Chers frères et sœurs,
Je voudrais vous inviter, en ce début de carême, à faire au plus profond de vous-même l’option préférentielle pour les pauvres. Cette option est l’une des cinq orientations données par notre Synode diocésain, l’année dernière. A partir du moment où, après le Synode, j’ai promulgué ces orientations, l’Eglise s’est engagée officiellement à faire l’option préférentielle pour les pauvres. Ce qui veut dire que le Seigneur appelle aujourd’hui chacun de nous, individuellement ou en famille, mais aussi les paroisses, les mouvements, les communautés religieuses et les organismes d’Eglise, à choisir de se préoccuper activement des pauvres, non pas exclusivement, mais avec une vraie priorité.
J’ai été heureux de constater, lors de l’évaluation post-synodale que nous faisions à l’assemblée diocésaine de novembre dernier, comment l’option préférentielle pour les pauvres était accueillie avec enthousiasme. En effet, nombreux étaient les paroisses, les groupes et les mouvements diocésains qui ont partagé comment ils s’employaient à mettre en œuvre cette orientation, consolidant ou développant ce qui existait déjà, et aussi inventant de nouveaux chemins. Nous sentions, ce jour-là, que l’option pour les pauvres touchait quelque chose de profond dans l’âme de l’Eglise mauricienne. Mais en même temps, nous prenions aussi conscience qu’aller jusqu’au bout de cette option est, pour notre Eglise, un des plus grands défis qu’elle a à relever aujourd’hui.
L’option préférentielle pour les pauvres ne veut surtout pas transformer les riches en bienfaiteurs paternalistes, ou les pauvres en assistés passifs. Cette option est quelque chose de beaucoup plus profond qui nous interpelle tous dans l’Eglise, que nous soyons riches, pauvres ou, ni riches ni pauvres, mais de moyens modestes. Elle est comme une porte par laquelle le Seigneur nous invite tous à passer pour le rencontrer Lui-même, pour devenir plus libres, pour le suivre sur son chemin de service humble et gratuit des plus pauvres, et pour vivre une plus grande solidarité entre chrétiens, comme avec nos frères d’autres religions, dans un travail commun pour éradiquer la pauvreté.
Si nous sommes riches, ou plus ou moins à l’aise », nous sommes appelés à lutter de toutes nos forces contre l’indifférence et l’aveuglement qu’elle engendre. Nous devons veiller à ne pas laisser se creuser, entre les pauvres et nous, le type d’abîme qui séparait le riche de l’Evangile « s’habillant de pourpre et de linge fin », du pauvre Lazare « gisant couvert d’ulcères au porche de sa demeure » (Lc. 16, 19). L’option préférentielle nous appelle à sortir de nous-mêmes, à rencontrer les pauvres, à entendre leur cri, à participer à leur lutte pour un développement plus humain, à prendre à cœur leur cause, qui est celle de la justice parce qu’elle est celle du respect de leurs droits humains fondamentaux.
Si nous sommes pauvres, quel que soit le degré de notre pauvreté, l’option préférentielle pour les pauvres nous invite à ne pas baisser les bras mais, au contraire, à nous donner la main pour nous encourager mutuellement dans la lutte pour un développement plus humain. L’option préférentielle nous appelle essentiellement à la solidarité entre pauvres. Chercher à s’en sortir ensemble, lutter ensemble pour faire respecter les droits de tous les pauvres, et arriver ensemble à mener une vie plus digne de la personne humaine. Et si certains réussissent à s’en sortir plus vite que les autres, qu’ils restent solidaires et n’abandonnent pas leurs frères qui se débattent encore.
Pour l’Eglise dans son ensemble et chaque cellule d’Eglise en particulier, l’option préférentielle pour les pauvres appelle à ouvrir des espaces de rencontres qui invitent tous, qu’ils soient riches, pauvres ou de moyens modestes, à prendre à cœur la cause des pauvres. Alors, chacun, avec les valeurs et les moyens qui lui sont propres, apportera sa contribution spécifique à la lutte commune pour éradiquer la pauvreté.
CHAPITRE I
Ancrage de l’option préférentielle pour les pauvres
L’option préférentielle pour les pauvres ancrée dans la tradition de l’Eglise
L’option pour les pauvres est ancrée dans l’Evangile, dans la pratique et l’enseignement de Jésus lui-même. A sa suite, l’engagement de l’Eglise auprès des pauvres a pris, dans l’histoire, des formes multiples, trop nombreuses pour être mentionnées ici. Mais on peut dire que la notion moderne de l’option préférentielle pour les pauvres commence avec le Pape Léon XIII. En 1891, dans son Encyclique Rerum Novarum, il prend position pour les travailleurs dans leur lutte contre l’exploitation dont ils étaient victimes en pleine révolution industrielle. Il inaugure ainsi la tradition de la Doctrine Sociale de l’Eglise. En 1967, le Pape Paul VI, dans son Encyclique Populorum Progressio, demande aux pays riches d’aider au développement des pays pauvres issus de la décolonisation. Cette lettre déclenche tout un mouvement en Amérique Latine où des prêtres et des religieuses vont vivre avec les pauvres et défendent leurs causes de manière admirable. De là, naîtra la théologie de la libération, qui contribua à forger le concept de l’option préférentielle pour les pauvres. Cette option fut officiellement adoptée par l’Episcopat de l’Amérique Latine lors de ses Assemblées de Medellin en 1968, et de Puebla en 1979. Dans sa grande encyclique sur la question sociale Solicitudo Rei Socialis, publiée en 1987, le Pape Jean-Paul II écrivait : « C’est là une option ou une forme de priorité dans la pratique de la charité chrétienne dont témoigne toute la tradition de l’Eglise »(SRS No. 42).
Depuis, plusieurs communautés et mouvements d’Eglise se sont laissés interpellés par cette option qui commençait à avoir droit de citer dans l’Eglise. Par exemple, tant des groupes de chrétiens aisés comme le MIAMSI (Mouvement International d’Apostolat en Milieux Sociaux Indépendants) que des groupes de chrétiens de milieux ouvriers comme la CIJOC (Coordination Internationale de la Jeunesse Ouvrière Chrétienne) ou le MMTC (Mouvement Mondial des Travailleurs Chrétiens) ont chacun décidé, lors de leur assemblée générale de l’an 2000 de s’engager dans un travail commun pour éradiquer la pauvreté, cherchant concrètement « quels choix ils devraient faire personnellement ou collectivement pour que les pauvres soient entendus, respectés dans leur dignité, et qu’ils puissent eux-mêmes s’organiser ».
Au moment même où je promulguais l’option préférentielle pour les pauvres comme une des orientations de notre Synode diocésain, en janvier 2001, le Pape Jean-Paul II, dans la lettre qu’il nous écrivait au terme du grand Jubilé, invitait lui aussi les chrétiens à faire cette option : « notre monde, nous disait-il, entre dans le nouveau millénaire, chargé de contradiction d’une croissance économique, culturel, technologique qui offre de grandes possibilités à quelques privilégiés, laissant des millions et des millions de personnes non seulement en marge du progrès, mais aux prises avec des conditions de vie bien inférieures au minimum qui leur est dû en raison de leur dignité humaine. (…) Le tableau de la pauvreté peut être étendu indéfiniment si nous ajoutons les nouvelles pauvretés aux anciennes, nouvelles pauvretés que l’on rencontre souvent dans des secteurs et des catégories non dépourvus de ressources économiques, mais exposés à la désespérance du non-sens, au piège de la drogue, à la solitude du grand âge ou de la maladie, à la mise à l’écart ou à la discrimination sociale. Les chrétiens qui regardent ce tableau doivent apprendre à faire un acte de foi dans le Christ et à déchiffrer l’appel qu’il lance à partir de ce monde de la pauvreté » (NMI No. 50).
