Mt 5, 1-12
Introduction
La « Lectio Divina » est une manière de chercher à entendre la parole que Dieu nous adresse à travers un passage de la Bible, et à y répondre. Elle comprend 3 parties :
- une lecture attentive du texte dans son contexte ;
- une écoute intérieure de la Parole de Dieu, de l’appel qu’il nous fait aujourd’hui à partir de ce texte ;
- un temps de prière (personnelle ou en groupe) pour donner sa réponse à l’appel que nous fait le Seigneur.
- 1. Lire un texte :
1.1. Contexte
Comme nous savons, l’Evangile de Mathieu a tendance à regrouper dans certains chapitres une série d’enseignements de Jésus, ou une série de miracles ou de paraboles. Tandis que dans d’autres chapitres, nous avons des « sections narratives » qui présentent des sections de la vie publique de Jésus. Ici, dans les chapitres 5 à 7 il y a le premier regroupement des enseignements de Jésus dans l’Evangile. On l’appelle le « discours sur la montagne ». Parce que selon chapitre 5, 1, Jésus a gravi la montagne et de là a enseigné les foules.
Ce discours s’ouvre avec les fameuses 8 béatitudes (ch. 5, 1-12). Les « béatitudes » sont comme des sentences qui décrivent le chemin du bonheur selon Jésus et qui nous invitent à emprunter ce chemin.
1.2. Déroulement du texte
v.3. « Heureux les pauvres de cœur : le Royaume des cieux est à eux ».
Ceux qui sont « pauvres de cœur » sont ceux qui reconnaissent leur pauvreté devant Dieu, i.e., leur incapacité à aimer généreusement par eux-mêmes, à pardonner par eux-mêmes, à se renoncer soi même pour rendre service et vivre la solidarité, ou à persévérer dans la prière par ses propres forces. Les pauvres de cœur sont ceux qui savent que sans le Christ qui les relève à chaque pas, ils ne peuvent pas avancer bien loin sur le chemin du vrai bonheur. Ce sont ceux qui, tout en reconnaissant leur faiblesse, font confiance à Dieu notre Père et se laissent sauver par lui.
A ces pauvres il a plu à Dieu de donner le Royaume (« Le Royaume des cieux est à eux »). Cela veut dire qu’à ces pauvres, Dieu donne son amour gratuitement, et leur donne aussi la capacité d’aimer à leur tour. Ils sont « heureux » parce qu’ils sont conscients de recevoir à chaque pas l’amour de Dieu qui les relève et leur donne la capacité d’aimer.
v.4. « Heureux les doux, car ils possèderont la terre ».
Les doux sont les patients, ceux qui sont disposés à faire un long chemin avant d’arriver au vrai bonheur ; ceux qui ne brûlent pas les étapes mais sont capables d’attendre, comme le veilleur attend l’aurore, avec une espérance indestructible. Ce sont ceux qui ne s’énervent pas parce que le salut ou le bonheur qu’ils demandent tarde à venir, mais qui acceptent d’être conduits pas à pas et de faire confiance.
Il est dit des « doux » qu’ils possèderont la terre, par allusion au long trajet du peuple juif à travers le désert ; ce sont ceux qui ont eu la patience d’affronter les différentes épreuves durant cette traversée, qui sont entrés en terre promise et l’ont eue en héritage.
v.5. « Heureux les affligés car ils seront consolés »
Les affligés (ou « ceux qui pleurent ») ne sont pas simplement ceux qui sont tristes, qui souffrent et qui pleurent. Ce sont plutôt ceux qui voient souffrir leurs frères/sœurs et qui ne fuient pas devant cette souffrance d’autrui, mais qui s’arrêtent et acceptent de souffrir avec eux. Comme dans la parabole du Bon Samaritain, ceux qui fuient la souffrance de leurs frères, qui passent de l’autre côté, font leur propre malheur parce qu’ils s’enferment sur eux-mêmes. Mais ceux qui, comme le bon Samaritain, s’arrêtent, écoutent, tendent la main et font un bout de chemin avec ceux qui souffrent, eux connaissent « la vie », i.e., le vrai bonheur, le bonheur durable.
C’est le sens de « ils seront consolés ». La consolation dont il s’agit n’est pas un petit plaisir fugace et superficiel, comme une compensation ou une récompense donnée à ceux qui ont bien mérité. Il est plutôt le bonheur inattendu donné à ceux qui acceptent de souffrir avec ceux qui souffrent : le bonheur qu’a connu le Christ lui-même, celui de rejoindre et de participer à la manière même d’aimer de Dieu.
v.6. « Heureux ceux qui ont faim et soif de la justice : ils seront rassasiés ».
