Monsieur Reza Issac, Lord Maire de Port-Louis
Hon. M. Navin Ramgoolam, Premier Ministre
Messieurs le ministres
Messieurs les Conseillers Municipaux
Je voudrais remercier sincèrement Monsieur le Lord Maire de m’accueillir comme Citoyen d’Honneur de la Cité de Port-Louis. Résidant à Port-Louis depuis 13 ans, et devenu ainsi citoyen tout court de la ville, j’ai pu sentir combien cette ville capitale est attachante, et j’ai pu mesurer aussi combien devenir un citoyen est d’abord une responsabilité avant d’être un honneur.Etre citoyen de Port-Louis c’est d’abord aimer Port-Louis ; reconnaître sa personnalité, être reconnaissant pour tout ce que la ville nous apporte, l’aimer comme elle est avec ses dynamismes, ses talents mais aussi avec ses faiblesses, ses fragilités ; l’aimer avec patience, une patience au long souffle, l’aimer en se mettant à son service, gratuitement sans chercher à l’exploiter.
J’avoue qu’après une journée de travail, j’aime bien aller me promener à la nuit tombante sur les pentes de la Montagne des Signaux. En prenant un peu de hauteur il m’arrive de contempler cette ville avec une certaine tendresse, et en me recueillant de prier pour elle.
Plus on monte, plus on peut saisir d’un seul coup d’œil son port, poumon de notre pays, avec ses fiers portiques tournés vers l’océan, le centre nerveux du pouvoir politique, le quartier des affaires avec ses tours qui rivalisent de hauteur, sinon d’élégance, ses cours de justice, l’Hotel de Ville, le quartier général de la Police, les bureaux du 4e pouvoir où l’on veille au grain, les édifices religieux, mosquées, temples, églises, pagodes. Plus on monte, plus on aperçoit la séquence des quartiers résidentiels de la ville avec les anciens « wards » du centre ville, les cités pauvres des faubourgs et les morcellements (classe moyenne) des banlieux.
En prenant de la hauteur je vois la ville comme blottie dans les replis de ses montagnes, et je me dis qu’elle ressemble un peu à un enfant qui cherche à se réfugier dans les bras protecteurs de vieilles traditions qui lui donnent l’illusion de la sécurité. Mais je la vois aussi agglutinée autour du port et toute tendue vers le large qui l’invite à l’audace, l’audace de rompre les amarres, de quitter le confort de protections éphémères et d’entreprendre le voyage de la vie adulte avec ses opportunités et ses risques. Et ma méditation me conduit à voir en Port-Louis notre capitale, la figure même de l’île Maurice aux prises avec les tensions du passage à l’âge adulte, toute écartelée entre l’attrait du confort provenant des protections traditionnelles et l’invitation au voyage sur l’océan d’un monde globalisé où l’esprit d’entreprise et la solidarité sont seuls à pouvoir faire contrepoids avec les risques inévitables.
En contemplant de la Montagne des Signaux cette concentration des différents pouvoirs dans un périmètre relativement restreint de la ville, je me demande souvent : comment se fait-il que ces différents pouvoirs – y compris le pouvoir religieux dont je suis un des représentants – restent si démunis, si impuissants devant ces fléaux qui accablent notre ville : devant le trafic de la drogue par exemple. Comme chacun sait, c’est ce trafic qui est à la source de la prolifération actuelle des vols et des violences de toute sorte qui insécurisent les citoyens. C’est encore ce trafic qui est en grande partie responsable de la prolifération galopante du SIDA qui, comme un cancer encore invisible, ronge notre société et risque de l’affaiblir considérablement. Comment, avec tous les pouvoirs dont nous sommes investis, restons-nous si démunis devant l’échec scolaire, ce gaspillage effrayant de ressources humaines qui s’étale aux portes de nos grandes tours : 91% à Tranquebar, 79% à Roche-Bois, 60% et 64% à Cassis, 53% à Vallée Pitot.
Comment restons-nous si démunis devant les enfants de rue, les clochards, les prostituées, victimes de souteneurs traficants connus, devant les casseurs qui rodent autour d’officiers louches pour se jeter sur des proies déjà fragilisées, devant la corruption qui gravite autour de tant de bureaux de Port-Louis ?