Tout en affirmant, dans la même lettre, que « personne ne peut être exclue de notre amour, à partir du moment où, par son incarnation, le Fils de Dieu s’est en quelque sorte uni à tout homme », Jean-Paul II soulignait cependant que les paroles non équivoques de l’Evangile nous poussent à reconnaître que, « dans la personne des pauvres, il y a une présence spéciale du Fils de Dieu qui impose à l’Eglise une option préférentielle pour eux » (NMI, No. 49).
C’est dans ce sens qu’en citant la fameuse page de l’Evangile : « J’avais faim, et vous m’avez donné à manger, j’avais soif, et vous m’avez donné à boire… » (Mt 25, 35), Jean-Paul II pouvait dire : « C’est sur cette page, tout autant que sur la question de son orthodoxie, que l’Eglise mesure sa fidélité d’épouse du Christ » (NMI, No. 49).
L’option préférentielle pour les pauvres ancrée dans la situation socio-économique issue de la mondialisation
L’option préférentielle pour les pauvres telle qu’elle a été exprimée dans notre Synode, doit aussi quelque chose, sans doute, au contexte national où se manifeste, depuis quelques années, une préoccupation croissante pour les plus pauvres de notre société. Le gouvernement a créé en 1995, attaché au ministère des finances, un Trust Fund pour la lutte contre l’exclusion ; lequel est devenu en 1997, le Trust Fund pour l’insertion sociale des groupes vulnérables. En juillet 2001, les responsables de ce fonds ont publié un « Plan d’Action pour l’Allègement de la Pauvreté » dans le but de promouvoir une approche plus dynamique et plus coordonnée des différents problèmes liés à la pauvreté, parmi les nombreuses instances qui luttent contre la pauvreté dans notre pays. Depuis septembre 1999, l’Union Européenne (UE) a financé un programme de lutte contre la pauvreté, A Nou Dibout Ensam, en partenariat avec des ministères et services du gouvernement mauricien. De plus, l’engagement personnel du Président de la République dans ce domaine est bien connu. Lui aussi a lancé un Fonds d’Entraide, géré par un Comité Pauvreté. Enfin, plusieurs grandes entreprises privées du pays se sont mobilisées de manière spéciale, ces dernières années, apportant une contribution appréciable à la lutte contre la pauvreté, non seulement par la création de fonds spéciaux pour soutenir le travail de nombreuses ONGs sur le terrain, mais aussi par l’engagement personnel d’un bon nombre de leurs cadres et leurs employés.
Ce déploiement de moyens pour lutter contre la pauvreté est impressionnant. Mais il ne saurait suffire pour nous donner bonne conscience. Il se pourrait, au contraire, que nous ayons là le signe qu’une prise de conscience importante est en train de se faire. En effet, nous nous rendons compte de plus en plus que notre pays est entraîné par le vent de la mondialisation, dans un courant de développement économique qui, si on n’y fait pas attention, peut conduire à une grande fragilisation de notre société. Ainsi, nous commençons à ressentir chez nous, comme une blessure, les durs effets de ce qu’on a appelé le « jobless growth ». Par exemple, en zone franche, durant la période allant de janvier à septembre 2001, alors que le nombre d’usines a augmenté de 4 unités, il y a eu 708 emplois en moins. Ou encore, alors que le taux de croissance économique se maintient à un niveau respectable depuis 10 ans – le chiffre de 6%, l’année dernière étant particulièrement remarquable en ces temps difficiles -, le nombre d’emplois durant la même période n’augmente pas en proportion avec le taux de croissance ; au contraire, le taux de chômage augmente, passant de 5,6% en 1990 à environ 9% en 2001. Derrière ces chiffres, il y a des drames humains qui se jouent. La souffrance du millier de personnes qui ont perdu leur emploi en fin d’année, en raison de la fermeture d’une importante usine textile de zone franche, nous a tous bouleversés.
Ces quelques exemples et bien d’autres encore nous aident à mieux percevoir, aujourd’hui, la contradiction intrinsèque d’un développement socio-économique qui se laisse conduire par la seule logique de l’efficience économique. Un tel développement, dans la mesure où il subordonne la personne humaine et ses besoins les plus profonds à la course au profit maximum, dans le contexte exigeant des marchés fortement concurrentiels, produit en effet ce paradoxe effrayant : il crée davantage de richesses mais, en même temps, engendre de nouvelles poches de pauvreté. En d’autres termes, il contribue à creuser l’écart entre les riches et les pauvres. Malgré une augmentation sensible du niveau de vie de l’ensemble des Mauriciens, un tel écart ne se creuse-t-il pas un peu plus tous les jours sous nos yeux ? Il faut être réaliste et accepter une échelle de salaires ; mais, quand on compare les salaires et fringe benefits des uns, au haut de l’échelle, aux revenus réels des autres au bas de l’échelle, l’écart est trop grand ; ou quand on mesure la différence de qualité entre les soins médicaux auxquels ont accès ceux qui en ont les moyens, et ce à quoi les pauvres doivent se résigner quand ils sont malades ; ou quand on compare le type d’école auquel les enfants pauvres ont accès, le type de pédagogie auquel ils sont souvent exposés, avec la qualité de l’éducation offerte même aux enfants de milieux modestes ; et si l’on ajoute à cela la différence dans l’accès aux espaces de loisirs, dans l’accès au crédit ou à la justice, l’écart apparaît vraiment criant.
Comme le disait le Secrétaire Général de l’ONU, en 1996, une telle pauvreté chronique est « non seulement incompatible avec l’harmonie sociale et la stabilité politique, mais profondément immorale ». C’est pour cette raison qu’il ne suffit pas d’analyser et de comprendre les causes de la pauvreté, telle qu’elle apparaît aujourd’hui dans notre pays. Il faut encore que cette connaissance déclenche en nous un examen de conscience qui nous engage personnellement. Comme celui que faisait publiquement Michel Camdessus, ancien directeur du FMI : « Reconnaissons comment notre irresponsabilité, nos refus de solidarité, la timidité de nos combats pour arracher nos pays à leurs égoïsmes nationaux contribuent à crucifier les pauvres aujourd’hui. Tous ensemble, il nous est arrivé de nous conduire en intendants frivoles de cette parcelle du bien commun qui nous était confiée » (Colloque Ethique et Finance, mai 2000).
Vu le contexte porteur de cette prise de conscience salutaire, vu aussi les débuts encourageants de la réception, par notre Eglise, de l’orientation synodale concernant l’option préférentielle pour les pauvres, j’ai pensé vous proposer, durant ce carême, de réveiller ou d’approfondir notre engagement dans ce sens. Nous pourrions, par exemple, nous demander : où le Seigneur veut-il nous conduire à travers l’option préférentielle pour les pauvres ? A quelle conversion nous appelle-t-il ? Quelle transformation souhaite-t-il pour notre Eglise ? Pour notre société ?
CHAPITRE II
L’option préférentielle pour les pauvres : une porte qui ouvre sur le visage du Christ
2.1. Racines spirituelles de l’option préférentielle pour les pauvres
Faire l’option préférentielle pour les pauvres est beaucoup plus que faire quelque chose pour les pauvres, beaucoup plus qu’une façon de manifester notre souci de voir régner la justice. Ce n’est pas une décision basée uniquement sur l’analyse sociale que nous pratiquons, ni même un choix inspiré par la compassion que nous pouvons éprouver au contact direct avec la pauvreté. Ce sont là, certes, des facteurs importants de cet engagement ; mais les vraies racines de l’option préférentielle pour les pauvres sont spirituelles. Elles s’agrippent à notre relation avec Dieu.
Pour faire l’option préférentielle pour les pauvres, il ne suffit donc pas qu’elle soit justifiée à nos yeux par des arguments sociologiques ou économiques. Faire l’option, c’est plutôt faire un saut dans la foi en réponse à un appel du Seigneur. Cette option est comme une porte par laquelle il nous invite à entrer, en nous soufflant, pour ainsi dire : « Le Règne de Dieu est là ; convertissez-vous, et croyez à la bonne nouvelle » (Mc 1, 14). Si nous acceptons ce retournement intérieur qu’on appelle « conversion », et entrons par la porte, alors nous découvrirons la grande richesse de cet engagement avec le pauvre, qui est d’abord celui du Christ Lui-même. Pour faire l’option, il faut croire à l’amour gratuit de Dieu ; il faut rencontrer, dans la foi, « le Dieu de la vie qui rejette la mort injuste et prématurée que signifie la pauvreté » (G. Guthierrez). N’attendons pas d’être convaincus par des arguments, comme « les sages et les savants » ; jouons plutôt la confiance, comme les « tout petits » (cf. Mt 11, 25). Suivons le Christ qui nous dit : « Venez et voyez » (Jn 1, 39).