Ceux qui ont faim et soif de justice sont ceux qui désirent très fort adopter une attitude juste et devant Dieu, notre Père, la source de notre vie et de notre paix, et devant nos frères que nous sommes appelés à servir dans leur recherche d’un développement humain, d’un respect de leurs droits, d’un accueil comme membre à part entière de la société.
Cette béatitude insiste sur le désir (« avoir faim et soif »). Cela veut dire que la lutte pour la justice, est source de bonheur, non pas simplement quand elle se fait de « temps en temps », comme une succession de « feux de pailles » sans lendemain. Le désir de la justice, s’il nous habite profondément, nous pousse au contraire à être toujours en alerte, toujours disponible, toujours prêt à être solidaire. C’est cette lutte qui traduit une soif intérieure de justice qui est source de bonheur.
Ceux qui se laissent habiter par ce désir de justice comme par un feu de braise, ceux là seront rassasiés – ils connaîtront un vrai bonheur, le bonheur de ceux qui communient au désir du Christ, de servir i.e., le développement humain de tous les hommes.
v.7. « Heureux les miséricordieux : ils obtiendront miséricorde ».
Souvent dans l’Evangile (cf. Lc 6, 20-35), Jésus rapproche l’invitation à lutter pour la justice, à l’invitation à se montrer miséricordieux. Comme si l’un était le pendant de l’autre. Comme si dans la lutte ferme pour la justice, Jésus nous invitait à être comme lui miséricordieux pour nos adversaires et chercher ainsi à les gagner à la cause de la justice. Les miséricordieux sont ceux qui sont disposés à pardonner et `a faire du bien à ceux qui leur ont fait du mal ; ce sont ceux qui cherchent à vaincre le mal par le bien. Nous savons tous combien il est difficile de pardonner – c’est là une des manifestations les plus flagrantes de notre pauvreté devant Dieu. Cependant, si nous nous laissons conduire sur le chemin de la miséricorde, Jésus nous promet qu’il y a là un grand bonheur. Car, plus nous pardonnerons, plus nous découvrirons combien nous devons notre bonheur, notre paix à ceux qui nous ont déjà pardonnés et ont fait preuve de miséricorde envers nous.
v.8. « Heureux les cœurs purs : ils verront Dieu ».
Les cœurs purs sont ceux qui sont désintéressés. Ils n’ont pas de « hidden agenda » ; par exemple, ils ne rendent pas service en s’attendant à ce que celui à qui ils ont rendu service leur rendra en retour un service plus grand ; ou bien ils n’invitent pas des gens chez eux en s’attendant à ce qu’on les invite à leur tour. Ils sont des personnes qui font le bien et rendent service gratuitement, avec un motif désintéressé « pur », i.e., non pas mélangé avec de considérations d’intérêt personnel.
Ceux là, dit Jésus, « verront Dieu », i.e., ils découvriront petit à petit la merveille de l’amour gratuit de Dieu, cet amour qui les rejoint chaque jour, les enveloppe, les soutient et les accompagne.
v.9. « Heureux les artisans de paix : ils seront appelés fils de Dieu ».
Les artisans de paix sont ceux qui s’acharnent – comme un artisan – à travailler pour la paix. Non pas avec de grandes déclarations fracassantes, ou des actions d’éclat, mais en entreprenant de petites choses, en prenant de petites initiatives au jour le jour, en étant attentif aux sources de tensions autour de lui et en cherchant à donner de lui-même pour détendre l’atmosphère. Ceci vaut surtout dans le domaine des relations interculturelles et interreligieuses. Un artisan est quelqu’un qui est patient, qui prend son temps, qui réfléchit, mais qui avance avec persévérance, avec sagesse, sans chercher trop vite des résultats, mais en croyant à la fécondité cachée du don de soi pour la paix.
Les artisans de paix sont ceux qui ont à cœur de se réconcilier eux-mêmes, avec ceux qu’ils ont offensés ou qui les ont offensés ; ils sont comme des semeurs qui sèment des germes de paix et attendent qu’elles germent.
Les artisans de paix, dit Jésus, seront appelés « Fils de Dieu », i.e., on les reconnaîtra comme de vrais enfants de la maison, i.e., des enfants qui ont appris avec leur Papa, comment vivre en paix même si on est très différent. Ils connaissent le bonheur qu’il y a à prier pour la paix, à se donner pour la paix, à travailler pour la paix, à souffrir pour la paix.
v. 10-11. « Heureux les persécutés pour la justice, car le Royaume des cieux est à eux. Heureux serez-vous si l’on vous insulte, si l’on vous persécute et si l’on dit faussement toute sorte de mal contre vous, à cause de moi. Réjouissez-vous, soyez dans l’allégresse, car votre récompense sera grande dans les cieux ! »
Les deux dernières béatitudes parlent du bonheur de ceux qui sont persécutés pour la justice et qui sont critiqués ou persécutés parce qu’ils sont fidèles au Christ.
