas de problème, tu n’as qu’à accomplir un exploit, faire un show et tout le monde t’applaudira. Tu veux changer le monde ? Pas de problème, tu n’as qu’à le contrôler, et je t’en donne les moyens, si tu veux bien te prosterner devant moi.
Or, Jésus a choisi un tout autre chemin que celui proposé par Satan. Son chemin à lui, s’inspire du prophète Isaïe : « L’Esprit du Seigneur est sur moi parce que le Seigneur m’a consacré par l’onction. Il m’a envoyé porter la Bonne Nouvelle aux pauvres, annoncer aux prisonniers qu’ils sont libres, et aux aveugles qu’ils verront la lumière, apporter aux opprimés la libération, annoncer une année de bienfaits accordée par le Seigneur. » (Lc 4, 18-19). Ce chemin est le chemin de celui qui sait qu’il est aimé gratuitement par Dieu et que cet amour le fait vivre. C’est cela qui veut dire « L’Esprit du Seigneur est sur moi ». Ce chemin est aussi le chemin de celui qui, à son tour, va vers les gens gratuitement, leur annonce une Bonne Nouvelle et s’adresse à leur liberté en leur disant, par exemple, « Si tu savais le don de Dieu c’est toi qui m’aurais demandé de l’eau vive », « va te laver à la piscine de Siloé et tu verras », « viens et tu verras », « écoute le Seigneur ton Dieu et tu l’aimeras de tout ton cœur ». « Sois pauvre de cœur et tu seras heureux, du bonheur qui dure jusque dans le Royaume des Cieux » ; « prends ta croix, renonce à toi-même, mets toi au service des autres et tu trouveras la vie ». Cette façon que Jésus a d’annoncer la Bonne Nouvelle, de nous dire que nous sommes aimés, ouvre un espace de liberté pour chacun de nous et interpelle notre responsabilité à tous. N’importe qui peut choisir de s’engager sur ce chemin que Jésus ouvre devant nous ; il suffit de reconnaitre notre pauvreté, et devant l’immensité de l’amour gratuit qui vient vers nous de faire confiance. Jésus va au devant des homme en respectant leur dignité d’homme – celle qui s’exprime dans un choix libre, le choix de faire confiance, d’être reconnaissant et de s’abandonner.
Aujourd’hui en ce Jeudi Saint, rendons grâce au Seigneur qui nous a confié la mission d’annoncer comme lui cette bonne nouvelle aux pauvres que nous sommes tous devant lui. Cette nouvelle ne sera bonne pour ceux à qui nous l’annonçons que dans la mesure où elle est bonne pour nous, qu’elle nous fait vivre et nous renouvelle chaque jour. Prions le Seigneur pour que dans l’exercice de notre ministère de la Parole, il nous apprenne à témoigner de cette Bonne Nouvelle de façon à ce qu’elle éclaire et libère les hommes et les femmes de notre génération. Qu’il nous apprenne à semer comme lui avec patience et persévérance, en faisant confiance à la formidable capacité de transformation que la semence porte en elle.
Comme Jésus, ne cherchons pas à faire de l’effet, avec nos idées à nous. Mais, comme le grain de blé qui tombe en terre, acceptons de mourir à nous-mêmes, pour que sa Parole à Lui porte du fruit pour la vie du monde.
- Ainsi, « porter la bonne nouvelle aux pauvres » est beaucoup plus qu’un simple « effet d’annonce ». Il ne s’agit pas seulement de l’annoncer, mais de la porter aux pauvres, i.e., d’aller gratuitement vers les gens, de les rejoindre dans ce qu’ils vivent, de faire un chemin ensemble. Chemin faisant, c’est la parole portée et partagée qui ouvrira nos yeux d’aveugles, qui consolera ceux qui pleurent, qui délivrera ceux que le péché, les préjugés, ou les mauvaises habitudes gardent encore captifs, qui remettra debout ceux que l’injustice opprime et leur permettra de lutter avec courage comme des hommes libres. En ce Jeudi Saint, rendons grâce au Seigneur pour ce ministère d’accompagnement qu’il nous confie auprès de nos frères et sœurs. Sur le chemin de leur vie, soyons proches et attentifs à leurs joies, et à leurs peines, à leurs espérances et leurs peurs. Mais gardons aussi les yeux fixés sur celui qui est le Chemin, la Vérité et la Vie, Jésus le Bon Pasteur. Il nous montrera comment le vrai pasteur, ce n’est pas le « rambo » qui règle les problèmes en s’imposant, ni le petit malin qui sait négocier et arranger les choses, mais plutôt celui qui humblement donne sa vie par amour pour que les brebis aient la vie et qu’elles l’aient en abondance. Comme dit l’Apocalypse « c’est l’agneau, dans sa faiblesse et sa vulnérabilité qui sera leur pasteur et les conduira aux sources des eaux de la vie » (Apoc 7, 17).