2.2. « Le Règne de Dieu est là… » (Mc 1, 15)
Auprès du pauvre, Jésus se révèle comme humble serviteur
Quand, par fidélité au Dieu de la vie, nous faisons ce saut dans la foi et commençons à nous immerger dans le monde des pauvres, nous rencontrons la présence discrète, cachée mais forte de Jésus. Il nous dit lui-même qu’il est là, proche de ceux qui ont faim, s’identifiant à eux : « J’avais faim et vous m’avez donné à manger… ». Cette page d’Evangile, nous dit le Pape Jean-Paul II, « n’est pas une simple invitation à la charité ; c’es une page de christologie qui projette un rayon de lumière sur le mystère du Christ » (NMI No. 49). Ce qui veut dire que l’option préférentielle pour les pauvres est une porte qui ouvre sur le visage du Christ. Auprès du pauvre, nous le découvrons dans une lumière nouvelle, comme on découvre un ami fréquenté depuis longtemps et que l’on croyait connaître, mais qui, rencontré dans des circonstances inattendues, laisse paraître un aspect insoupçonné de s personnalité qui nous était resté caché jusque-là. Mais il faut se retourner vers le pauvre, faire un détour, s’arrêter pour apercevoir le visage du Christ qui se révèle là. Ainsi, le psaume 79 nous invite à prier : « Dieu, fais-nous revenir ; que ton visage s’éclaire, et nous serons sauvés ».
En se faisant proche du pauvre, Jésus nous laisse entrevoir la vraie grandeur de l’humilité du Fils de Dieu, Lui qui, « tout en étant de condition divine, n’a pas retenu jalousement le rang qui l’égalait à Dieu, mais s’est anéanti lui-même, prenant la condition de serviteur » (Ph. 2, 6-7). Auprès du pauvre, Jésus laisse apparaître son être profond de Serviteur. La vie profonde du Fils de Dieu se manifeste dans le choix d’une vie au service des petits et des pauvres. Non pas simplement quelques menus services rendus aux pauvres avant de s’en aller. Mais une vie de service, celle d’un serviteur qui vient habiter parmi les pauvres, « être avec » eux, marcher avec eux sur les routes humaines, partager leurs joies et leurs peines, participer à leur lutte. Pour Jésus, être serviteur c’est finalement donner sa vie, aller jusqu’au bout : « S’humiliant plus encore, en se faisant obéissant jusqu’à la mort et la mort sur la croix » (Ph. 2, 8).
Auprès du pauvre, Jésus nous révèle l’amour gratuit dont il aime tous les hommes
Quand Jésus dit : « J’étais un étranger, j’étais nu, malade ou prisonnier et vous êtes venus me voir », Il nous révèle combien la dignité humaine de toute personne, qu’elle soit un étranger, un pauvre, un malade ou un prisonnier, a du prix à ses yeux. Jésus aime toute personne humaine d’un amour égal, qu’elle soit riche ou pauvre. Mais sa façon de s’identifier en priorité aux plus pauvres manifeste toute la richesse et la profondeur de l’amour dont il nous aime tous. Son amour préférentiel pour les pauvres montre non pas qu’il préfère les pauvres aux riches, mais plutôt que son amour pour nous tous, riches comme pauvres, n’est pas basé sur nos qualités humaines ou les talents que nous pouvons avoir, ni sur l’influence, la réputation ou les biens dont nous pouvons disposer, ni même sur le bien que nous aurions pu accomplir. Nous n’avons rien qui puisse nous faire mériter son amour. Il nous aime d’un amour absolument gratuit.
C’est la beauté de l’amour gratuit de Dieu que Saint Paul veut faire découvrir aux Corinthiens quand il leur écrit : « Ce qu’il y a de fou dans le monde, voilà ce que Dieu a choisi pour confondre les sages ; ce qu’il y a de faible dans le monde, voilà ce que Dieu a choisi pour confondre ce qui est fort ; ce qui dans le monde est sans naissance et ce que l’on méprise, voilà ce que Dieu a choisi… afin qu’aucune chair n’aille se glorifier devant Dieu » (1 Cor 1, 27-29). En d’autres termes, l’amour préférentiel de Jésus pour les pauvres veut montrer combien son amour pour tous les hommes est désintéressé, motivé non pas par le savoir, le pouvoir ou l’avoir des hommes, mais seulement par el fait que chaque être humain, jusqu’au plus pauvre et au plus méprisé, est créé à l’image de Dieu, qu’il porte en lui la dignité d’un enfant de Dieu, destiné à partager la vie intime de Dieu pour l’éternité.
La Béatitude des Pauvres
C’est là le sens de la première béatitude dans l’Evangile de Luc : « Heureux les pauvres, le Royaume de Dieu est à vous » (Lc 6, 20). Contrairement à une croyance très répandue à son époque, Jésus déclare solennellement, dans cette béatitude, que la pauvreté, la maladie, l’exclusion, ne sont pas des signes que Dieu punit, rejette ou abandonne les pauvres. Au contraire, la présence de Jésus auprès d’eux, ses gestes de guérison et ses paroles encourageantes révèlent que Dieu « règne » auprès d’eux, c’est-à-dire qu’il est présent et agit pour les sauver, pour leur ouvrir les yeux, les remettre debout, leur redonner espoir et les libérer de tout ce qui blesse leur dignité d’homme. En relevant le pauvre, en lui faisant retrouver sa place au sein de la famille de Dieu, Jésus nous montre que, de même qu’il nous a tous créés de rien, il nous sauve tous aussi par pure grâce.
Pour accueillir ce salut gratuit de Dieu, il faut se convertir, redevenir humble comme un petit enfant, avoir un cœur de pauvre qui lâche prise et se laisse faire par son sauveur. D’où l’autre formulation de la béatitude des pauvres chez Mathieu : « Heureux les pauvres de cœur, le Royaume des cieux est à eux » (Mt 5, 3). Les pauvres de cœur sont ceux qui choisissent une manière d’être pauvre et de vivre simplement devant Dieu, en vue de se laisser conduire par Lui comme de petits enfants. Ils choisissent de faire confiance et de passer par la porte. Ils deviennent alors « des gens joyeux qui dansent leur vie avec Dieu », comme dit Madeleine Delbrel. « Pour être bon danseur, ajoute-t-elle, il n’est pas nécessaire de savoir où cela mène ; il faut suivre, être allègre, être léger, et surtout ne pas être raide ».
2.3. « Le Règne de Dieu est là. Convertissez-vous… » (Mt 1, 14)
Rencontrer le Christ auprès du pauvre, découvrir là son visage de Serviteur, ne va pas d soi. C’est d’abord le fruit d’une conversion. Cette conversion touche ce qu’il y a de plus intime dans notre relation avec le Christ, mais elle a aussi un impact dans notre vie sociale. Jean-Paul II dit que l’option préférentielle pour les pauvres « concerne la vie de chaque chrétien en tant qu’il imite la vie du Christ, mais qu’elle s’applique également à nos responsabilités sociales et donc à notre façon de vivre, aux décisions que nous avons à prendre de manière cohérente au sujet de la propriété et de l’usage des biens » (SRS No. 42).
