Interview par Myette Ah Choon dans Le Mauricien (septembre 2010)
L’Eglise catholique à Maurice est un partenaire incontournable de l’Etat dans le domaine social (éducation, combat contre la pauvreté, etc.); Y a-t-il un dossier en particulier auquel vous souhaiteriez que les nouveaux gouvernants accordent priorité?
Longtemps avant les élections, la Commission Justice et Paix avait attiré l’attention des chrétiens comme de tous les citoyens mauriciens sur trois enjeux majeurs : 1/ la continuation de la réforme de l’éducation pour que le système s’adapte toujours mieux aux besoins des enfants mauriciens, en particulier aux plus pauvres 2/ une politique économique qui responsabilise les citoyens et qui accorde priorité au combat contre la pauvreté et pour l’empowerment des plus défavorisés afin qu’ils participent activement au développement 3/ les questions de respect de l’environnement et de l’écologie en particulier en ce qui concerne les sources d’énergie. Je soutiens pleinement ces priorités.Vos commentaires sur l’issue du scrutin du 5 mai ?
Selon une tradition établie de longue date dans le diocèse, l’Eglise accueille loyalement le verdict des urnes. Quel que soit le gouvernement élu, nous continuons à apporter notre contribution sur les différents dossiers où nos préoccupations se rencontrent.
Un membre de votre clergé était pleinement et activement engagé dans cette campagne à travers son combat pour la cause créole…Pourquoi avoir attendu la veille du scrutin pour lui accorder votre soutien et presque votre bénédiction?
Je voudrais être très clair à ce propos : je soutiens la cause créole parce que c’est une cause pour la justice et elle est valable à ce titre. Mais l’Eglise a aussi une ligne de conduite en ce qu’il s’agit de la politique et il est important que cette ligne soit respectée pour le bien de tous.
Comme le père Grégoire l’a reconnu publiquement dans un journal hebdomadaire, je l’ai mis en garde dès le début de la campagne contre le danger de donner l’impression par ses prises de position de soutenir un camp plutôt que l’autre. Je lui ai dit qu’il était d’abord un prêtre catholique et qu’en tant que tel, il avait la responsabilité de respecter la diversité de l’électorat chrétien et de ne pas donner de consigne de vote.
Dans mon communiqué qui datait de six jours avant les élections, j’ai voulu reconnaître un acquis de son action qui a consisté à faire figurer certaines revendications de la cause créole dans les programmes des deux principales formations. C’est pourquoi j’ai réaffirmé le soutien que j’apporte à cette cause depuis très longtemps.
Mais dans ce même communiqué je rappelle au père Grégoire le devoir qu’il a, en tant que prêtre, de se refuser à donner de consigne de vote. Vous appelez ça une bénédiction ? Moi non.
En cautionnant l’action du Père Grégoire, n’avez-vous pas en même temps cautionné son appel lancé le dimanche 2 mai —“vot avek ou leker” — qui sonnait comme un mot d’ordre en faveur de l’Alliance du coeur ?
Le dimanche 2 mai, le père Grégoire n’a pas respecté la ligne de conduite traditionnelle pour les prêtres au moment d’une élection : aucune consigne de vote. De plus, il n’a pas été en cohérence avec lui-même et avec ce qu’il avait dit à plusieurs reprises quand il s’était engagé à ne pas donner de consigne de vote. Ce qui s’est passé le 2 mai est triste à plusieurs égards : d’une part, il n’a pas respecté l’intelligence des citoyens qui peuvent très bien voter avec discernement sans recevoir des consignes, même à peine voilées ; d’autre part, il y a des chrétiens créoles qui votent pour d’autres partis que celui qu’aurait soutenu le père Grégoire. Ceux-là se sont sentis injustement marginalisés par les propos du père Grégoire.
Le Père Grégoire aurait-t-il alors passé outre votre autorité en lançant cet appel/conseil puisque vous avez fait clairement fait ressortir dans le communiqué de presse “aucune consigne de vote” ?
A partir de ce qui s’est passé, beaucoup de personnes comprennent mieux le bien-fondé de cette ligne de conduite traditionnelle que l’Eglise impose à ses prêtres. Leur mission consiste entre autres à assurer l’unité de la famille Eglise, à former les chrétiens à un discernement politique et à une prise de responsabilité libre et consciente. C’est d’ailleurs ce qu’ont fait la Commission Justice et Paix, La Vie Catholique, l’Institut Cardinal Jean Margéot, et plusieurs paroisses qui ont organisé des forums avec différentes formations politiques. Je regrette profondément que le père Grégoire n’ait pas su se conformer, comme ces autres instances d’église, à cette manière libératrice d’annoncer l’Evangile.
Laisser un commentaire