- Le chemin que parcourent ensemble le pasteur et les brebis est souvent ardu et aride. Il mène bien vers « des près d’herbe fraîche » ou « vers des eaux tranquilles », mais il passe aussi par « le ravin de la mort ». Selon le même psaume, le berger est aussi appelé à « dresser une table face aux adversaires » pour que les brebis fassent la fête, même s’il y a encore des difficultés. Selon le prophète Isaïe, porter la bonne nouvelle aux pauvres passe aussi par la proclamation d’une année de bienfaits de la part du Seigneur. Cette année était en fait une année jubilaire où les esclaves étaient libérés et chacun pouvait retrouver sa portion de terre. Ce que le prophète appelle « un jour de revanche pour notre Dieu » n’est pas une vengeance violente. Cette revanche se décline plutôt en terme de consolation pour les affligés : « au lieu de cendre de pénitence, je mettrai sur leur tête un diadème ; ils étaient en deuil, je les parfumerai avec une huile de joie ; ils étaient dans le désespoir, je leur donnerai des habits de fête ». Dans l’Ancien Testament, le Seigneur invite son peuple à faire la fête à intervalle régulier, malgré toutes les difficultés qu’il peut rencontrer : chaque semaine il les convoque pour le Sabbath, chaque année pour la fête de Pâques, et tous les 50 ans pour l’année jubilaire.
Cette invitation régulière du Seigneur à venir célébrer dans l’action de grâce, nous donne le sens profond de la messe dominicale. Malgré toutes les souffrances, tous les fardeaux à porter, tous les problèmes qui surgissent dans la vie du peuple, il y a au cœur de notre ministère sacerdotal la convocation du peuple à rendre grâce à Dieu. Cela peut paraître surprenant, mais nous sommes appelés à rendre grâce à Dieu pour Jésus qui est venu vers nous, qui est présent et qui nous parle, qui a donné sa vie pour nous, et qui est ressuscité pour être avec nous tous les jours, au cœur de nos épreuves, comme de nos joies.
Célébrer, rendre grâce à Dieu au milieu des difficultés de la vie est l’acte de foi le plus profond, le plus gratuit qui soit. C’est l’acte de foi capital du Christ au dernier repas lorsqu’il rend grâce à son Père et s’abandonne à Lui au moment même où tout s’écroule humainement autour de lui avec la trahison de Judas, le reniement de Pierre et la dispersion des 10 autres.
C’est à cet acte de foi fondamental que nous, prêtres, sommes convoqués et avons la responsabilité de convoquer la communauté chaque dimanche. Souvent, il faut le reconnaître, cette convocation ne rencontre pas beaucoup de succès. Certains ne répondent pas à l’invitation, d’autres ne comprennent pas l’importance vitale de cette respiration d’action de grâce au cœur d’une vie d’homme ou de femme sur la terre. Et cependant, éduquer une communauté à rendre grâce tout simplement pour la présence attentive du Seigneur Ressuscité sur notre route, est un des plus grands services qu’on puisse rendre à cette communauté. C’est le service pour lequel nous avons été ordonnés et qui est fondé sur la foi en la promesse que le Christ nous faisait au dernier repas lors du 1er Jeudi Saint : « Je ne vous laisserai pas orphelins. Je viendrai vers vous. Encore un peu de temps et le monde ne me verra plus. Mais vous, vous me verrez vivant, et vous aussi vous vivrez » (Jn 14, 18-19).
Conclusion
Jésus a accompli sa mission en portant la bonne nouvelle aux pauvres. Pour cela, il a posé des gestes simples et gratuits :
– il a semé la parole dans les cœurs
– il a accompagné son peuple comme un bon berger
– il a rendu grâce à celui qui l’avait envoyé, et a donné sa vie.
Aujourd’hui, au moment où nous allons renouveler les engagements de notre ordination sacerdotale que le Seigneur nous entraîne aussi à poser les mêmes gestes gratuits
– semer la parole dans le cœur des Mauriciens
– accompagner nos frères et sœurs dans leurs difficultés comme de bons bergers
– rendre grâce à celui qui nous a envoyés et donner notre vie.
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