La conversion qu’entraîne l’option préférentielle pour les pauvres est profonde et vaste. Tellement vaste qu’elle nous semble quasi-impossible à réaliser concrètement. Et cependant, nous sentons bien que, tout en n’étant pas forcément responsables, dans le sens de « coupables », des conditions de pauvreté qui sévissent autour de nous, nous avons quand même des responsabilités à prendre par rapport à nos frères et sœurs qui vivent dans la pauvreté. Engoncés dans nos habitudes, nous ressentons douloureusement notre difficulté à suivre les meilleures inclinations de notre conscience. Pour sortir de cette impasse, il faut nous rappeler qu’avant de pointer vers des choses à faire, cette conversion concerne d’abord notre relation avec la personne du Christ. C’est Lui qui nous tend la main et nous invite à entrer par la porte. Notre conversion, toute en relevant de notre responsabilité, n’est pas essentiellement notre œuvre. Il s’agit de nous laisser conduire par Lui en nous remettant, comme des enfants, entre ses mains. Alors il nous fera passer par la porte et, selon sa promesse, Il changera nos cœurs de pierre en cœurs de chair (cf. Ez. 36, 26).
Ce changement de cœur, avec toutes les répercussions qu’il entraîne dans notre vie sociale, est comme un chemin long, complexe et souvent tâtonnant que nous sommes appelés à entreprendre. On ne peut changer son cœur instantanément. Mais on peut s’engager dans un processus de transformation. Il ne s’agit pas simplement de « faire un effort de carême », pour se donner bonne conscience, d’accomplir rapidement un certain nombre de choses pour les pauvres afin de se mettre en règle, et acquérir ainsi une nouvelle respectabilité. Il s’agit plutôt de choisir d’aimer les pauvres, avoir la simplicité de se mettre en route, comme un humble pèlerin, et, avoir le courage, comme dit Jean-Paul II, « lorsqu’on a fait quelques pas ou parcouru une partie du trajet, d’aller jusqu’au bout » (SRS No. 38).
2.4. « Le Règne de Dieu est là. Convertissez-vous et croyez à la bonne nouvelle » (Mc 1, 14)
En nous invitant à passer par la porte de l’option préférentielle pour les pauvres, Jésus nous dit : « Le Règne de Dieu est là. Convertissez-vous, et croyez à la bonne nouvelle ».
De fait, quand nous acceptons de nous mettre en route sur ce chemin de conversion, nous découvrons progressivement comment l’amour de Dieu pour les pauvres est au cœur de la Bonne Nouvelle que Jésus est venu nous apporter. « C’est une bonne nouvelle non seulement pour les pauvres eux-mêmes mais pour tous, riches et pauvres, nous dit le Synode. C’est une bonne nouvelle pour les pauvres : ils sont proclamés heureux non pas parce qu’ils sont pauvres, mais parce que le Royaume de Dieu est à eux, c’est-à-dire parce que Dieu est de leur côté, avec eux, pour eux. C’est aussi une bonne nouvelle pour ceux quine sont pas pauvres, car c’est merveilleux d’avoir un Dieu passionné pour la cause des pauvres et de pouvoir le rejoindre dans cette passion, devenant ainsi image de Dieu. Ce qui suppose que nous laissions le Seigneur transformer notre cœur en un cœur de pauvre » (Synode No. 16).
CHAPITRE III
L’option préférentielle pour les pauvres : une porte qui ouvre sur la fraternité
3.1. L’interdépendance
Sur notre chemin de conversion, nous prenons conscience de plus en plus de l’interdépendance entre les hommes et les nations. Par exemple, au niveau de la planète, deux avions s’écrasent sur les tours de New York, l’Afghanistan est bombardé : et le monde entier tremble pour sa sécurité, l’investissement ralentit et les touristes ont tendance à moins voyager. Ou bien, au niveau régional, une loi est votée aux Etats Unis pour encourager le commerce avec l’Afrique : les conditions pour la production textile deviennent plus intéressantes dans certains pays de ce continent, et des usines délocalisent, entraînant des pertes d’emploi considérables chez nous. Enfin, plus localement, si pour avoir un travail, beaucoup dépendent de la capacité d’investir et de la volonté d’entreprendre de ceux qui ont des moyens, ceux-ci dépendent tout autant, pour le succès de leurs entreprises, de la capacité de travail et de la volonté de s’adapter des travailleurs.
L’interdépendance n’est pas seulement une situation de fait qui, avec la mondialisation, étend de plus en plus ses ramifications économiques, culturelles, et politiques. Elle peut aussi être intériorisée au niveau de la conscience humaine quand des hommes et des femmes, en diverses parties du monde, ressentent comme les concernant personnellement les injustices et les violations des droits de l’homme commises dans des pays lointains où ils n’iront sans doute jamais (cf. SRS No. 38-39). Ou encore, au niveau du développement d’un pays, l’interdépendance peut devenir solidarité quand des hommes et des femmes se préoccupent non seulement de créer du travail, mais aussi, dans un esprit de justice, de faire bénéficier à tous, de manière équitable, du fruit du travail de tous.
3.2. La solidarité
Sur le chemin de l’option préférentielle pour les pauvres, l’interdépendance reconnue comme un fait et intériorisée au niveau de la conscience, nous appelle à vivre une solidarité toujours plus grande. En tant que vertu morale, la solidarité, nous dit Jean-Paul II, n’est pas un simple « sentiment de compassion vague ou d’attendrissement superficiel pour les maux subis par tant de personnes proches ou lointaines. Au contraire, la solidarité est la détermination ferme et persévérante de travailler pour le bien de tous et de chacun, car tous nous sommes vraiment responsables de tous » (SRS No. 38).
Parmi les pauvres, la solidarité est souvent vécue dans des actions de soutien mutuel ou dans des manifestations publiques visant à faire valoir leurs besoins et leurs droits face à l’insouciance ou à la corruption des pouvoirs publics ou des entreprises privées. Mais la solidarité entre les pauvres ne va pas de soi. Quelque fois, les pouvoirs, contre qui ils manifestent, cherchent à corrompre les leaders en leur promettant monts et merveilles en échange d’un arrangement souvent bâclé qui ne respecte pas les droits des personnes qu’ils représentent. Cette tentation doit être repoussée sans appel. Car c’est trahir la cause des pauvres que d’obtenir, par raveur et pour soi tout seul, ce à quoi tous ont droit, sans se soucier du fait qu’en obtenant ainsi des avantages personnels, on discrédite et l’on mine l’efficacité de la lutte légitime menée par les pauvres pour le respect de leurs droits.
Pour ceux qui ont plus de pouvoir dans la société, ou disposent de plus de biens, la pratique de la solidarité commence par reconnaître les plus faibles et les plus pauvres comme des personnes. « Des personnes, nous dit Jean-Paul II, non pas des instruments quelconques dont on exploite à peu de frais la capacité de travail et la résistance physique pour els abandonner quand ils ne servent plus, mais nos « semblables » que l’on doit faire participer, à parité avec nous, au banquet de la vie auquel tous les hommes sont également invités par Dieu » (SRS No. 39). Cette solidarité est fondée sur le principe que les biens de la création sont destinés à tous. Ce que l’industrie humaine produit par la transformation des matières premières, avec l’apport du travail, doit servir également au bien de tous.
Les attitudes qui minent aujourd’hui la solidarité, basée sur le sens profond de l’unité de la famille humaine, sont, comme dit encore le Pape Jean-Paul II, « d’une part, le désir exclusif du profit, et d’autre part, la soif du pouvoir dans le but d’imposer à d’autres sa volonté » (SRS No. 37). Il est légitime que, dans une société, certains, délégués par l’ensemble, exercent plus de pouvoir que d’autres. Il est aussi normal que dans le commerce ou l’industrie, l’on recherche une marge de profit raisonnable. Mais ce qui tue la solidarité, c’est la priorité absolue donnée à l’accumulation du profit par n’importe quel moyen, ou à la recherche du pouvoir à tout prix. Ces attitudes mortifères peuvent être vaincues, au sein même de l’arène politique ou sur la place du marché et des affaires, par une attitude diamétralement opposée qui pousse à « se dépenser pour le bien du prochain en étant prêt, au sens évangélique du terme, à « se perdre » pour l’autre au lieu de l’exploiter, et à « le servir » au lieu de l’opprimer à son propre profit » (SRS No. 38).