Plusieurs fois dans l’Evangile, Jésus prévient ses disciples qu’ils seront sans doute critiqués et persécutés à cause de leur fidélité envers lui. Cela est vrai non seulement des chrétiens qui, dans les premiers siècles de l’Eglise, ont été persécutés par les empereurs romains, mais aussi de ceux qui dans la vie courante aujourd’hui sont persécutés de manière bien moins spectaculaire, mais tout aussi réelle. Par exemple, ceux et celles dont on dit qu’ils sont « bêtes » parce qu’ils pardonnent, ou parce qu’ils sont honnêtes et refusent la corruption ; ceux et celles qui sont montrés du doigt et tournés en dérision parce qu’ils refusent de prendre de la drogue ou d’avoir des relations sexuelles en dehors du mariage ; les patrons qui sont justes ou les ouvriers qui font consciencieusement leur travail peuvent être persécutés par leurs collègues moins scrupuleux. Ou bien encore des enseignants ou des infirmiers qui se donnent sans compter pour leurs élèves ou leurs malades peuvent être critiqués par ceux qui disent « à quoi bon faire du zèle ? ».
Jésus dit de ce genre de personne qu’ils sont heureux parce que le Royaume des Cieux est à eux ou parce que leur récompense sera grande dans les cieux. Quelle est cette récompense sinon le simple bonheur de se savoir aimé, et de se reposer dans cet amour de Dieu notre Père qui nous donne notre vraie consolation, notre vrai solidité.
- 2. Ecouter une parole
a) Nous pouvons remarquer que chaque béatitude est construite sur un même modèle très simple :
– La première phrase (« Heureux les pauvres de cœur », ou « Heureux les doux », ou « Heureux les artisans de paix ») peut être comprise comme une invitation « si vous voulez être heureux, soyez pauvres, soyez doux, soyez des artisans de paix, etc.
– La deuxième phrase (« Le Royaume des Cieux est à eux » ou « ils possèdent la terre » ou « ils seront appelés Fils de Dieu ») peut être comprise comme une promesse : v.g., si vous faites un pas dans le sens de la pauvreté de cœur vous connaîtrez la joie du Royaume de Dieu. Si vous faites un pas dans le sens de la douceur, vous connaîtrez la joie de « posséder la terre », i.e., d’entrer dans le repos après une longue traversée, etc.
Cette pédagogie ou cette manière de s’adresser à nous est typique de Jésus. Souvent dans l’Evangile
– il s’adresse à notre liberté et nous dit « si tu veux être heureux… »,
– puis il nous invite à faire un pas dans la confiance, en nous indiquant une direction précise – la pauvreté de cœur, la patience, la lutte pour la justice, la paix, etc.
– et enfin, il nous promet une grande joie si nous lui faisons confiance et risquons un pas sur le chemin qu’il ouvre devant nous.
b) Les béatitudes sont ainsi une invitation à faire confiance à Jésus et au chemin qu’il nous propose. Mais cette invitation prend une valeur encore plus grande quand nous réalisons que les propositions de Jésus ne sont pas simplement des conseils de bonne conduite, ou des recettes de bonheur comme celles qu’on vante dans des magazines. Il s’agit de tout autre chose : Jésus nous partage en fait sa propre manière de vivre heureux, lui le Fils de Dieu fait homme, il nous livre le secret de son bonheur, il nous invite à marcher avec lui sur son chemin. Il nous livre ce qu’il vit en plus intime de lui-même et nous invite à partager sa propre vie, son propre bonheur.
c) Si nous voulons poursuivre cette écoute de Jésus qui se livre ainsi, nous pouvons chercher dans l’Evangile des exemples concrets où Jésus manifeste sa pauvreté de cœur, sa patience, sa douceur, son désir de justice, sa manière d’être artisan de paix, etc.
- 3. Prier pour répondre à cette Parole
Recueillons nous, laissons nous émerveillés devant ce Jésus qui dès le début de sa prédication nous partage ce qu’il a de plus précieux, de plus intime, le secret de son bonheur en tant que Fils de Dieu qui vit une vie humaine.
Rendons lui grâce pour ce partage où il nous fait une confiance extraordinaire ; un partage qui peut nous faire tellement de bien, nous relever de nos déprimes, nous faire retrouver une direction dans la vie.
Demandons lui avec insistance de nous apprendre à lui faire confiance et de nous donner le courage de risquer un pas dans une des directions qu’il nous indique.
Demandons lui de croire de toutes nos forces dans la réalisation de la promesse de bonheur qu’il nous fait quand il nous invite à partager sa manière de vivre.
Et si jamais, en lui faisant confiance, nous trouvons une petite parcelle de bonheur, demandons-lui de nous apprendre à témoigner de ce grand cadeau qu’il nous a donné, de nous apprendre à répercuter auprès de nos amis son invitation et sa promesse.
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