Interview par Christophe Karghoo dans 5 Plus Dimanche (Décembre 2008)
Q : Qu’est-ce qui vous a particulièrement marqué au cours de ces douze derniers mois ?
Ce qui me frappe en cette fin d’année, c’est la fragilité de la prospérité économique. Alors qu’au début de l’année le pays était en pleine croissance économique, tant et si bien qu’une augmentation conséquente des salaires avait été octroyée, voilà que quelques mois plus tard, la crise économique éclate comme un cyclone qui approche, ce qui oblige le gouvernement à prendre des mesures pour protéger des secteurs en difficulté. On peut et on doit se protéger mais on ne sait pas quels dégâts le cyclone peut faire chez nous.
La fragilité de la croissance entraîne la fragilité de l’emploi. Au début de l’année, il y avait de nombreuses possibilités d’emploi dans les call centres, les secteurs du tourisme, du textile et de la construction. Les entrepreneurs étaient pressés d’employer des gens, à tel point qu’ils recrutaient même la main d’œuvre étrangère. Or, quelques mois plus tard, c’est le phénomène inverse : des usines ferment, des sous-traitants dans la construction ne trouvent plus de travail, le tourisme est dans l’expectative. Je pense à toutes les familles qui seront touchées par le chômage et aux répercussions sociales pour le pays.
Une autre chose qui m’a frappé est la démarche du mouvement Rezistans ek Alternativ qui conteste devant la Commission des Nations Unies l’obligation pour les candidats aux élections législatives de préciser leur communauté ou leur religion. Il conteste par là même le best loser system. Cette démarche qui n’a pas eu beaucoup de retentissement dans le pays est cependant porteuse d’avenir. Je souhaite que de nombreux citoyens soutiennent Rezistans ek Alternativ dans son combat car le best loser system est un obstacle à l’avènement d’une réelle citoyenneté mauricienne.
Sur la scène internationale, c’est l’élection de Barrack Obama comme président des Etats-Unis qui a été pour moi l’événement marquant. Cet homme nous rappelle que la cause des noirs opprimés aux Etats-Unis ne peut aboutir que si elle est soutenue par l’ensemble des Américains. Il incarne un immense espoir, non seulement pour les Américains mais pour beaucoup de peuples victimes du racisme.
Q : Quelle analyse faites-vous de la performance du gouvernement pendant cette année écoulée ?
Il n’est pas de mon ressort de donner des notes sur la performance du gouvernement. Je soulignerai simplement les quelques éléments suivants. Je constate l’effort soutenu pour venir en aide aux plus démunis de la société. L’Empowerment Foundation, le projet Eradication of Absolute poverty, le relogement de squatters sur une base participative très originale, sont quelques initiatives qui montrent l’engagement du gouvernement dans la lutte contre la pauvreté. Par contre, on peut regretter que certains domaines qui nécessitent une action forte, comme la lutte contre la prolifération de la drogue et du sida dans le pays, n’aient pas bénéficiés d’un plan coordonné et d’un leadership fort. La drogue continue à entrer aisément dans le pays, tue beaucoup de jeunes, brise de nombreuses familles et contribue énormément à propager le sida.
Plus récemment, les résultats du CPE nous ont rappelé que notre système d’éducation reste toujours inadapté à 35% de nos enfants. Devant cet échec constaté année après année, peu de choses sont faites pour y remédier. Il y a bien l’initiative ZEP qui a des objectifs louables mais dans les faits elle ne fonctionne pas très bien.
Q : L’année 2009 sera marquée par la tenue d’une élection partielle et sera probablement l’année d’éventuelles alliances politiques en vue des législatives en 2010. Quel regard portez-vous
Au vu des crises à l’horizon, cette élection partielle apparaît comme une tempête dans un verre d’eau et peut nous détourner de notre engagement à relever les vrais défis qui seront les nôtres dans un proche avenir.
Q : Pensez-vous que l’Equal Opportunities Act bénéficiera aux créoles ?
Par définition, l’Equal Opportunities Act doit bénéficier à tous les Mauriciens, et par conséquent aux créoles en tant que Mauriciens. Si la constitution du pays était respectée, dans son esprit comme dans sa lettre, nous n’aurions pas eu besoin d’un nouveau Equal Opportunities Act. C’est vrai que dans les faits, des Créoles subissent une discrimination dans différents secteurs d’emploi. Cependant le dispositif prévu par cette loi est tellement compliqué qu’on peut se demander si dans le concret les citoyens pourront l’utiliser pour lutter efficacement contre les discriminations. Par exemple, comment une personne qui se sent lésée dans un recrutement pourrait-elle se défendre si elle n’a pas libre accès à l’information sur les critères qui ont présidé à la sélection ? Le EOA devrait être accompagnée d’un Freedom of Information Act, s’il veut être efficace.
Q : Au cours de cette année vous aviez dit dans un communiqué que «la cause créole a une dimension politique évidente», pouvez-vous en dire plus ?
En fait, j’ai dit que c’est la défense de la cause qui a une dimension politique. Défendre cette cause a une dimension politique dans le sens noble du terme : elle concerne le pays tout entier. L’’Ile Maurice authentique ne pourra jamais être elle même sans la contribution des créoles et de la culture créole. Si on marginalise les créoles, c’est comme si on masquait une couleur de l’arc-en-ciel. Pour cette raison, la promotion de la cause créole ne doit devenir une cause sectaire ou partisane ni conduire à la surenchère dans des « deals » pré-électoraux.
Q : Et votre regard sur le combat du père Grégoire ?
Le père Grégoire a un charisme de rassemblement qu’il met au service de la cause créole. Cependant, comme j’ai déjà eu l’occasion de lui dire, le fait qu’un prêtre soit le fer de lance de ce combat prête à confusion parce que la défense de la cause créole n’est pas un combat religieux. D’ailleurs, le père Grégoire lui-même a dit publiquement qu’il assumait la présidence de la FCM temporairement et qu’il s’engageait à passer le leadership à d’autres. Il y a d’autres manières de servir la cause créole, qui ne font pas la une des journaux, qui sont tout aussi importantes.
Q : Quels sont les grands projets de l’Eglise pour l’année à venir ?
Un grand chantier de l’Eglise en 2009 est de chercher les moyens pratiques pour aider les parents dans leur responsabilité d’éduquer leurs enfants. Aujourd’hui, au milieu de la crise financière et écologique, notre société est confrontée à une crise de la transmission des valeurs. Beaucoup de parents se sentent démunis devant leurs jeunes qui subissent une avalanche de sollicitations de toutes sortes. Ces jeunes sont perdus et n’ont pas de repères pour faire des choix libres. Ils sont à la recherche d’un bonheur solide, simple et durable, mais sont souvent tentés par des gens qui leur proposent des plaisirs faciles. Les jeunes rencontrent beaucoup de ces marchands de plaisir, mais peu de vrais bergers qui leur montrent un chemin et les accompagnent sur ce chemin.
Q : Quelles sont vos attentes pour le pays pour 2009?
Au moment où des menaces pèsent sur l’emploi de beaucoup de nos frères et sœurs mauriciens, je souhaite un élan très spécial de solidarité pour sauver l’emploi. A Singapour, par exemple, des ministres ont accepté à renoncer à 20% de leur salaire, des employés ont préféré perdre 10% de leur salaire pour que leurs frères ne perdent pas leur emploi. A Maurice, peut-on arriver à une telle solidarité au sein des entreprises, au niveau du pays ? Que ceux dont le superflu est grignoté pensent à ceux qui n’ont même pas le nécessaire.
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