3.3. La solidarité, chemin vers la paix
L’option préférentielle pour les pauvres, dans la mesure où elle nous fait rencontrer les pauvres sur un pied d’égalité, nous fait découvrir comment nous sommes interdépendants et avons beaucoup à apprendre et à recevoir les uns des autres. Nous découvrons en particulier comment les pauvres ne sont pas simplement un groupe anonyme, objet de notre sollicitude, mais des personnes qui sont les sujets actifs d’un salut auquel nous sommes invités à participer. En effet, comme dit Sœur Emmanuelle, « celui qui entre dans une démarche de solidarité éprouve souvent un enrichissement qui lui comble l’âme ; car en exerçant sa responsabilité au bénéfice des autres, il entre dans sa nature d’homme libre et fraternel ». Bien sûr, ceux qui, venant d’un monde aisé, épousent l’option préférentielle pour les pauvres, apportent aux pauvres un soutien amical qui les aide à ne pas céder au fatalisme, et aussi des moyens qui les aident à se structurer et à durer dans leur lutte. Mais les pauvres leur apportent au moins autant par leur témoignage précieux de la joie d’une vie simple, où les relations humaines priment, où la sécurité s’appuie davantage sur le partage fraternel que sur l’accumulation des biens.
Cependant, la construction d’une société solidaire est un chantier parsemé d’obstacles et d’embûches. La solidarité n’est pas une recette qui fait disparaître les conflits et les tensions. Elle est plutôt un esprit qui nous fait les aborder de manière créative. C’est pourquoi il ne faut pas avoir peur des conflits ni fuir les confrontations. Ce qui menace la paix sociale, ce ne sont pas les conflits en eux-mêmes. Au contraire, ceux-ci ont souvent le mérite de faire apparaître au grand jour de vraies difficultés. Si nous acceptons de les regarde en face, de les analyser et de chercher honnêtement, dans un esprit de vraie solidarité, les moyens de les surmonter, le conflit aura servi à faire reculer l’injustice, et donc à faire avancer la cause de la paix. Par contre, ce qui menace la paix sociale, c’est plutôt l’attitude irresponsable de ceux qui camouflent les injustices objectives pour préserver leur avoir ou leur pouvoir, ou encore l’attitude machiavélique de ceux qui radicalisent les conflits en y injectant une dose de violence pour faire avancer leur agenda personnel de prise de pouvoir.
La solidarité où nous entraîne l’option préférentielle pour les pauvres est le vrai chemin de la paix. Car c’est en reconnaissant que nous avons besoin les uns des autres, que nous pouvons renoncer à toute forme de domination politique, économique ou culturelle, et que nous arrivons à transformer la méfiance réciproque en collaboration responsable.
3.4 Vers une société fraternelle
L’option préférentielle pur les pauvres, dans la mesure où elle nous fait comprendre et partager la lutte des pauvres, fait surgir entre personnes de milieux très différents une fraternité nouvelle. Si l’on accepte de faire le passage, de traverser l’abîme qui souvent sépare le monde des riches de celui des pauvres, la rencontre avec les pauvres nous révèle la vérité de notre humanité, sa vulnérabilité mais aussi sa vraie grandeur, libérée du fard de notre condition sociale et du vernis de notre fortune ou de notre culture. Dans la mesure où nous cherchons à les franchir, les barrières tombent. En tombant, elles nous laissent découvrir avec bonheur des frères et des sœurs, des membres de notre famille que nous ne connaissions pas.
J’ai eu personnellement la grande joie de participer récemment à deux événements où des personnes de milieux différents, des riches et des pauvres, célébraient l’aboutissement heureux d’un long chemin d’apprivoisement mutuel. Certains l’avaient parcouru en préparant ensemble une première communion et une confirmation, d’autres en suivant ensemble quelques soirées de formation chrétienne. J’ai pu constater, en vivant ces moments avec eux, le grand bonheur qui se dégageait de ces rencontres. Après avoir surmonté de réelles difficultés, ils s’accueillaient mutuellement comme des frères et des sœurs dans une grande simplicité. Je suis bien conscient que ces rencontres sont épisodiques, et ne peuvent prétendre résoudre d’un coup tous les problèmes d’injustice et de communalisme de l’île Maurice. Mais elles ont au moins le mérite de montrer ce qui devient possible quand chacun fait une option, s’engage, fait confiance et passe par la porte que nous ouvre le Christ. Ces rencontres fraternelles sont, sur notre route, comme des signes lumineux, bien qu’encore fragiles, de ce que, finalement, nous sommes tous destinés à vivre pour l’éternité. Comme des haltes bienfaisantes sur la route de notre pèlerinage, elles nous encouragent à repartir avec la certitude que l’espérance qui nous motive n’est pas vaine.
« Nous voulons voir Jésus », demandaient à l’apôtre Philippe quelques Grecs venus en pèlerinage à Jérusalem, au temps de Jésus Le Pape commentait récemment cette demande en ces termes : »comme ces pèlerins d’il y a deux mille ans, les hommes de notre époque, parfois inconsciemment, demandent aux croyants d’aujourd’hui non seulement de leur « parler » du Christ, mais en un sens de le leur faire « voir ». L’Eglise n’a-t-elle pas reçu la mission de faire briller la lumière du Christ à chaque époque de l’histoire, d’en faire resplendir le visage également aux générations du nouveau millénaire ? » (NMI No 16). Ces deux rencontres, où des pauvres et des riches se sont accueillis mutuellement comme des frères, m’ont donné à voir un rayon de la lumière du Christ qui brillait sur notre Eglise. Je sais qu’il y a d’autres lieux dans l’Eglise où brille aussi cette lumière, et j’en rends grâce à Dieu. Mais je sais aussi que nous avons encore un long chemin de conversion à faire. Que le Seigneur nous donne la grâce d’ouvrir notre cœur et d’ouvrir aussi le plus d’espaces possibles où pauvres et riches puissent se rencontrer, s’accueillir mutuellement, et lutter ensemble pour l’éradication de la pauvreté.
CHAPITRE IV
L’option préférentielle pour les pauvres : une porte qui ouvre sur l’espérance
Quand on entre par la porte de l’option préférentielle pour les pauvres, il arrive un moment où il ne suffit plus de se demander ce que chacun peut faire pour aider les pauvres. Une autre question monte, lancinante : pourquoi les pauvres sont-ils pauvres ? Ou mieux : pourquoi le nombre de pauvres augmente-t-il, alors que les moyens financiers et techniques pour combattre la pauvreté s’améliorent considérablement ? En ce qui concerne à l’île Maurice, on pourrait se demander pourquoi le nombre de chômeurs a passé de 24 000 en 1990 à 50 000 en 2001, alors que notre taux de croissance économique s’est maintenu à un bon niveau ?
4.1. Remonter aux causes de la Pauvreté
On connaît la boutade Dom Helder Camara : »Si je donne à manger aux pauvres, on dit que je suis un saint. Mais si je demande pourquoi les pauvres ont faim, on dit que je suis un communiste ». Ce genre de question dérange parce qu’elle remet en cause le modèle de développement économique dans lequel nous entraîne une mondialisation de l’économie qui, laissée à elle-même, a tendance à creuser, chaque jour davantage, l’écart entre les riches et les pauvres. L’action caritative est nécessaire mais elle ne suffit pas. Il faut aussi se poser ce type de question. Le Concile Vatican II, dans son document sur l’Apostolat des Laïcs, en parlant de l’action caritative comme sceau de l’apostolat chrétien, nous met en garde contre une pratique de la charité qui se contenterait de porter remède aux signes extérieurs de la pauvreté sans en remonter aux causes : « Il faut satisfaire d’abord aux exigences de la justice, dit le Concile, de peur que l’on offre comme don de la charité ce qui est déjà dû en justice. Que disparaissent les causes des maux et pas seulement leurs effets, et que l’aide apportée s’organise de telle sorte que les bénéficiaires se libèrent peu à peu de leur dépendance à l’égard d’autrui et deviennent capables de se suffire à eux-mêmes » (AA No 8).