Je contemple alors cette ville où s’étale au grand jour le paradoxe inhérent à tout pouvoir humain, qu’il soit politique, économique, religieux, culturel : au moment où il affiche sa puissance, il manifeste en même temps sa fragilité, son caractère démuni. Et je me demande alors comment, malgré cette impuissance, la société qui habite la ville, n’éclate-t-elle pas, comment fait-elle pour tenir contre vents et marées ?
C’est alors que derrière les lueurs de la ville qui s’allument une à une discrètement au moment où la nuit tombe, je crois voir des couples qui s’aiment, qui dialoguent et qui sont fidèles dans leur tâche de pères et de mères de famille, qui accompagnent leurs enfants, les soutiennent, les éduquent ; derrière les lumières qui s’allument, je crois voir aussi des éducateurs de rue qui, tout en n’ayant plus les moyens nécessaires à leur action, continuent de prendre contact avec les enfants de rue pour les apprivoiser et les remettre debout. Je crois voir les travailleurs sociaux, volontaires qui descendent sur le terrain dans les endroits chauds pour parler avec les drogués, les conscientiser sur les dangers du SIDA ; je vois des équipes de soldats qui se constituent pour continuer le travail de conscientisation et d’accompagnement avec acharnement et persévérance ; je crois voir aussi des vrais éducateurs, i.e. des enseignants qui ne se contentent pas de vendre leur savoir pour de l’argent mais qui se donnent eux-mêmes pour l’épanouissement de l’enfant ; je crois voir aussi des jeunes, des adultes et même quelque fois des familles qui viennent ensemble porter un repas aux tontons dans un abri de nuit ou passer l’après-midi du dimanche avec des ex-prisonniers, des clochards ou des prostituées ; je crois voir aussi des honnêtes gens qui dans les bureaux de la fonction publique ou des maisons de commerce savent reconnaître des personnes humaines, leur vie, leur joie, leur souffrance derrière les dossiers qu’ils traitent ; je crois voir encore des personnes qui luttent contre la corruption et pour la bonne gouvernance même au prix de leur propre promotion ou de leur avancement ; je crois voir des personnes qui luttent pour que les droits humains des plus faibles soient respectés ; des entrepreneurs qui ont à cœur non seulement leur profit mais aussi le développement du pays et qui en créant de l’emploi, veillent aussi à ce que les conditions de travail respectent la dignité des travailleurs ; derrière les lumières de la ville je crois voir encore des hommes politiques qui ne se contentent pas de servir leur clan ou de gérer leur popularité pour se maintenir en place coûte que coûte mais qui s’attèlent à gérer le bien commun quoi qu’il en coûte à leur popularité.
Ce sont eux les vrais citoyens d’honneur de cette ville. C’est à eux que j’exprime aujourd’hui ma reconnaissance. C’est pour eux que je rends grâce à Dieu. Car c’est grâce à eux que cette ville pourra continuer à vivre ; c’est grâce à eux que pourra se développer une authentique civilisation mauricienne.
Depuis l’antiquité, les grandes villes ne naissent ni ne meurent par hasard. Celles qui ont connu un essor durable, ont été le fruit d’initiatives intelligentes et d’un travail acharné pour le bien commun des citoyens. A Rome, par exemple, il a fallu le génie des Etrusques pour transformer ce qui était un champ de bataille entre petites tribus voisines repliées sur leurs collines en un lieu de commerce et d’échange : le Forum Romain. Rome est née de cette transformation radicale.
Qui chez nous saura transformer nos champs de bataille en Forum Mauricien ; qui saura transformer nos confrontations et nos luttes pour garder le pouvoir politique, économique ou culturel en occasion d’échange et de concertation pour la promotion d’un authentique bien commun mauricien ?
En contemplant la ville à la nuit tombante, en voyant toutes ces lumières qui s’allument comme pour nous dire que les forces de la nuit n’auront pas le dernier mot, il m’arrive de prier pour ma ville ; je prie pour que là, germe une authentique civilisation mauricienne faite de fraternité et de service mutuel. Je prie aussi pour que les citoyens, qu’ils soient citoyens d’honneur ou citoyens tout court, donnent d’eux-mêmes pour que cette civilisation qui est déjà là en germe puisse trouver dans cette ville des forums mauriciens plus larges pour pouvoir s’épanouir et permettre un vivre ensemble dans la paix comme l’exprime la Municipalité cette année pour célébrer la fête de la cité.
Ce 6 septembre 2006
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