4.2. Repenser un modèle de développement à partir des besoins des pauvres
L’option préférentielle pour les pauvres nous conduit à repenser notre modèle de développement à partir du pauvre, c’est-à-dire en donnant priorité aux besoins du pauvre. Cela ne signifie pas que seul le social compte mais, plutôt, que les stratégies économiques doivent être pensées et élaborées en vue de contribuer à éliminer la pauvreté. Nous savons très bien que si nous donnons priorité aux besoins des personnes aisées en élaborant une stratégie de développement, les pauvres ne trouveront pas leur compte. Alors que si, dès le départ, on donne priorité – et non pas l’exclusivité – aux besoins des pauvres, les riches non seulement trouveront leur compte, mais aussi en bénéficieront par leur intégration dans un ensemble plus vaste où leur propre développement sera stimulé par la contribution qu’ils seront appelés à apporter.
Souvent, ce qui mine de l’intérieur les stratégies de développement, c’est l’obsession d’une croissance économique sans souci du social, ou, en d’autres termes, la hantise d’une accumulation de richesses et son accaparement par les « gens en place » au détriment des plus démunis. Le Pape Paul VI disait : « Avoir plus, pour les peuples comme pour les personnes, n’est pas le but dernier. Toute croissance est ambivalente. Nécessaire pour permettre à l’homme d’être plus homme, elle l’enferme comme dans une prison dès lors qu’elle devient le bien suprême qui empêche de regarder au-delà » (PP No 19). C’est pourquoi, « si la poursuite du développement demande des techniciens de plus en plus nombreux, elle exige encore plus des sages de réflexion profonde, à la recherche d’un humanisme nouveau, qui permette à l’homme moderne de se retrouver lui-même, en assumant les valeurs supérieures d’amour, d’amitié, de prière et de contemplation » (PP No 20).
4.3. Une expérience heureuse dans le domaine de l’éducation
Nous avons eu récemment, dans le domaine de l’éducation l’exemple d’un développement pensé à partir des besoins des pauvres, et qui a donné des résultats heureux. A partir du cri des pauvres entendu au Synode, un examen de conscience a été entamé qui a conduit à un engagement renouvelé de la part des responsables de l’éducation catholique. L’option pour les pauvres dans le domaine de l’éducation a ouvert des horizons nouveaux, a permis d’entrer dans la réforme de l’éducation avec de nouveaux repères et une nouvelle créativité. Elle a donné naissance à de nouvelles collaborations dans le domaine de la recherche pédagogique et dans celui de la formation des enseignants. L’expérience nous a montré que l’option pour les plus pauvres a beaucoup contribué à débloquer une situation et à prendre un nouveau départ. Il est vrai que ce nouveau développement n’est qu’à ses premiers balbutiements, mais il reste très encourageant. Il dépend beaucoup de la vision et de la persévérance de tous les partenaires pour que la réforme aboutisse à ce que notre système d’éducation ne soit plus exclusif, mais inclusif des plus pauvres.
4.4. Pour une plus grande créativité
Si un petit début, tout fragile qu’il soit, a été possible dans le domaine de l’éducation, pourquoi ne nous mettrions pas à table pour penser une politique des transports publics, des loisirs ou de la santé, à partir des besoins des plus pauvres ? Pour élaborer un système d’accès au crédit ou à la justice à partir des réalités des plus défavorisés ? L’option préférentielle pour les pauvres peut déclencher beaucoup de créativité, et tous en bénéficieraient. « C’est l’heure d’une nouvelle imagination de la charité », s’écrie Jean-Paul II dans sa lettre au terme du Grand Jubilé (NMI No. 50). En cela, il se fait l’écho de l’appel pressant que nous lance le Christ Lui-même dans la parabole du gérant malhonnête (Lc 16, 1-8). Après avoir loué l’habileté de ce gérant, sans pour autant approuver sa malhonnêteté, il semble déplorer le fait que les « fils de ce monde » déploient souvent une grande créativité au service de projets lucratifs et souvent malhonnêtes, alors que « les fils de lumière » semblent négliger de mettre leurs talents au service du Royaume de Dieu, qui est d’abord le service des pauvres. La cause la plus urgente risque alors de stagner faute de réflexion, d’analyse et d’inventivité.
4.5. Le « surcroît » promis à ceux qui cherchent le Royaume de Dieu et sa justice
L’option préférentielle pour les pauvres, lorsqu’elle est assumée profondément et vécue intelligemment, ouvre les portes de l’espérance. Elle commence toujours par un saut dans la foi en réponse à l’appel du Christ : Cherchez d’abord le Royaume de Dieu et sa justice, et tout le reste vous sera donné par surcroît » (Mt 6, 33). Une fois qu’elle nous met en route, elle suscite toute une créativité, déterre les talents cachés, fait surgir des collaborations inédites, provoque un déploiement de moyens jusque là insoupçonnés. Tout se passe comme si, lorsqu’on entre par la porte de l’option pour les pauvres, d’autres portes s’ouvrent, et le « surcroît » promis à ceux qui cherchent d’abord le Royaume apparaît peu à peu pour le plus grand bonheur de tous.
CHAPITRE V
L’option préférentielle pour les pauvres : une porte qui ouvre sur la rencontre avec nos frères de toutes religions
Lorsque, animés par la foi au Christ, nous nous mettons en route sur le chemin de l’option préférentielle pour les pauvres, nous rencontrons bien vite, sur ce chemin, des hommes et des femmes d’autres horizons spirituels ou d’autres traditions religieuses qui, eux aussi, marchent dans cette direction. Beaucoup d’entre eux vivent une vraie solidarité avec les pauvres dans une grande simplicité, quelque fois même sans en être conscients explicitement. La fameuse parabole du jugement dernier, dans l’évangile de Mathieu, nous explique comment, pour bon nombre de personnes, la vraie valeur de leur proximité avec les pauvres n’apparaîtra qu’à la lumière de cette rencontre finale avec Dieu au dernier jugement : J’avais faim et vous m’avez donné à manger – Quand nous est-il arrivé de te voir affamé et de te nourrir ? – Dans la mesure où vous l’avez fait à l’un de ces plus petits d’entre mes frères, c’est à moi que vous l’avez fait » (MT. 25, 35-40).
L’option pour les pauvres prend sa source dans ce qu’il y a de plus noble, de plus gratuit, de plus profondément humain dans l’homme. C’est parce que nous sommes tous créés à l’image de Dieu que nous avons ainsi en nous comme une étincelle, un reflet de l’amour de Dieu pour les pauvres. C’est pur cette raison que la solidarité avec les pauvres peut réunir des hommes et des femmes de traditions si différentes dans un même élan. Ces rencontres sont précieuses entre toutes, parce qu’elles nous font prendre conscience que nous appartenons tous à la même famille, celle de Dieu, notre Père, qui sait faire participer ses fils et ses filles de toutes religions à son amour préférentiel pour les membres les plus démunis de la famille. Dans n’importe quelle famille humaine, il est tout à fait normal d’accorder un peu plus d’attention, de dépenser un peu plus d’argent pour un frère ou une sœur qui est malade ou handicapé. Les autres membres de la famille, qui sont en bonne santé, ne se sentent pas lésés ; ils acceptent volontiers, au contraire, d’être sollicités pour une aide. Finalement, la présence du malade ou du handicapé ne pénalise pas les autres membres de la famille ; au contraire, elle réveille souvent en eux c e qu’ils ont de meilleur : leur générosité, leur sens du sacrifice et du don de soi. Ainsi, la famille se retrouve plus profondément unie dans une même solidarité vécue avec joie autour de ses membres les plus faibles.
De même, la collaboration au coude à coude avec des frères et des sœurs d’autres religions, dans des projets socio-caritatifs communs, renforce les liens d’unité entre nous, en tant que membres de la même famille humaine. Elle nous fait découvrir avec émerveillement que, finalement, nous sommes beaucoup plus proches que nous ne le croyions. Car, au fond, nous avons tous la même origine ; nous recevons tous de Dieu le même héritage spirituel ; nous avons tous la même destinée, celle de nous retrouver un jour comme des frères et des sœurs dans la maison du Père.
Cette participation à la même option préférentielle pour les pauvres, tout en renforçant les liens d’unité entre personnes de plusieurs religions, peut aussi être l’occasion de mieux connaître et apprécier nos différentes traditions religieuses. Car, en partageant le même engagement avec les pauvres, il arrive que nous partagions également les motivations qui soutiennent cet engagement. Peut-être même pourrions-nous arriver à partager comment chacun trouve, dans sa tradition religieuse, une lumière ou une inspiration qui l’éclaire et le fortifie dans sa pratique concrète de la solidarité avec les plus démunis.
Au nom de l’unité de la famille humaine, il faut aussi souligner l’importance primordiale, pour les chrétiens, de vivre la solidarité avec toute personne pauvre, qu’elle soit chrétienne ou non. Il nous faut résister de toutes nos forces à la tentation de « choisir nos pauvres » pour la simple raison qu’ils seraient de la même race ou de la même religion que nous. Le Synode le dit clairement : si l’Eglise doit être « attentive aux cris particulièrement poignants de la communauté créole dans sa situation socio-économique actuelle », elle doit aussi « continuer à servir tous les pauvres », de quelque religion qu’ils soient (cf. Synode, No 70). Ceci est basé sur le commandement du Christ et sur l’exemple qu’il nous donne dans l’Evangile. La longue tradition de l’Eglise, à Maurice et ailleurs, va clairement dans ce sens. Faire le contraire équivaudrait à dénaturer la charité, à trahir l’Evangile. Nous avons le devoir de vivre une solidarité avec les pauvres qui sont les plus proches de nous de par leur appartenance religieuse. Mais nous sommes aussi tenus d’encourager une solidarité entre les pauvres de différentes religions, et de leur donner ainsi l’occasion de resserrer les liens de fraternité qui les unissent en tant qu’êtres humains, ce qui constitue souvent la plus grande richesse du pauvre.
CHAPITRE VI
Passer par la porte de l’option préférentielle pour les pauvres
L’option préférentielle pour les pauvres, demandée par le Synode, ne signifie pas que notre Eglise parte de zéro dans l’engagement auprès des plus pauvres de notre société. Au contraire, c’est bien plutôt le témoignage de tous ceux et celles qui, depuis de longues années, ont vécu et vivent encore la solidarité avec les pauvres dans la discrétion et la fidélité, qui a stimulé la réflexion du Synode et lui a inspiré l’orientation qu’il nous a proposée.
6.1 S’inspirer de ce qui se fait déjà
Je voudrais profiter de cette occasion pour rendre hommage ici aux religieux et aux religieuses qui, souvent en collaboration avec de laïcs, soignent les personnes âgées dans les hospices, éduquent les enfants abandonnés dans les crèches et les orphelinats ; aux prêtres, religieux, religieuses et laïcs qui donnent une chambre, un repas et beaucoup d’amitié aux clochards ; à ceux qui visitent les prisonniers ou leur offrent un gite et une aide fraternelle à leur sortie de prison ; à ceux qui accueillent et accompagnent des familles sans logis jusqu’à ce qu’elles puissent se procurer une maison ; à ceux et celles qui accueillent les femmes battues et les enfants violenté ou abandonnés ; à ceux et celles qui offrent aux alcooliques et aux toxicomanes une attention spéciale et leur proposent un parcours de réhabilitation ; à ceux et celles qui, dans les paroisses, se rendent disponibles pour écouter les pauvres et les accompagner dans les multiples démarches qu’ils ont à faire pour se relever et obtenir ce à quoi ils ont droit ; à ceux et celles qui apprennent à lire à ceux qui ne le savent pas, ou qui suivent les enfants pauvres dans leurs études, leur offrant un accompagnement scolaire » ou une « école complémentaire », selon les cas ; à ceux et celles qui réunissent des jeunes non-scolarisés pour parfaire leur formation et les aider à trouver du travail ; à ceux et celles qui libèrent les personnes tombées aux mains des casseurs, et qui font la promotion de l’épargne à travers le micro-crédit ou les Credit Unions ; à ceux et celles qui vont à la rencontre des travailleurs immigrés, les accueillent et leur offrent un peu de soutien et d’amitié durant leur séjour chez nous. Nous pouvons rendre grâce à Dieu pour cette générosité, ce sens du service humble et persévérant qu’il suscite chez tant de chrétiens et de personnes d’autres religions.
6.2. Se laisser convertir par la Parole de Dieu
C’est en s’inspirant de leur témoignage et en s’appuyant sur leur expérience que nous pourrons répondre à l’appel que le Seigneur nous fait à travers le Synode. Durant ce carême, nous sommes appelés à faire un nouveau passage pascal, c’est-à-dire à passer, à la suite du Christ, par la porte étroite de l’option préférentielle pour les pauvres. Pour passer, il faut se convertir. Pour se convertir, il faut établir un contact personnel avec la Parole de Dieu, et croire à la Bonne Nouvelle. Le Synode nous le demande clairement : « Que tous les membres de l’Eglise se laissent convertir par la Parole de Dieu pour que l’option préférentielle pour les pauvres soit vécue selon l’Esprit du Christ » (No 74).
N’hésitons pas, durant ce carême, à prendre du temps pour cette fréquentation assidue de la Parole de Dieu. Ce sera notre façon de nous laisser conduire par Dieu, comme des enfants, vers le lieu où il veut nous révéler son visage et nous partager sa vie. Ce lieu, nous le savons, est le pauvre fréquenté avec amour.
6.3. Rencontrer les pauvres
Pour traduire en acte cette option, le Synode nous donne aussi quelques orientations pratiques. D’abord, au niveau de notre vie personnelle ou de notre famille, le Synode recommande « que l’accueil du pauvre soit au centre de nos préoccupations »(No78). Il s’agit de rencontrer des pauvres, ceux qui sont là, proches des lieux où nous habitons, où nous travaillons, où nous allons faire nos courses. Rencontrer, veut dire : prendre le temps de faire connaissance avec une personne, et non pas se contenter de « se renseigner sur son cas ». Rencontrer veut dire : refuser de juger, rejeter le moindre réflexe qui nous inciterait à accuser le pauvre d’être pauvre ; mais écouter sa souffrance, la porter avec lui et faire ensemble un bout de chemin.
6. 4. Respecter les pauvres
Pour rencontrer vraiment quelqu’un, il faut lui témoigner du respect. Respecter le pauvre exige de prendre en considération ce que le pauvre pense, ce qu’il désire, ce qu’il se sent capable de faire comme premier pas. « Nous n’avons pas à faire pression sur lui, nous dit Sœur Emmanuelle. En insistant, nous risquons de briser en lui le dernier fil qui le retient à l’existence, sa liberté de choix (…) Le pauvre nous demande surtout de ne pas vouloir « pour lui », mais de vouloir « avec lui », d’essayer de comprendre (…) Compter sur sa liberté, c’est lui remettre le pied dans l’étrier afin qu’il puisse avancer à nouveau par lui-même. L’amitié authentique et profonde est un besoin essentiel du pauvre ». (Sr Emmanuelle, La Richesse du Pauvre, Flamarion, 2001, pp. 52-53)
6.5. Promouvoir des « Services d’Ecoute et de Développement »
Ensuite, au niveau des paroisses, qui sont comme les vitrines de l’Eglise, la mise sur pied d’un Service d’Ecoute et de Développement dans chacune d’entre elles est demandée explicitement par le Synode (No 86). Un Service d’Ecoute et de Développement est tout simplement un groupe de chrétiens qui, sous la responsabilité du prêtre, organise au mieux, dans les circonstances concrètes de chaque paroisse, l’accueil des pauvres, au centre comme dans les quartiers de la paroisse. Ces chrétiens offrent aussi aux pauvres l’accompagnement nécessaire pour qu’ils puissent réussir dans leurs démarches, se remettre debout et devenir eux-mêmes les agents de leur propre développement.
L’expérience montre qu’un tel service est précieux entre tous. Car le drame de beaucoup de pauvres, c’est souvent qu’ils ne sont pas renseignés sur leurs droits, et ne savent pas comment s’y prendre pour obtenir ce que leur offrent les organismes de l’Etat, ou certaines ONGs. Ainsi, ces services agissent comme des relais d’écoute, de compréhension et d’accompagnement, des relais pratiques entre les vrais besoins des pauvres et ce que l’Etat et les ONGs mettent à leur disposition. Le Synode recommande explicitement cela : ”Pour un meilleur service des pauvres, que l’Eglise ne se substitue pas à l’Etat ni ne le concurrence, mais qu’elle collabore avec lui en partenariat, tout en gardant sa liberté d’action » (No 80).
Ces Services d’Ecoute et de Développement ne sont pas cependant des groupes de spécialistes de la charité sur la paroisse. Les chrétiens ne doivent pas se décharger sur eux de leur responsabilité envers les pauvres. Au contraire, ces groupes ne sont pas seulement au service des pauvres, ils sont aussi au service de l’ensemble des chrétiens de la paroisse, et doivent veiller à ce que chacun puisse assumer, à sa manière, sa responsabilité envers les pauvres et apporter sa contribution spécifique. Caritas a reçu la mission de promouvoir la création de ces services dans les paroisses et d’offrir à leurs membres la formation et le soutien dont ils ont besoin.
6.6. Assumer son rôle prophétique
A un troisième niveau, celui des commissions et des mouvements diocésains, l’option préférentielle pour les pauvres est appelée à prendre un autre aspect. Comme le dit encore une fois le Synode, « la pauvreté n’est pas une fatalité ; elle est conséquence d’injustices et d’un système économique. L’option préférentielle pour les pauvres fait un devoir aux membres de l’Eglise d’exercer leur rôle prophétique en dénonçant toutes les formes d’injustices, et de s’engager, individuellement ou en association, dans le combat contre tout ce qui opprime la personne humaine. Autrement nous risquerions de travailler à soulager des situations de misère dont nous sommes nous-mêmes complices par notre silence ou notre non-engagement » (No. 75).
Pour assumer leur rôle prophétique, les chrétiens ont besoin d’une solide formation, surtout en ce qui concerne la Doctrine sociale de l’Eglise. Le synode le recommande explicitement (No. 83). C’est pourquoi une Ecole pour la Solidarité et la Justice a été créée et offre déjà différents parcours de formation sr ce sujet. Il est essentiel que le plus grand nombre de chrétiens suivent un de ces parcours, car l’enseignement social de l’Eglise peut beaucoup nous aider à mieux comprendre et à mieux mettre en pratique l’option préférentielle pour les pauvres.
Mais la formation ne suffit pas. Il faut encore que des mouvements comme l’Action Catholique, ou la commission Justice et Paix, s’attèlent à l’analyse serrée des problèmes de société qui affectent les pauvres, n’hésitent pas à nous interpeller et, à la lumière des observations qu’ils seraient appelés à faire, proposer des chemins nouveaux. Déjà, l’Ecole pour la Solidarité et la Justice propose des engagements concrets sous la forme de programmes de développement communautaire dans des endroits défavorisés. Les enfants sont pris en charge dans les écoles complémentaires et les parents ont des possibilités de formation et d’action. « C’est l’heure d’une nouvelle imagination de la charité », nous disait le Pape Jean-Paul II, au terme du dernier millénaire (NMI No. 50).
Conclusion
Nous sommes un peuple en marche. Un peuple rassemblé, racheté par le Seigneur, lancé par lui sur la route du service des hommes, route qu’il a Lui-même parcourue avant nous et où il nous accompagne aujourd’hui.
Avec le Synode, Il nous a invités à prendre un nouveau départ. Pour réussir ce nouveau départ, il nous recommande de passer par la porte de l’option préférentielle pour les pauvres. C’est par cette porte qu’Il a Lui-même choisi de passer lorsqu’Il est venu sur la terre pour annoncer : « Le Règne de Dieu est là. Convertissez-vous et croyez à la bonne nouvelle ».
En passant par cette porte, nous sommes conduits sur un chemin qui mène vers les autres orientations du Synode. Par exemple, l’option préférentielle pour les pauvres, en nous faisant découvrir le visage du Christ, nous conduit à recentrer notre vie sur Lui. En nous ouvrant aussi sur une fraternité plus large, elle nous permet de vivre une plus grande communion dans l’Eglise. En nous poussant à donner priorité aux besoins des pauvres, elle stimule aussi une plus grande créativité dans notre engagement au service de la justice et d’un développement plus humain pour tous. Enfin, last but not least, en passant par cette porte, nous sommes amenés à rencontrer beaucoup de nos frères et sœurs d’autres religions qui, eux aussi, marchent déjà sur cette route. En vivant avec eux un même engagement auprès des pauvres, nous sommes amenés à dialoguer, à mieux nous connaître, à mieux apprécier nos différentes traditions religieuses, tout en découvrant les liens forts qui nous unissent en tant que membres d’une même famille humaine.
Demandons au Seigneur la grâce d’une vraie conversion, durant ce carême. Faisons-Lui confiance, prenons la main qu’Il nous tend, passons avec Lui par la porte de l’option préférentielle pour les pauvres. Alors nous vivrons avec Lui le passage pascal qui conduit à la vie. Comme à Cana, la Vierge Marie est là, elle aussi, avec nous. Elle nous dit à l’oreille : « Faites tout ce qu’Il vous dira » (Jn 2, 5). Demandons-Lui de nous aider à entendre l’appel de Jésus, son Fils, et à faire l’option préférentielle pour les pauvres. Comme Lui, avec Lui et dans le même Esprit.
Evêché de Port-Louis + Maurice E. Piat c.s.sp.
5 février 2002 Evêque de Port-Louis
S O M M A I R E
Passer par la porte de l’option préférentielle pour les pauvres
Introduction
Chapitre I : Ancrage de l’option préférentielle pour les pauvres
1.1.L’option préférentielle pour les pauvres dans la tradition de l’Eglise
1.2.L’option préférentielle pour les pauvres ancrée dans la situation socio-économique issue de la mondialisation
Chapitre II : L’option préférentielle pour les pauvres : une porte qui ouvre sur le visage du Christ
2.1. Racines spirituelles de l’option préférentielle pour les pauvres
2.2. « Le Règne de Dieu est là… » (Mc 1, 15)
2.3. « Le Règne de Dieu est là. Convertissez-vous… » (Mc 1, 14)
2.4. « Le Règne de Dieu est là. Convertissez-vous et croyez à la bonne nouvelle » (Mc 2, 14)
Chapitre III : L’option préférentielle pour les pauvres : une porte qui ouvre sur la fraternité
3.1. L’interdépendance
3.2. La solidarité
3.3. La solidarité, chemin vers la paix
3.4. Vers une société fraternelle
Chapitre IV : L’option préférentielle pour les pauvres : une porte qui ouvre sur l’espérance
4.1. Remonter aux causes de la Pauvreté
4.2. Repenser un modèle de développement à partir des besoins des pauvres
4.3. Une expérience heureuse dans le domaine de l’éducation
4.4. Pour une plus grande créativité
4.5. Le « surcroît » promis à ceux qui cherchent le Royaume de Dieu et sa justice
Chapitre V : L’option préférentielle pour les pauvres : une porte qui ouvre sur la rencontre avec nos frères de toutes religions
Chapitre VI : Passer par la porte de l’option préférentielle pour les pauvres
6.1. S’inspirer de ce qui se fait déjà
6.2. Se laisser convertir par la Parole de Dieu
6.3. Rencontrer les pauvres
6.4. Respecter les pauvres
6.5. Promouvoir des « Services d’Ecoute et de Développement »
6.6. Assumer son rôle prophétique
Conclusion
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